Eglise sans frontières

Eglise sans frontières

En novembre dernier, à Palexpo, les plus de 400 agents pastoraux et prêtres du diocèse de Lausanne-Genève-Fribourg se sont penchés sur le thème de la pluriculturalité. Portugais, Italiens, Sud-Américains et Espagnols, Helvètes, mais aussi Croates, Polonais, Camérounais, Togolais, Congolais, Vietnamiens composent la mosaïque diocésaine et pas seulement en Romandie. Opportunités ou tensions?

Par Thierry Schelling
Photos: Ciric, Jean-Claude Gadmer, Diocèse LGF, DRUn constat : aucune des communautés catholiques du diocèse de LGF – paroisse, mission, aumônerie, EMS, groupes de jeunes, fiancés, enfants de chœur… – n’est absolument « mono-culture ». Il y a toujours des membres aux origines lointaines… ou au moins d’outre-Sarine ! On parle de Mission portugaise par exemple, mais il faudrait dire « lusophone » car s’y retrouvent également des Angolais, Cap-Verdiens, Brésiliens. Oui, c’est toujours une histoire de migration, même au sein de groupes apparemment unilingues. Et nous sommes toutes et tous migrants, relisons notre propre histoire de famille.

Aucune des communautés n’est absolument « mono-culture ».

Un peu d’Helvétie…

La diversité, une chance selon Patrick Renz.

La foi chrétienne a été apportée en Romandie, en remontant le Rhône à partir de Lugdunum (Lyon), par des marchands : les premiers épiscopes (ou évêques) à Genève sont Romains, issus de la Grande-Bretagne ou de Strasbourg ! L’abbé Jacques Rime, historien, définit les premiers évêques romands comme « des requérants d’asile » ! La foi et son témoignage se reçoivent toujours d’un autre, qui plus est « étrange(r) » à mon monde : c’est la nouveauté de la Bonne Nouvelle !

La Suisse, terre de migrations tant internes – les catholiques en pays vaudois sont (re)venus s’y implanter d’outre-Sarine et d’outre-Alpes –, qu’externes (France, Allemagne, Italie majoritairement !) l’est aussi par les chiffres : un tiers des catholiques suisses sont migrants, et même 53 % pour le diocèse de LGF ! On y compte une septantaine de missions dites linguistiques ! « Problème ou chance ? » questionne Patrick Renz, ancien président de Migratio, l’organisme de la conférence épiscopale suisse pour l’accompagnement de la migration : « Une chance, of course ! » s’exclame-t-il sans ambages. Et on peut élargir le discours migratoire : il s’agit, par devoir évangélique, d’accueillir l’étranger, ou, comme le rappelait Luca Marin, directeur du CIEMI (Centre d’informations et d’études sur les migrations internationales), de « recueillir l’étranger » selon le terme grec utilisé par Matthieu (25, 35), comme l’on fait d’un hôte, d’un parent, d’un ami 1. 

1 Sunagô a donné synagogue, qui passe en ekklèsia, l’Eglise dont l’ADN est donc… le recueil de l’étranger !

Structures

Jadis pensées comme provisoires, les Missions ont été érigées dans les chefs-lieux cantonaux dès la fin du XIXe siècle (à commencer par celles des Italiens) et, plus intensément au cours du XXe siècle à la suite des grandes guerres : mondiales, froide, du Vietnam… Or, les accueillis demeurant sur place, y élevant leur famille – en 2020, on baptise la troisième génération ! – et y construisant leur avenir, ces Missions doivent devenir fixes dans l’élan du Concile Vatican II (Gaudium et Spes 13, Lumen Gentium 44, etc.), vers plus d’inculturation, et contraignent les autorités diocésaines à repenser la pluriculturalité qui est constitutive de l’Eglise car « la migration est un signe des temps » indéfectible 2. Désormais, non plus côte à côte, mais ensemble !

