La femme derrière la vocation masculine

La femme derrière la vocation masculine

Dans la majorité des situations, l’interpellation au diaconat reçue par l’homme se concrétise dans une histoire construite à deux. Pour l’épouse, un rapport particulier s’instaure, à la fois «en dedans et en dehors» du diaconat. Regards féminins sur un appel qui n’est de fait, à la base, reçu que par le mari.

Par Myriam Bettens
Photos: cath.ch, Ciric, DR

«Il y a plusieurs moments de la célébration où l’épouse peut manifester que celui qui est ordonné n’est pas un célibataire.»
Françoise Georges

« Mon « oui » est une réponse donnée directement à Dieu. C’est ma façon de collaborer à l’appel fait à mon mari », révèle Colette Pembe Tornay avec un sourire dans la voix. Son conjoint, Pascal Tornay, a été ordonné le 9 juin dernier à l’église Saint-Michel de Martigny Bourg par Mgr Jean-Marie Lovey. Elle se remémore encore cet événement avec émotion : « Ce moment reste gravé dans ma mémoire, tout comme notre mariage. » Bibiane Sanou confirme les sentiments ressentis par sa consœur. Lorsqu’elle voit son mari Jacques couché au sol lors de l’ordination, les larmes lui montent aux yeux : « Je me suis dit : « Ça y est, mon homme est devenu tout petit devant Dieu ». » En effet, l’ordination, vécue en premier lieu par le mari, ne fait pas l’impasse sur l’apport de la conjointe durant la liturgie : « Il y a plusieurs moments de la célébration où l’épouse peut manifester que celui qui est ordonné n’est pas un célibataire », clarifie Françoise Georges, responsable avec son époux Bertrand du discernement et de la formation des futurs diacres permanents au Centre catholique romand de formation en Eglise (CCRFE). Colette Pembe Tornay témoigne qu’elle a pu s’exprimer lors de la cérémonie : « Mes raisons ne devaient pas être superficielles. J’ai dû expliquer le pourquoi de mon accord à l’appel de mon mari. »

«J’ai dû expliquer le pourquoi de mon accord à l’appel de mon mari.»
Colette Pembe Tornay

Le diaconat, une suite logique

L’adhésion à cet appel est unanime, mais vécu de manière totalement différente d’une femme à l’autre. « J’ai bien senti que c’était le souhait de mon mari de répondre à cet appel. Il n’y avait pas de raison de s’opposer à cela, et cette décision faisait sens à mes yeux », affirme Caroline Villiger Hugo, dont l’époux a été ordonné en 2016 à la paroisse de Belfaux. Pour Jacques Sanou, devenu diacre en septembre dernier à Versoix (GE), servir les autres est une seconde nature : « Je m’occupais déjà beaucoup de la paroisse et de différents aspects liés à la diaconie, mais sans être diacre. » Sa femme complète : « Ma réponse à son appel n’est que la confirmation de sa vocation de service. Une mission noble à mon sens. » Françoise Georges va même plus loin et insiste sur la dimension de couple que revêt, dans son cas, l’interpellation au diaconat. « Dès le début de notre cheminement en couple, nous avons fait le choix de répondre à l’appel de Dieu, d’engager notre vie au service du Christ et de l’Eglise. »

Un engagement partagé… ou pas

« La vocation de mon mari a renforcé notre projet de couple et Christ en est d’ailleurs le tiers garant », considère Colette Pembe Tornay. Son conjoint Pascal parle même « d’acte fédérateur » en évoquant la place du diaconat dans leur union. Au sein de la famille Sanou, la mission diaconale est envisagée à la manière d’un cheminement commun, mais avec des attributions différentes. « Pour le moment, j’assume l’agenda familial en essayant de décharger au maximum mon mari afin qu’il puisse se consacrer pleinement à sa vocation de service », commente Bibiane Sanou. Pour sa part, Philippe Hugo juge que sa femme n’a pas besoin de son ministère diaconal pour assurer et garantir sa mission de baptisée. « Il est clair que le mariage est le socle sur lequel se fonde mon ministère diaconal, et que mon épouse en partage spirituellement les enjeux, de même que les contraintes matérielles et temporelles. Toutefois, il n’est pas nécessaire que l’exercice du ministère soit partagé pour que la grâce soit communiquée. » Elle l’atteste d’ailleurs : « De manière habituelle, Philippe officie pendant les messes, et moi je suis dans l’assemblée. Je ne vis pas cette situation comme une séparation. La messe est un moment en présence de Dieu, peu importe que nous soyons physiquement proches ou pas. »

A chacun de trouver sa place

Le couple formateur, Françoise et Bertrand Georges, constate à la suite de nombreux témoignages que le sacrement de l’ordre vient, d’une manière assez subtile, bonifier celui du mariage. A chacun de trouver sa manière d’exprimer la place que le couple doit occuper symboliquement pour l’Eglise dans le contexte particulier du diaconat, en fonction des personnalités et des charismes.

Vers des femmes diacres?

Selon le pape émérite Benoît XVI (à droite), l’ordination des femmes comme diacres doit être clarifiée théologiquement.

« Selon le pape émérite Benoît XVI, l’ordination des femmes comme diacres doit être clarifiée théologiquement. Selon lui, il ne faut pas laisser la question se décider par la seule évolution historique de l’Eglise, a-t-il fait savoir lors du 50e anniversaire de la Commission théologique internationale (octobre 2019, ndlr) », relevait Cath.ch en décembre. Le document final du Synode sur l’Amazonie, paru en octobre dernier, a aussi suggéré de retravailler la question du diaconat féminin, car des femmes accomplissent d’ores et déjà des tâches dévolues aux diacres ordonnés. 

« Cela pourrait être beau, mais l’autorisation de le faire manque encore », estime Colette Pembe Tornay lorsqu’on l’interroge sur la possibilité d’ordonner des femmes diacres. Quant à Bibiane Sanou, elle n’en voit pas la nécessité : « Les femmes s’impliquent activement dans la vie paroissiale en tant que bénévoles. Donner un statut particulier à certaines et pas à d’autres risque de provoquer des conflits. » La réflexion devrait même s’opérer plus largement. « Je suis persuadée que la place de la femme dans l’Eglise doit être mieux réfléchie. Personnellement, je ne désire pas le diaconat pour moi-même, et si cela devait s’ouvrir pour les femmes, cela ne doit pas forcément se réaliser dans le couple », avance Caroline Villiger Hugo.

L’accompagnateur des candidats au diaconat, Bertrand Georges, abonde dans le même sens. « Il est bien évident qu’il y aurait lieu de mieux prendre en compte les charismes féminins. Il y a parfois des compétences dont l’Eglise se prive. Je trouve par exemple regrettable que seules quelques femmes aient été invitées au synode sur la famille. » Il n’est toutefois « pas convaincu que la voie du ministère ordonné soit celle qu’il nous faut emprunter. Il n’en demeure pas moins que les inestimables services rendus par des femmes doivent être mieux valorisés ». Françoise Georges partage cet avis tout en soulignant que « personnellement, je n’aspire pas à l’ordination parce que je me sens pleinement à ma place et reconnue dans mon identité de femme. Même mariés, chacun garde une relation personnelle avec Dieu et vit son propre chemin de foi. Toutefois, je fais l’expérience que ma vie se trouve enrichie du don du sacrement de l’ordre qu’a reçu Bertrand. C’est comme un lien supplémentaire qui me rattache à l’Eglise ».

«Il est bien évident qu’il y aurait lieu de mieux prendre en compte les charismes féminins. Il y a parfois des compétences dont l’Eglise se prive.»
Bertrand Georges