Servir l’autre pour servir Dieu

Servir l’autre pour servir Dieu

Se mettre au service de l’autre est une mission fondamentale de l’Eglise. A l’heure où les mesures de distanciation sociale nous obligent à reconsidérer notre rapport à autrui, comment se positionnent les communautés religieuses et les paroisses pour accompagner les personnes fragilisées par la pandémie au sein d’une société sécularisée?

Par Pascal Ortelli
Photos: Jean-Claude Gadmer, Pxhere, Caritas, DR« Aimer Dieu et aimer son prochain », tel est le cœur de l’Evangile. Au cours de l’histoire, de multiples congrégations religieuses ont vu le jour pour honorer cet adage. Santé, éducation, accueil des pauvres : voilà autant de domaines où elles ont œuvré en pionnières, avant que l’Etat et de nombreux laïcs – croyants ou non – ne prennent le relais. Aujourd’hui, ces communautés dites apostoliques sont appelées, tout comme les paroisses, à repenser les contours de leurs missions.

Au service de la vie qui se donne

Cap sur Agaune, où en plus de la présence pluriséculaire des chanoines de l’Abbaye, les sœurs de Saint Maurice ont été fondées à la fin du XIXe siècle pour s’occuper des orphelins de la région. Sœur Claire-Isabelle Siegrist, supérieure régionale, précise d’emblée que la congrégation ne se définit pas par une activité précise. Elle s’enracine dans le témoignage de Maurice et le mystère de Pâques : « La victoire de la vie sur la mort donne une coloration particulière à nos engagements. Nous nous mettons au service de la Vie qui se donne en toute personne rencontrée. »

Hier actives en priorité dans le monde des soins, les sœurs discernent aujourd’hui de nouvelles voies d’accompagnement. Dans leur maison d’accueil à La Pelouse, à Bex, elles proposent par exemple une initiation au yoga, pratique qui peut favoriser l’accueil de la Parole de Dieu et parler à nos contemporains. Elles continuent leur apostolat auprès des plus fragilisés à la paroisse Notre-Dame du Valentin à Lausanne et à Madagascar où la communauté a essaimé.
Ici et ailleurs » tab_id= »1600178892917-0a498297-fe9c »]« L’énergie de la vie religieuse passe du Nord au Sud », confie sœur Franzisca de l’Œuvre Saint-Augustin. Pour continuer à servir l’autre, les sœurs ont construit un nouvel immeuble à Saint-Maurice, comprenant un centre médico-social, des appartements protégés et un cabinet pour cinq médecins. Les revenus générés permettent aussi de soutenir le développement de leur communauté en Afrique. 

En passant le témoin

La coordination de l’Accueil
Sainte-Elisabeth est assurée par Olivier Messer.

Religieuses et prêtres ont inspiré de nombreuses œuvres de charité aujourd’hui portées par des laïcs. A Fribourg, l’abbé André Vienny (1948-2017) a fondé Le Tremplin, un centre de réinsertion pour les personnes toxicodépendantes. Il est également à l’origine de l’Accueil Sainte-Elisabeth, un lieu qui regroupe sur un même site l’aide apportée par les paroisses du Grand-Fribourg auprès des plus démunis. C’est une première ! Sis dans les locaux des sœurs de la Visitation, la coordination en est confiée à Olivier Messer, un laïc aumônier de prison.

La Fondation Mère Sofia poursuit à Lausanne l’engagement de cette moniale orthodoxe au service des gens de la rue. Indignée de voir autant de pauvreté dans un pays comme la Suisse, Mère Sofia (1947-1996) a révolutionné l’approche d’aide en privilégiant une attitude de proximité et de non-jugement de la personne en détresse.

A Sion, l’association Accueil Hôtel-Dieu a été créée en 2014 pour donner suite au travail effectué par les sœurs hospitalières. Sa responsable Joëlle Carron, une laïque nommée déléguée épiscopale pour la diaconie en Valais, vient de passer sa patente de restauratrice. L’accueil occupe en effet un ancien restaurant remis en activité. Il abrite aussi la toute nouvelle Maison de la diaconie, qui a pour mission de fédérer les synergies entre les différents acteurs ecclésiaux engagés au service de la solidarité.

L’affaire de tous

De telles démarches renforcent les ponts avec la société civile et les personnes éloignées de l’Eglise. Le réseau Caritas agit depuis longtemps dans ce sens. La Suisse compte seize associations régionales indépendantes qui réalisent localement des projets sociaux (accompagnement social et juridique, épicerie solidaire, prévention à l’endettement, etc.) en s’inspirant de l’Evangile et de l’enseignement social de l’Eglise. 

« Notre manière d’être au service se distingue des autres œuvres d’entraide par le nom même de notre association, précise Dominique Froidevaux, directeur de Caritas Genève. Caritas est l’un des noms latins de l’amour retenu par les premiers chrétiens pour insister sur la considération due à chacun au-delà du cercle familial. » L’enjeu est de servir par amour, en dépassant la simple assistance et en actionnant les leviers socio-politiques pour résorber les causes structurelles de la pauvreté dans notre société. 

Cela ne doit pas rester l’affaire de quelques spécialistes. C’est l’affaire de tous. Philippe Becquart, responsable du département des adultes de l’Eglise catholique vaudoise, nous le rappelle à la suite du pape François : « En vertu de notre baptême, nous sommes tous des disciples-missionnaires appelés à nous mettre pleinement au service de l’autre. »

Le réseau Caritas réalise des projets sociaux en s’inspirant de l’Evangile.

La solidarité comme perfection de l’amour

A Genève, la Pastorale des Milieux ouverts a adopté une telle posture durant le confinement. Sa responsable Inès Calstas témoigne : « Chaque action entreprise a été discutée au préalable lors d’une réunion à l’extérieur (en raison des normes sanitaires) avec les personnes de la rue. Nous avons choisi de rester ouverts, alors que de nombreuses autres structures ont dû fermer parce qu’elles reposaient sur l’engagement de bénévoles à risque qui ont plus de 65 ans. » Aux heures les plus noires de la pandémie, un espace d’espérance et d’amour, notamment en assurant trois fois par semaine le service d’un repas chaud suivi d’un temps de repos ou de jardinage et en confectionnant plus de 800 masques en tissu avec et pour les personnes les plus démunies, s’est ainsi créé. « Des bénévoles qui se sentaient loin de l’Eglise en raison de leur situation de vie s’en sont rapprochés. Je commence à recevoir de nouvelles demandes de baptême », confie Inès Calstas, émue.

Hier comme aujourd’hui, le service de l’autre crée des liens. L’Eglise, plus que jamais, est appelée à être là quand toutes les autres portes se ferment. « Dieu, comme nous le rappelle saint Jean, personne ne l’a jamais vu. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour atteint en nous
sa perfection. » (1 Jn 4, 12)

Servir avec un visage de joie

L’abbé Vincent Lafargue, prêtre du diocèse de Sion en ministère sur le secteur paroissial d’Aigle, plaide pour qu’il y ait dans chaque paroisse un délégué qui travaillerait de concert avec les autorités civiles pour repenser la solidarité : « L’un aurait le temps en sa faveur, les autres : les moyens. Notre manière de servir doit avant tout passer par une bonne communication et un visage de joie. Car cela touche les gens », affirme-t-il sans ambages.