Rites à la carte

Rites à la carte

On pourrait presque polémiquer : vu le nombre important de baptêmes, mariages, confirmations célébrés pour des non-« pratiquants réguliers », ne brade-t-on pas un peu vite ces sacrements ? Essai de réponse.

PAR THIERRY SCHELLING | PHOTOS : CIRIC, DR

« Dans notre famille, explique Emma, on est tous baptisés, alors c’est important que je le sois aussi. » Les motifs qui acheminent ces jeunes adultes au secrétariat d’une cure sont divers. Et il convient d’y répondre, car l’Eglise est un service, quitte à surprendre : « Quoi, six mois de préparation ? Mais on veut juste se marier, nous ! », s’exclame Mario lorsqu’on lui explique le programme…

Sens d’un sacrement

Aux questions : « Croyez-vous en Dieu ? L’évangile vous inspire-t-il ? Priez-vous ? », les réponses sont souvent vagues : « Je crois mais je ne pratique pas… Je suis croyant, mais l’Eglise, vous savez… ». Du coup, la notion que par un sacrement « le chrétien participe au sacerdoce du Christ et fait partie de l’Eglise » 1 est un peu chahutée car souvent, baptiser, communier ou confirmer est vécu comme un « happening » sans lendemain, voire un trophée de fin de course…

Rigueur par cohérence

Comment réagir ? « La grande majorité des mariages sont nuls », avait déclaré le pape François lui-même (2016), précisant que les fiancés « ont la bonne volonté mais pas la conscience » de ce qu’ils demandent. Alors pourquoi n’osons-nous pas dire non, non par « eugénisme religieux » mais par cohérence tout simplement ? « Ah oui, la Bible, ce gros livre… Non, je ne l’ai pas lue, pourquoi, c’est intéressant ? », m’avait dit un fiancé en toute candeur…

Qui prépare aux sacrements est souvent confronté à un paradoxe : le leitmotiv de ces dernières décennies (« les églises se vident… »), vérifié certes en partie si l’on s’en tient au lieu traditionnel de célébration qui est l’église paroissiale, est contredit par les nouveaux « lieux de pratique », parfois surpeuplés, que sont les chemins de pèlerinages, les monastères, les JMJ, les communautés nouvelles, les mille et une formes de solidarités humaines – pour ne parler que du catholicisme contemporain.

Accueil, d’abord !

« La seule vraie raison, c’est Dieu qui
les attire », répond Fabienne Gapany,
formatrice en catéchèse et coordinatrice du catéchuménat sur Vaud, « tout simplement Dieu toujours déjà là, comme disait Zundel ».

La demande d’un sacrement a toujours une issue concrète : mariage prochain, devenir marraine/parrain, curiosité, recherche de sens… ; elle est une première réponse à cet appel de Dieu, « bien avant que les « demandeurs » ne prennent conscience de leur désir », précise Fabienne Gapany. « J’essaie d’être bien à l’écoute pour comprendre ce qui motive les demandes, explique Elvio Cingolani, curé modérateur de l’UP Plateau, Genève. « Il y en a une multitude: grands-parents, traditions, visions magiques… Mais Jésus n’a-t il pas commencé avec les personnes là où elles en étaient dans leur vie ? » demande-t-il.

L’importance d’un accueil sans préjugé – « positif et bienveillant », aime à dire Elvio Cingolani – permet d’entamer un dialogue, une rencontre, un échange. Les gens sont dès lors mis en route : « Ils découvrent peu à peu que leur demande est arrivée à un moment où ils sont prêts à se laisser conduire par Dieu », témoigne Fabienne Gapany. Une naissance, une déclaration d’amour, un décès sont des temps forts de la vie qui immanquablement chamboulent les personnes, corps et esprit ! Les accompagner vers un sacrement leur permet d’apprendre « à relire leur vie avec Dieu, découvrant comment il les accompagne depuis toujours ».

Accompagner

Comment comprendre la notion d’agrégation au Corps ecclésial que le sacrement implique : vaine, si aucune suite n’est donnée ? « Non, rétorque Fabienne Gapany, ce serait considérer le sacrement sous un jour « utilitaire ». Le sacrement, c’est un don purement gratuit. Dieu se débrouille avec les personnes qu’il choisit pour vivre les sacrements ; s’il veut les envoyer à la messe, il les envoie à la messe. »

Se préparer à un sacrement peut être vécu selon le schéma d’une « conversion paulinienne » 2 : un « temps fort » (demande en mariage, naissance, etc.) qui nécessite un accompagnement pour être vu à la lumière de Dieu… « Grâce à l’abbé Marc 3, puis à vous, j’ai apaisé ma peur de ne pas savoir beaucoup de choses lors de ma demande de baptême… Mais j’ai une telle foi, vous savez, et j’adore organiser les Repas solidaires ! », confiait Marie-Ange, 37 ans, baptisée le 30 janvier dernier dans la paroisse Saint-Joseph à Genève. « Mon cœur est ardent, mais vous m’avez nourri l’esprit ! » Accompagner signifie bien « aller manger le pain ensemble » 4 en prenant la cadence de l’autre. « Si les baptisés (confirmés, « eucharistiés ») viennent à la messe et fréquentent leur paroisse (ou un groupe de jeunes, ou une aumônerie, ou je ne sais quoi), tant mieux, renchérit Fabienne Gapany. Mais j’ose espérer que la vie chrétienne et ce que les sacrements nourrissent « débordent » largement la messe ».

Besoin de rites

« En général je pense que nous ne devrions pas commencer par imposer nos conceptions toutes faites, mais partir de la pauvre réalité pour tendre vers plus haut, conseille Elvio Cingolani. Et à partir de là, j’ »évangélise ». Et tant pis si je dois adapter les rites officiels. » Ajuster pour se faire comprendre : « Oui, notre langage peut paraître étrange, partage l’abbé Philippe Matthey, curé modérateur des Rives de l’Arve et engagé dans la pastorale du mariage à Genève depuis 20 ans, mais ils sont curieux, « preneurs » même, alors qu’il fut un temps où l’étrange était à bannir. » Et Philippe Matthey de conclure : « Leur demande d’un mariage à l’église ou de la confirmation réveille souvent quelque chose dans leur conscience : leur bonheur est d’une façon ou d’une autre lié à Dieu. »

Une vérité de foi universelle : « Pour les personnes souffrant de toute sorte de précarités, explique Inès Calstas, responsable de la Pastorale des milieux ouverts sur Genève, les sacrements, ces gestes visibles et concrets, sont très importants : malgré l’exclusion sociale qu’elles vivent au quotidien, par notamment la célébration de leurs sacrements, elles appartiennent à la communauté humaine… » Et de conclure : « La foi qu’ils vivent en cachette peut être partagée, ils sont reconnus fils et filles de Dieu. »

Cheminer

Dès lors, à la suite d’une demande « simple » d’un baptême ou d’un mariage, selon l’accueil et la préparation, il s’ensuit parfois des questionnements, de nouvelles rencontres, voire une envie d’approfondir sa foi : « Les sacrements nous ouvrent les yeux sur l’invisible et nous révèlent la vérité des choses », conclut Fabienne Gapany. Comme pour les disciples d’Emmaüs en somme…

1 Catéchisme de l’Eglise catholique, article 1121.

2 Ananie accueille Paul, aveuglé sur le chemin de Damas, chez lui ; il reverra au bout de trois jours… cf. Ac 9.

3 Il s’agit de l’abbé Marc Passera, décédé en mars 2020, accompagnateur du catéchuménat
à Genève pendant de nombreuses années.

4 Etymologie de « ad cum panis », accompagner.