2 Ce sont Pastoralis migratorum cura de Paul VI (1969) et Erga migrantes de Jean-Paul II (2004).

Ensemble mais…

Dans LGF, AD 2000 3 veut « risquer l’espérance » et faire « route ensemble », et pourtant, aucune mention de sa pluriculturalité qui caractérise déjà le diocèse alors, si ce n’est en ces termes : « Notre diocèse (…) [de par] sa complexité culturelle (…) est riche d’une diversité qui fait en même temps sa faiblesse. » 4 L’interculturel nourrit et peut enrichir les communautés locales d’une présence active et généreuse… malgré un traitement souvent de deuxième classe par les « autochtones ». Les années Schwarzenbach sont encore dans la mémoire des « allophones » les plus âgés, Italiens et Suisses-Allemands en tête…

3 Rassemblement du diocèse de Lausanne, Genève, Fribourg, Neuchâtel de 1997 à 2000 pour le dynamiser synodalement par la mise en œuvre des « attentes et des élans du peuple de Dieu » (Préface des Actes).

4 p. A9 « III. Et notre Eglise, là dedans ? », in : Actes d’AD 2000, Imprimerie Saint-Paul, Fribourg, mars 2001.

De la tête au cœur

Les termes de « racisme, xénophobie, frictions, malentendus, discours direct et indirect », sont à thématiser, comme le souligne la théologienne Sœur Marie-Hélène Robert, de l’Université de Lyon, experte en dialogue transculturel. « Il convient d’apprendre le lexique de l’autre patiemment », renchérit-elle. Et Charles Morerod le souligne : mieux qu’un changement de structures, une session de style synodal veut inviter à un changement du cœur et de l’esprit : « La vraie migration est celle de la tête au cœur », conclut Jacques Rime. Un voyage, parfois périple, une migration, un « déménagement » intérieur qui incombent tant à l’hôte qu’à l’amphytrion ! « Je suis arrivée en Suisse comme Portugaise catholique, et je deviens de plus en plus une catholique portugaise », témoigne sincèrement Maria Helena de Freitas Guedes, agente pastorale à la Mission portugaise du canton de Vaud.

Vraiment plus catholique

Catholique, du grec καθολικός, universel, « tout embrassant », exige l’ouverture à l’autre, « le courage de l’altérité », comme aime à le dire le pape François. La Journée du migrant, ou le Dimanche des peuples sont certes des occasions de se rassembler « catholiquement ». Mais ne suffisent pas car ponctuelles. Le travail de la commission Migratio consiste notamment à établir « des conditions cadres pour la vie en commun entre personnes d’origine diverse » 5 dans la durée. Et le fruit d’une telle session commence après et d’abord par une prise de conscience personnelle, avec confiance et humilité – une attitude qui incombe tout spécialement aux responsables d’Eglise à tous les échelons. Un travail pastoral et humain, donc, qui noue défis et difficultés, entrechoque espérances et freinages. Comme le souligne l’experte de saint Paul, Chantal Reynier, « les communautés des origines étaient fortement mixtes à tous les niveaux, cela ne fait pas de doute. » Et donc, rien n’a vraiment changé depuis !

5 http://www.migratio.ch/fr/qui-sommes-nous/mission-et-vision

Renouveler l’Eglise ensemble

Et en Valais ? Dans sa belle homélie lors de la dédicace de la cathédrale de Sion (13 octobre 2019), Jean-Marie Lovey a invité à construire l’Eglise et à la renouveler, «ensemble, tous, grands et petits, hommes et femmes, jeunes et vieux, laïcs avec nos prêtres». Il manque – à mon sens – un mot sur la pluriculturalité constitutive des communautés catholiques. Car des exemples d’interculturel existent : à Martigny, la communauté portugaise est accueillie depuis deux ans dans l’église Saint-Michel « pour venir vitaliser de sa présence la messe de 9h30 » et apporte « sa ferveur et son enthousiasme » selon leur site web ; la foire de Sainte-Catherine, « incontournable à Sierre » et à l’origine fête de la communauté germanophone ; le curé d’Anniviers est également le chapelain de la communauté polonaise ; la commission diocésaine pour le tourisme demande que soient traduits dans les principales langues de nos hôtes des textes de l’ordinaire de la messe et des livres liturgiques (sites, feuillets à disposition dans les églises…).