«On m’a changé mon curé!»

«On m’a changé mon curé!»

«Tout fout le camp»: messe de 8h30 supprimée, nouveau curé, plus de secrétaire de paroisse, un inconnu comme président du conseil économique… «Je ne reconnais plus ma paroisse», peut-on parfois ouïr à la rentrée pastorale… Pourquoi donc tant d’émotionnel face à ces changements pourtant usuels?

Par Thierry Schelling
Photos: Jean-Claude Gadmer, Pxhere, Pixabay, DRMuter un prêtre ou réorganiser un horaire de messes déstabilise plus qu’il ne faudrait. A un point même qui peut surprendre. Il est vrai qu’inhérent à toute pratique religieuse s’expérimente con gusto la sécurité de la routine : « Dans la société, tout bouge, se déplace, y compris les citadins. Je peux comprendre que temple ou église doivent rester immuables afin de rassurer tout un chacun qu’au moins ça, ça ne change pas », confie la syndique d’une commune de l’Ouest lausannois.

Changement de prêtre

Il n’y a pas un manque de vocation dans nos contrées, à compter le nombre d’hommes et de femmes engagés à tous les niveaux (ou presque !) de la vie d’Eglise. Mais force est de constater qu’il y a raréfaction de prêtres. Cependant, on oublie que leur déplacement est souvent dicté par la nécessité d’équilibrer les forces (et les faiblesses !) sacerdotales sur tout le territoire diocésain, et est parfois décidé sur demande du concerné, pour des raisons objectives – sentiment du « devoir accompli », études spécialisées… – ou plus personnelles (santé, incompatibilité, etc.). 

Il n’en demeure pas moins vrai que le curé « clef de voûte » de toute une communauté qui le considère comme père, psy, conseiller, entremetteur, entrepreneur, c’est fini. Depuis des décennies. Ce qui, peut-être, est devenu habitude au sein du clergé – soit changer régulièrement – n’a pas été absorbé encore par maintes ouailles : « A la suite du départ de notre curé, nous nous sommes sentis orphelins », gémit une paroissienne très affectée par la réorganisation de son UP. Il y a désormais trois autres prêtres qui viennent, lui fait remarquer le modérateur, mais rien n’y fait : « Notre curé est parti. » Silence inconfortable de part et d’autre.

Horaires de messe

Les changements d’horaire des messes, un thème qui interpelle.

Un autre sujet qui mobilise fortement le « peuple de Dieu » : le changement d’horaire de la messe ! La sacro-sainte tabelle des célébrations est gage d’inviolable pérennité : « Mais… on a toujours fait ainsi ici, Monsieur le curé », fredonne-t-on sur divers tons plus ou moins mélodieux.

Or, leur réajustement est décidé, souvent pour faciliter la mobilité des célébrants qui, c’est vrai, diminuent, ou par justice envers plusieurs communautés « convivant » sur un même lieu ou parce que des travaux dans un sanctuaire en exigent la fermeture temporaire. Un paradoxe s’ensuit : alors que l’attachement des paroissiens à un horaire aurait semblé nourrir et renforcer leurs liens réciproques, dès le changement, dûment expliqué, annoncé, préparé, d’aucuns partent ailleurs illico presto pour retrouver avant tout… leur horaire fétiche ! Faisant fi de la communauté et du curé, les voilà soudainement mobiles ! Et le secrétariat essuiera pendant quelque temps les foudres des mécontents qui brandissent leur résolution : « Veuillez ne plus m’adresser de courrier de mon ex-paroisse ! »

Pourquoi ?

Ignace de Loyola parlerait-il d’« un attachement désordonné » ?

La religion, opium du peuple, garante des traditions, assurance-vie éternelle face à une vie terrestre ardue… La religion… on a dit tant de choses et l’on constate, c’est vrai, qu’elle a notamment la tâche d’encadrer et de transmettre. Encadrer un groupe humain pour le faire devenir communauté et lui faire vivre, célébrer et rencontrer son Dieu – en lui transmettant des manières de dire, d’agir et de vivre qui identifient ce groupe et le distinguent par rapport à « la masse » environnante.

