Rencontre avec Christian Bobin

Rencontre avec Christian Bobin

«L’amour est le miracle d’être un jour entendu jusque dans nos silences, et d’entendre en retour avec la même délicatesse: la vie à l’état pur, aussi fine que l’air qui soutient les ailes des libellules et se réjouit de leur danse.»

Par Laure Barbosa
Photos : DREcrivain et poète français, né au Creusot en 1951. « Amoureux du silence et des roses », il cultive à l’écart du monde et des milieux littéraires, l’art de la vie simple et la manière des petites choses. Celui dont « l’écriture est le cœur qui éclate en silence » et « le verbe, un soleil impérissable », ouvre ses lecteurs à l’émerveillement, suscite un changement de regard qui change la vie. Auteur à succès depuis les années 90, il a reçu plusieurs distinctions dont le Prix d’Académie 2016 pour l’ensemble de son œuvre et il demeure discret.

Croître en clarté. – Distillant sa prose poétique inégalable, où l’intime et l’infime portent à l’universel, par fragments, touches légères et transparentes, aphorismes, comme un tableau en filigrane révèle la splendeur enfouie dans l’humilité du quotidien. Chacune de ses phrases pourrait éclore en citation, à l’oral aussi bien qu’à l’écrit, d’ailleurs on ne s’est pas privé de planter ces fleurs un peu partout. Telles des perles d’eau vive pétillant sous nos yeux : difficile de ne pas avoir été ébloui par le flash lumineux de quelques-uns de ses mots, au détour d’une lecture, touché en plein cœur par leur écho. Les titres de ses livres sont autant d’invitations décalées et colorées à se délecter du contenu, se retenant de lire trop vite car l’écriture est brève et concentrée dans « le but de croître en clarté ». En cette ascèse toujours quête d’un fragile équilibre, l’essence-ciel se laisse dire presque sans faire de bruit et son approche, plus mystique que religieuse, permet à de nombreux amateurs de Bobin de renouer avec la spiritualité. La grâce de l’inutile futile dans un monde pris dans la rentabilité et l’efficacité.

« Ce qui s’enfuit du monde c’est la poésie. La poésie n’est pas un genre littéraire, elle est l’expérience spirituelle de la vie, la plus haute densité de précision, l’intuition aveuglante que la vie la plus frêle est une vie sans fin. »

Au service de l’humain. – Si des écrivains méritent d’être lus, certains gagnent aussi à être connus ! Novembre dernier en France voisine, autour du joyau commun de notre « homme-joie », j’étais partie sur la piste d’un moine comédien au parcours atypique qui crée et interprète ses spectacles « Seul en scène » avec les écrits de l’auteur dont la découverte a apporté un tournant à son existence. Grégoire Plus, Frère de Saint-Jean mais d’abord Chercheur de Lumière, précise : « mes spectacles ne sont pas faits pour transmettre un message de foi mais pour servir l’humain ». Depuis plusieurs années, avec la bénédiction de Bobin lui-même qui au sortir de scène lui a offert ce compliment : « Vous donnez de la joie ! Je vous ai vu et je sais que votre visage, vos mains, tout votre corps rendra à mes phrases l’énigme et même la dureté dont elles ont besoin », il s’adonne passionnément à ce service que ce soit au Festival Off d’Avignon, dans la salle à manger du presbytère de l’Île-aux-Moines ou en tournée.

A la rencontre. – Par son amitié, il m’a été donné de rencontrer Christian Bobin en toute simplicité, chez lui au cœur de la Bourgogne, dans sa petite maison aux volets maculés de ciel bleu en lisière de forêt. C’est sur ce chemin des sous-bois, où paraît-il on voit parfois des renards, que je me suis promise de partager la joie débordante de cette extraordinaire entrevue. 1

« Il y a ainsi des gens qui vous délivrent de vous-même – aussi naturellement que peut le faire la vue d’un cerisier en fleur ou d’un chaton jouant à attraper sa queue. Ces gens, leur vrai travail, c’est leur présence. »

L’homme des « petites choses ». – Ce travail que son œuvre littéraire accomplit, Christian Bobin l’incarne dans la vérité de sa présence charnelle et fraternelle, la délicate attention du regard qu’il porte sur les gens comme sur tout ce qui l’entoure, la gaité légère et enfantine de son rire qui nous trouve soudain tout trempés, surpris du déferlement de ses cascades joyeuses, la contagion de l’intelligence douce et tranquille dans la liberté de sa pensée, la justesse de l’émotion qu’on voit pudiquement passer sur la pointe du cœur sous la chaleur de ses yeux. « J’essaie de vous dire une chose si petite que je crains de la blesser en la disant. Il y a des papillons dont on ne peut effleurer les ailes sans qu’elles cassent comme du verre. »

Eloge de la fragilité. – A ses détracteurs qui le taxent de mièvrerie, d’écrivain catho ou gourou ronronnant, maître de l’image éblouissante poético-philosophique, as de la métaphore extatique et de la parabole éthérée, on dirait que cela confirme la dure réalité de l’amour pas aimé. L’éloge de la fragilité est comme un glaive tranchant entre attendrissement et agacement : « C’est une manière sûre, pour reconnaître la vraie beauté, que de mesurer la haine qu’elle attire sur elle. Le visage du Christ, avant d’être enluminé par les moines agoraphobes, l’a été par l’or blanc des crachats. » On réaliserait peut-être que « La douceur est la fleur la plus sauvage en nous ! » puisqu’elle exige un vrai courage, poésie de l’espérance : « Dans l’imaginaire courant, c’est un peu comme si ceux qui avaient la foi possédaient un compte en banque ! La confiance et la tranquillité en sortiraient à jets continus. Mais pour moi, la foi, ce n’est pas ça du tout. Elle se paie parfois cher et apparaît sur fond de ténèbres, de doutes ou de compassion. J’ai appris que cette vie n’est pas une noce. Elle est fabuleuse, mais elle est terrible aussi. Les deux aspects sont indissociables. Le Dieu auquel je crois n’est pas fort, mais il est aussi invincible qu’un courant d’air. C’est-à-dire qu’il rentre dans les têtes et dans les vies alors qu’elles se croyaient cloîtrées, comme bétonnées par la convention, par un faux repos, par de fausses certitudes. Donc, c’est un Dieu qui est plus dérangeant qu’arrangeant. »

1 Première suisse

Laure et Christian lors d’une séance de dédicaces à Crans-Montana au terme de la soirée «Conversations avec Christian Bobin» en 2016.
Laure et Christian lors d’une séance de dédicaces à Crans-Montana au terme de la soirée «Conversations avec Christian Bobin» en 2016.
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