La Réforme, cinq siècles d’histoire

La Réforme, cinq siècles d’histoire

Deuxième partie – La Réforme en Suisse

Après m’être attardée sur des personnalités qui ont joué un rôle dans l’origine de la Réforme et influencé Martin Luther sans avoir toujours été reconnues à leur juste valeur, dans cette deuxième partie, je m’attache aux figures d’Ulrich Zwingli et Pierre Viret, qui ont posé les fondations de la Réforme en Suisse. Cette deuxième partie comprend deux volets. Voici le premier.

Par Fabiola Gavillet Vollenweider
Photos : DRSi notre pays est à juste titre qualifié de petit, son histoire est d’une telle complexité qu’elle pourrait décourager les amateurs les plus férus d’histoire. Difficulté supplémentaire : contrairement à la plupart des pays, la Suisse n’aime pas les figures de proue ou les héros, locaux ou étrangers (hormis Guillaume Tell qui, lui, tient plus de la légende). Aussi, pour trouver de la documentation sur ces femmes et ces hommes d’exception qui ont participé à la construction de notre pays, il faut souvent aller chercher au-delà de nos frontières, dans les archives des pays qui à ce moment-là partageaient avec nous un segment d’histoire commune.

La Suisse au début du XVIe siècle

On ne parlait pas vraiment de Suisse au XVIe siècle, mais de Confédérés fonctionnant en un système d’alliances fermées où se distinguaient des cantons et des territoires alliés dont les finalités politiques et économiques étaient différentes. Cet ensemble se composait de treize cantons, six cantons sans ville importante (Uri, Unterwald, Schwytz, Glaris, Zoug et Appenzell) et sept cantons / villes territoires (Zurich, Lucerne, Berne, Bâle, Fribourg, Soleure et Schaffhouse) ; quinze alliés souverains dont Saint-Gall, Genève, Neuchâtel, le Valais et les Grisons ; des baillages communs comme l’Argovie, la Thurgovie et le Tessin.

Les Confédérés forment un ensemble qui n’a pas de lien constitutionnel unique ou commun. Berne, Fribourg et Zurich montent en puissance depuis la fin du 15e siècle. Les Confédérés sortent victorieux des guerres les opposant au duché de Bourgogne. En 1499, ils obtiennent leur indépendance vis-à-vis de l’Empire de Charles Quint. En 1516, ils signent le traité de paix perpétuelle avec la France (toujours en vigueur). En 1526, Genève signe l’Alliance ou la Combourgeoisie de Berne-Fribourg-Genève.

La Savoie se détournant de la France pour s’allier à Charles Quint, Berne, alliée de la France, n’a plus besoin de ménager le duc Charles II de Savoie. En 1536, les Bernois occupent un territoire recouvrant l’actuel canton de Vaud, une partie du Chablais et le Pays de Gex. Ils mènent une campagne éclair pour porter assistance à leur alliée, Genève, contre le duc de Savoie.

La Suisse en 1515.
La Suisse en 1515.
La Suisse en 1536.
La Suisse en 1536.

Premiers signes de la Réforme

Lorsqu’on parle de la Réforme en Suisse, on à tendance à penser tout de suite à  Guillaume Farel, Jean Calvin et Genève. Pourtant, l’arrivée de ce dernier dans la cité du bout du lac ne tient qu’au hasard d’une route barrée par la guerre qui a modifié son itinéraire. Banni de Bâle en 1536, il se rend à Paris pour régler quelques affaires familiales avant de gagner Strasbourg, où il a l’intention de poursuivre ses études. A ce moment-là, il a déjà pris connaissance des écrits de Luther et élaboré sa propre doctrine.

A Genève, un certain Guillaume Farel l’exhorte à rester et lui demande de l’aider à asseoir la nouvelle Foi dans la cité. Il va même jusqu’à menacer Calvin. Effaré, ce dernier craint une nouvelle persécution et répond positivement à la requête de Farel. Mais bien avant cela, la Réforme avait été introduite à Zurich par un certain Ulrich Zwingli en 1524, puis à Berne dès 1528. Petit retour dans le temps.

Qui était Ulrich Zwingli ?

Ulrich Zwingli.
Ulrich Zwingli.

Ulrich Zwingli (1484-1531) est issu d’une famille de paysans aisés. Après une formation humaniste à Vienne, Berne et Bâle, il est ordonné prêtre à Glaris en 1506. Grand admirateur d’Erasme, il traduit la Bible en allemand: ce sera la toute première édition à proposer tout l’Ancien Testament dans cette langue.

Lors des guerres du Piémont, Zwingli accompagne un contingent de 150 mercenaires suisses en tant qu’aumônier. Son engagement auprès des milices ainsi que les victoires de ces soldats décident le pape Jules II à lui allouer une rente annuelle de 50 pièces d’or en reconnaissance des services rendus. Malheureusement, la chance tourne : à la bataille de Marignan, en 1515, plus de 20’000 soldats confédérés sont massacrés. Zwingli quitte l’aumônerie militaire.

