Saint-Maurice! Tout le monde descend!

Saint-Maurice! Tout le monde descend!

PAR PIERRE-GEORGES PRODUIT
PHOTOS : ANDREA MORESINO ET FRANZ MÜLLER

L’une des chapelles du Ranft.
L’une des chapelles du Ranft.

Nicolas de Flüe écrit à un dominicain en 1469 : « Lorsque j’étais un jeune homme, je pris une épouse et j’étais puissant au tribunal et au Conseil, ainsi que dans les affaires d’Etat de ma patrie. Cependant je n’ai pas souvenir d’avoir favorisé quelqu’un, de telle sorte que je me serais écarté du chemin de la justice. Devant tous les hommes, je louais et j’appréciais la race des rois et des prêtres, c’est-à-dire les prêtres du Christ, de telle sorte qu’il me semblait voir un envoyé de Dieu dès que je voyais un prêtre. Ce n’est que de cette façon, je pense, que j’en vins à éprouver un tel respect et une telle vénération pour le Saint Sacrement du Corps et du Sang de Jésus-Christ. »

Ces propos, Nicolas les tient deux ans après avoir quitté sa famille, son exploitation de paysan de montagne et ses fonctions politiques et militaires dans le canton d’Obwald. Né en 1417, à 50 ans, il quitte tout après des années de questions et de prières. Il quitte non pas parce qu’il veut, mais parce qu’il le doit.

Dans le registre paroissial de Sachseln de 1488, on lit ceci : « Il apparaît aussi que frère Nicolas aurait dit plus d’une fois que Dieu lui avait accordé entre autres trois grandes grâces : la première était qu’il obtint de sa femme et de ses enfants la permission de se consacrer à sa vie d’ermite, la deuxième qu’il n’éprouvât jamais le besoin de se détourner de ce mode de vie et de revenir auprès de sa femme et de ses enfants, la troisième qu’il put vivre sans manger et sans boire. »

En 2017, 600 ans après la naissance de Nicolas, 70 ans après sa canonisation par Pie XII, il apparaît heureusement de plus en plus qu’on doit relier en permanence Nicolas à son épouse Dorothée. Peut-être n’a-t-on pas, en son temps, prêté assez attention à cette phrase du discours de Pie XII le lendemain de la canonisation : « De son union de vingt ans avec Dorothée Wyss, il forma une famille florissante avec dix enfants. Aujourd’hui, à cette heure solennelle, le nom de son épouse mérite d’être cité aussi. A travers le renoncement volontaire à son époux, un renoncement qui ne lui fut pas facile, et à travers son attitude sensible et véritablement chrétienne durant les années de séparation, elle a œuvré afin de vous offrir le sauveur de la patrie et le saint. » Nous avons tendance à replacer les saints dans les temps où ils ont vécu. C’est bien et nécessaire d’un côté, mais c’est faux aussi. Les saints sont des vivants, des vivants maintenant. Quand nous prions Marie ne dit-on pas : prie pour nous maintenant ? Nicolas et Dorothée prient maintenant pour notre pays, nos familles et le monde entier. Que demandent-ils ? Dieu le sait ! Ses pensées ne sont pas nos pensées, mais peut-être nous sera-t-il possible de le savoir un peu si nous nous intéressons à la vie de frère Nicolas, si nous pèlerinons de temps en temps avec lui vers le Ranft… Nicolas aimait par-dessus tout la paix, « la paix qui est toujours en Dieu ». Le cardinal Charles Journet a écrit dans son livre : Saint Nicolas de Flüe : « Pourquoi la Suisse en plein milieu de deux guerres d’une violence extrême, incertaine de son avenir le plus proche, a-t-elle été épargnée, la première fois pendant quatre ans, la deuxième pendant six ? Nous n’étions ni plus intelligents, ni mieux armés, ni d’aucune autre manière meilleurs que tant d’autres peuples, qui, l’un après l’autre, ont été engloutis par la fournaise. Nous n’en saurons la vraie raison que lors de la révélation au Dernier Jour. »

Une journaliste tessinoise, Kathrin Benz, descendante de Nicolas par sa maman obwaldienne, a écrit un livre très intéressant et bien documenté sur son ancêtre à l’occasion du 600e anniversaire de sa naissance. J’aimerais m’arrêter juste sur son titre : « Der Aussteiger » ! Vous souvenez-vous de l’époque où les contrôleurs CFF traversaient les wagons en annonçant chaque gare ? Quand arrivait Saint-Maurice, ils annonçaient souvent, surtout en fin de journée : « Saint-Maurice, alles aussteigen ! Saint-Maurice, tout le monde descend ! » Et il fallait changer de train… pour aller plus loin. Eh bien, Nicolas, un jour, est descendu du train ! Qui n’a pas parfois envie, aujourd’hui, de descendre du train ? Nicolas, en ce sens, est bien de notre temps et pour notre temps. S’intéresser à lui, c’est s’intéresser à nous. Il est plus proche de nous que nous-même dirait saint Augustin. « Et quiconque aura quitté maison, frères, sœurs, père, mère, enfants ou champs, à cause de mon Nom, recevra le centuple et aura en partage la vie éternelle. » (Mt 19-29) Nicolas fait donc ses adieux, prend une autre voie et part pour l’Alsace. Il ne reviendra plus, pense-t-il. A peine arrivé à Liestal le voilà poussé par un paysan à retourner sur ses pas. Il a tout quitté… et il se retrouve quelques jours après dans la gorge du Ranft, à quelques centaines de mètres de sa maison ! Il a tout quitté pour Dieu seul… et il retrouve tout et tous, mais autrement, dans un autre train, sur une autre voie, à un autre niveau, dans un autre esprit. Il voulait la solitude, il l’a dans la cellule et la chapelle que ses compatriotes lui construisent deux ans après son retour. Pour le faire, il fallait qu’ils soient convaincus de sa sainteté ces confédérés méfiants, rugueux, fiers… et parfois assez attachés à l’argent ! La solitude bien sûr et pourtant que de visiteurs venus chercher auprès de lui conseils, consolation, guérison, réconciliation. Il a tout quitté pour Dieu et voilà qu’il l’a fait pour nous aussi. En effet, parlerait-on de Nicolas de Flüe aujourd’hui s’il n’était pas descendu du train et dans les gorges du Ranft il y a 600 ans ?

Finissons ce papier, qui se trouve être le dernier que j’écrirai pour notre petit journal, par un extrait de la prière du pape saint Jean-Paul II, le 14 juin 1984 devant le tombeau de frère Nicolas à Sachseln : « Par frère Nicolas et sa femme en odeur de sainteté, laisse-nous (Seigneur) reconnaître de plus en plus que la vraie réconciliation et la paix durable ne peuvent venir que de Toi. C’est pourquoi nous nous ouvrons à l’Esprit, en Te priant ensemble instamment pour la paix dans nos cœurs et la paix dans le monde, avec les paroles même du saint : Mon Seigneur et mon Dieu, ôte de moi tout ce qui m’éloigne de Toi. Mon Seigneur et mon Dieu, donne-moi tout ce qui me rapproche de toi. Mon Seigneur et mon Dieu, détache-moi de moi-même pour me donner tout à Toi. »

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