Une divine économie

Une divine économie

Tout s’achète, tout se vend, le marché suffit à fixer la valeur d’un objet. Quelle place la foi peut-elle encore occuper dans le domaine économique ? Pour y répondre, Eric Jaffrain, consultant en marketing non-marchand, propose de revenir à la logique du don, à l’origine de la vie et de la communauté.

PAR MYRIAM BETTENS | PHOTOS : JEAN-CLAUDE-GADMER

Biographie express

Au bénéfice d’un parcours professionnel atypique, Eric Jaffrain a tout fait… ou pres­que : architecte de formation, directeur d’agences de publicité puis de marketing, animateur de radio, politicien, humanitaire ou encore pasteur. Aujourd’hui, cet homme de terrain passionné met en pratique sa citation favorite : « Donner, c’est créer de la richesse. » Pour ce faire, depuis 1989, il continue de former activement au marketing non-
marchand. Il dirige aussi l’association La Restaurée, fondée il y a 11 ans, dans le canton de Vaud et qui a pour projet d’aider les personnes actives brisées par la vie.

Comment appliquer le concept de marketing non-marchand et de don à notre économie ?

Je vais prendre un exemple, c’est plus parlant. Une entreprise de services RH romande a fait appel à moi. Elle perdait des clients, avait des difficultés à les fidéliser et à en trouver de nouveaux. En posant des questions pour mieux cerner le problème, je lui ai demandé ce qu’elle donnait à ses clients. Là, regard éberlué, elle me répond ne pas donner ses services mais les vendre. N’ayant plus rien à perdre, elle a été d’accord d’essayer ma méthode avec un client le lendemain. Ce dernier lui a demandé ce qu’elle pouvait lui offrir. L’entreprise romande a donc commencé par donner une prestation. Après des mois de tractations infructueuses, elle venait de sortir de l’entretien en ayant un gros contrat en poche. Elle est ensuite devenue une entreprise florissante de la région lémanique.

Le marketing non-marchand propose une vision plus holistique de l’économie ?

Absolument ! Aujourd’hui, l’économie se compose de la triade : produire-consommer-jeter. A l’inverse, le marketing non-marchand prône un autre paradigme, dans une optique d’économie circulaire. Nous nous situons ici dans le créer-utiliser-partager ou recycler. En développant le don, on se pose toujours la question de ce que nous apportons à l’autre sans chercher à lui vendre quelque chose.

Ce type de marketing est une chance de repenser l’économie et de donner un autre sens à la société…

L’économie telle qu’on la définit aujourd’hui n’en est plus une. Elle n’est qu’un système mécanique, soi-disant autorégulateur, servant à développer le profit. D’ailleurs, la valeur des produits du marché est subjective et ne se fonde sur aucune réalité. Or, le sens du mot économie vient du grec communauté dont le principe premier demeure le partage. Mais l’instinct de propriété érige des frontières, empêchant l’autre d’accéder à ce que tu as et à ce que tu es. Le marketing non-marchand, basé sur le don, élimine ces frontières et pallie le manque d’unité de l’économie actuelle. Car celle-ci ne permet pas de symbiose entre ce que je suis, ce que j’aimerais et ce que je fais réellement.

L’économie n’est-elle pas déjà obligée de s’adapter face à des désirs de consommation plus durable et éthique ?

Il existe une tendance et une réelle conscience pour ces questions, mais je ne pense pas que cela soit suffisamment fort. Pour transformer les mentalités, le mouvement doit être collectif. Dit autrement, les cœurs doivent changer, pas le concept. Nous n’assistons pas à un changement de société, mais seulement de comportements de consommation. C’est cela qui me gêne. Il ne faut pas se faire d’illusions, l’économie financière va toujours faire en sorte de suivre les tendances pour conserver la modalité acheteur-vendeur.

Un marketing non-marchand, c’est quoi ?

Le marketing classique repose sur le fait de vendre ou de forcer l’acte d’achat avec un consommateur pour cible. « Le marketing non-marchand ne considère pas l’individu comme cela, mais plutôt comme un citoyen, voire un donateur. Le mode de transaction étant basé sur le don : de soi, de temps, d’argent ou en nature. » Il préconise de s’axer en priorité sur le besoin de l’autre. En d’autres termes, une entreprise plaçant en priorité le besoin de ses clients aura un retour sur investissement, et donc générera des recettes, comme l’enseigne Jésus : « Celui qui donne, reçoit. » Toutefois, il reste une nuance importante à souligner, le marketing classique crée artificiellement des besoins pour produire de l’argent. Dans le marketing non-marchand, il s’agit de répondre aux besoins réels et non induits par le marché. Ce type de marketing se situe aussi dans la ligne des principes bibliques que sont l’abondance et l’acceptation de la suffisance. « Si je remplis un verre jusqu’à ce qu’il déborde presque, l’économie actuelle prescrira d’accumuler des verres et de garder le tout pour moi. Le marketing non-marchand conseille de continuer à verser, afin que cela déborde et arrose tout l’environnement alentour. »