Après un passage à l’abbaye d’Einsiedeln en tant qu’aumônier, il rencontre Erasme  l’année suivante. Cette rencontre marque profondément sa sensibilité humaniste. Il est nommé prêtre à Zurich. Son besoin d’un retour à la pureté originelle de l’Evangile le pousse à ne plus prêcher chaque dimanche les passages de la Bible envoyés par Rome, mais à suivre le texte biblique tel qu’il se présente. Pour Zwingli, les Ecritures sont le fondement de la foi.

Il écrit 67 thèses qu’il défend devant les autorités de la ville. Elles se laissent convaincre de la justesse de la nouvelle Foi, y voyant un moyen d’asseoir leur affranchissement politique et spirituel vis-à-vis de Rome. Zwingli est nommé prédicateur à la cathédrale de Zurich.

Malheureusement, l’enthousiasme du retour aux sources s’accompagne de débordements et d’exactions. La messe est abolie, les images et les statues détruites, la musique et le chant interdits pendant les célébrations. Dès 1524, tout nouveau-né doit être baptisé dans la nouvelle Foi sinon sa famille, dans un premier temps, se voit exilée de Zurich ; dans un deuxième temps, la punition peut aller jusqu’à l’emprisonnement et la condamnation à mort par noyade. Une première scission donne naissance aux anabaptistes qui veulent que seuls les vrais croyants soient baptisés, limitant ainsi ce sacrement aux adultes. Sur décision des autorités, leur chef de file, Félix Manz, est exécuté par noyade dans la Limmat. Zwingli ne semble pas avoir participé activement à cette dérive, mais il fera par la suite preuve d’intransigeance.

Il instaure l’obligation, pour les prédicateurs (pasteurs), de participer à des séances d’étude des Ecritures en latin, grec et hébreu cinq jours par semaine ; dans la deuxième partie de la rencontre, des laïcs sont accueillis pour une étude de la Bible traduite en allemand ; la fin de la rencontre réunit pasteurs et laïcs pour une méditation et une prière d’intercession. Nous sommes en 1525. Rome mettra un peu plus de quatre siècles, lors du concile Vatican II, à rendre ainsi la Bible accessible à tous.

Pourquoi cette intolérance ?

La Réforme, en Suisse comme ailleurs,  n’a pas été l’affaire d’un seul individu, car ainsi elle n’aurait probablement pas eu d’avenir ; mais bien du pouvoir en place. Au premier abord, on pense être en présence d’un élan humaniste et d’une volonté sincère de retrouver la pureté des Ecritures face à une Eglise éloignée de ses fondements. Mais il s’avère que ce sont surtout les pouvoirs politiques locaux aspirant à une indépendance vis-à-vis de Rome ou de l’Empire qui saisissent l’opportunité de cette réforme religieuse. Elle devient un outil de rébellion qui leur permet de prendre en main la vie spirituelle et civile des citoyens. Les autorités instituent leurs propres Eglises. Les couvents et les monastères sont sécularisés et leurs biens  affectés à des oeuvres de charité gérées par l’Etat. Les fonctions qu’assurait l’Eglise sont reprises par l’Etat.

La nouvelle Foi adoptée à Zurich, que deviennent les relations de la ville avec les cantons catholiques ? Zwingli demande simplement que la prédication selon la nouvelle Foi soit tolérée dans tous les territoires confédérés et alliés, croyant sincèrement que la force de la Parole fera le reste. Cela peut sembler naïf dans un tel contexte. La réaction des cantons catholiques face à cette évangélisation dans la nouvelle Foi ne se fait pas attendre. L’assassinat d’un prédicateur dans le canton de Schwytz déclenche un premier conflit ouvert qui est traité par voie diplomatique. Un deuxième conflit éclate, à Kappel en 1531 : Zwingli et les Zurichois essuient une défaite. Zwingli perd la vie ainsi que vingt autres pasteurs.

Malgré quelques conflits déclarés, aucun canton n’a essayé d’imposer la Réforme ou le catholicisme à un autre par la force. On a affaire à une réaction de défense, non d’agression. Lorsque « l’ingérence » ne peut se régler diplomatiquement, alors on déclenche une intervention armée. Les Confédérés savent qu’un conflit armé interne les affaiblirait face aux menaces externes et mettrait en danger leur toute jeune indépendance vis-à-vis du Saint-Empire, obtenue en 1499.

Zwingli a-t-il rencontré Luther ?

Oui, en 1529, lors du Colloque de Marbourg, qui réunissait les principales figures de la Réforme. Mais Zwingli s’en éloigna rapidement. Leur pierre d’achoppement? Ils ne s’accordaient pas sur la présence réelle du Christ dans le pain et le vin. Pour Luther, le pain et le vin de la cène contiennent la présence du Christ alors que pour Zwingli, le Christ n’est présent spirituellement que grâce à l’action de l’Esprit Saint dans le cœur des croyants. Selon lui, la présence du Christ est exprimée par l’acte des croyants participant à la cène et non par une présence dans les espèces.

Après que Zurich eut adopté la Réforme, ce fut au tour de Berne d’y adhérer. Zwingli en fut également le mentor. Mais l’adhésion de Berne sera lourde de conséquences pour le Pays de Vaud.

Wordpress Social Share Plugin powered by Ultimatelysocial
LinkedIn
Share
WhatsApp