Or, ce qui caractérise la vie actuelle, c’est bien l’horaire, le timing. Et ce qui assure la transmission, c’est bien l’officiel de la religion : prêtre, catéchiste, rabbin, imam, c’est-à-dire quelqu’un  légitimement formé pour « livrer » la religion, pour ainsi dire, aux adhérents, afin qu’ils ne s’égarent pas, ne se « désalimentent » pas et, à leur tour, qu’ils puissent partager ce qu’ils reçoivent, en sachant que c’est juste… Et tout cela, dans un rythme familier et rassurant.

Du coup, lorsque horaires et ministres du culte sont modifiés, c’est – apparemment – toute la religion qui s’étiole. Mais n’y a-t-il pas là plutôt des relents d’infantilisme et de « cléricisme » 1 ?

Infantilisme : Ignace de Loyola parlerait-il d’« un attachement désordonné » lorsque le ministre des sacrements n’est jugé qu’au prisme de sa fonctionnalité et/ou de l’affect qu’on lui porte et non pas d’abord comme une personne à part entière ? « Ils ne sont même pas venus à la messe d’au revoir pour me saluer », raconte, ému, un confrère lors de son départ. Où est l’« adulte dans la foi » qui, dans tous les autres domaines de la vie – professionnel, marital, familial, amical – vit ces changements structurels régulièrement, mais qui, quant à la vie ecclésiale, est complètement déboussolé ? L’écart entre vie « normale » et vie « chrétienne » a-t-il atteint son paroxysme ?

« Cléricisme » : le Concile Vatican II a renversé le schéma ecclésial prévalant alors : il a fait des clercs – le traditionnel haut de l’édifice – les serviteurs de la base qui pour le coup se retrouve sur le devant de la scène du monde et de l’ecclésiologie moderne. L’Eglise, c’est d’abord le Peuple de Dieu, laios tou theou2, les laïcs. Et malgré les notions de sacerdoce universel au nom du baptême, d’égalité entre femmes et hommes devant Dieu, de rapports synodaux et complémentaires non de par la différence sexuelle mais par les compétences (qui, elles, sont asexuées !) entre laïcs et ordonnés/consacrés, le réflexe que l’Eglise, c’est le clergé – voire le Pape ! – est encore bien vivace. C’est vrai, le Concile n’a que 60 ans à peine…

1 Néologisme pour éviter l’écueil du mot cléricalisme par trop galvaudé tant par ses défenseurs que ses pourfendeurs…
2 Terme grec pour Peuple de Dieu.

Alors, cette rentrée ?

Depuis que les célébrations, les écoles, l’industrie, la vie en quelque sorte, ont repris, des horaires auront été modifiés (cf. encart en page II), et des prêtres déplacés. Peut-on imaginer que ces changements sont accueillis « adultement » ? « Dans le fond, la communauté me manque », écrit une paroissienne à son curé sur le blog qu’il a ouvert dès les débuts de la crise du Coronavirus. Eh bien, moins de messes pour « groupuscules par trop rivés à leur banc d’église » et plus de regroupements intercommunautaires ne sont-ils pas souhaitables désormais ? Et pourquoi ne pas continuer à « skyper » les liturgies pour qui ne saurait réussir à venir à 10h le dimanche parce que malade, occupé avec des enfants en bas âge ou simplement désireux de revivre la profondeur de son attention participative comme lors du confinement ? On peut toujours écrire d’autres traditions…

Rentrée post-Corona

Pendant la pandémie, pasteurs et prêtres ont constaté que les célébrations liturgiques transmises par les multiples formes de réseaux sociaux ont attiré plus de monde que celles célébrées aux temples et églises… Qu’est-ce à dire ? Pour bien des paroissiens, ce fut une occasion inouïe de (re)découverte des gestes et des paroles de la célébration chrétienne qui, même par communion de désir, semblait remplir les cœurs et les esprits de manière plus bénéfique, plus sereine et plus adéquate qu’en « live » ! Il convient d’y réfléchir sérieusement. Comment prolonger cette qualité de participation ? Moins pour mieux, probablement. Et peut-être aussi lentement que nécessaire, mais rapidement que possible…