Piété et tradition

Piété et tradition

La foi du charbonnier et celle du théologien ont-elles le même droit de cité dans l’Eglise? La foi s’est toujours exprimée sous des formes marquées par la culture où elle a pris racine, tantôt plus populaires, tantôt plus rationnelles.

Par Pascal Bovet
Photos: Jean-Claude Gadmer
Les fidèles en procession de la Fête-Dieu ou le professeur de théologie proclamant « la vérité » du haut de son pupitre ont en commun la confiance, ou la foi, et l’attachement à une personne qu’ils nomment parfois Dieu et parfois l’Autre.

Dans un même passage biblique, une femme cherche à toucher la frange du manteau de Jésus… et un chef de la synagogue fait venir Jésus au chevet de sa fille : les deux sont exaucés. (Matthieu 8, 18-26)

Rogations et petits pains

Dans une tradition proche de la terre, il y avait l’intercession des fidèles pour un temps clément et pour des récoltes favorables. Et pour l’exprimer, les fidèles prenaient le chemin des champs, s’arrêtaient à une croix, priaient le rosaire, faisaient mémoire des défunts : un rite symbolique avec le cosmos, Dieu et les défunts. Et cela, suivant les paroisses, durant les trois jours précédant l’Ascension. Beaucoup de contemporains n’ont pas connu cette pratique, impensable en milieu urbain. Aujourd’hui, les rogations ne remplissent plus les greniers !

Le mois de février était riche en rites populaires : à la sainte Agathe, les petits pains rappelaient le martyr de la Vierge et devenaient assurance contre l’incendie. Toute proche, la Saint-Blaise vous protégeait des maux de gorge peu après avoir goûté aux crêpes de la Chandeleur.

Le carnaval signifiait la fin des festivités et l’entrée en austérité. Certains y voient des pratiques obscures alors que d’autres re­grettent ces expressions de piété populaire. 

De quel droit pouvons-nous juger de la foi d’autrui ? Depuis que l’homme est humain, il a pensé pouvoir compter sur une protection contre la nature qui peut lui être hostile, sur la nourriture dont il a besoin et sur les fêtes qui marquent les saisons et les évé­nements. Et il se tourne vers ce qu’il perçoit comme un salut, en un mot Dieu : le pèlerin en marchant, ce qui n’empêche pas de réfléchir, le professeur en enseignant, ce qui ne doit pas l’empêcher de marcher.

Religion populaire: come-back?

Les effets de la Réforme protestante, l’évolution des sciences peuvent pousser à croire à la vanité de certaines pratiques douteuses. L’argument ne manque pas de pertinence : ce ne sont pas les sacrifices que je veux, mais la volonté de mon Père… Si tu es Fils de Dieu, change ces pierres en pain…

On peut se demander parfois jus­qu’où va cette foi, tant son expression surprend ou s’attache à des éléments étranges, soupçonnés de pouvoirs magiques, de visions et de miracles. L’expression populaire n’est pas à l’abri des excès et de déformations. « Regardée avec méfiance pendant un temps, elle a été l’objet d’une revalorisation dans les décennies postérieures au Concile Vatican II. » (Pape François, La joie de l’Evangile,
no 123)

Une succession de papes

D’origine sud-américaine, le pape François a grandi dans un climat de religion populaire avant de se pencher plus intellectuellement sur la foi. Sa fibre communicative est d’abord expression extérieure qui traduit un intérieur. Pour lui, la piété populaire est la porte de la foi, la première entrée possible et praticable, transmise souvent par tradition plus que par conviction, où les sens jouent un rôle important. 

Mais déjà ses prédécesseurs, de Paul VI à Benoît XVI, ont re­connu la valeur de la piété populaire qui peut jaillir du cœur des simples en toute vérité. La Nouvelle Evangélisation, chère au pape Jean-Paul II s’est fondée sur la piété populaire. Le Droit canonique spécifie les devoirs et limites à respecter dans le culte, les sacrements, la vénération des saints et les bénédictions. 

L’expression n’est pas encore courante lors du Concile Vatican II. On se méfie encore de ce qui peut porter ombrage à une foi pure, sans compromission avec la magie. On doit au pape Paul VI, par son exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, d’avoir mentionné positivement la piété populaire comme une expressions de l’Esprit Saint pour la mission de l’Eglise. « Elle traduit une soif de Dieu que les humbles et les pauvres peuvent connaître. » (Evangelii Nuntiandi, no 48) Le pape François va jusqu’à écrire : « On peut dire que le peuple s’évangélise continuellement lui-même. D’où l’importance de la piété populaire, expression authentique de l’action missionnaire spontanée du Peuple de Dieu. Il s’agit d’une réalité d’un développement permanent où l’Esprit Saint est l’agent premier. » (La joie de l’Evangile, no 122)

Pourquoi des réserves ?

Une certaine ambiguïté subsiste : mouvement autorisé, inspiré par l’Esprit, mais spontané… donc sujet aux menées partisanes ou intéressées toujours possibles. 

Durant plusieurs siècles, ce sont les fidèles qui vénéraient un personnage, quitte à le canoniser ensuite. Devant les abus, l’Eglise s’est réservé ce droit. On peut faire mémoire de la prudence de  l’Eglise lors des apparitions de Lourdes au XIXe siècle : arbitrer un conflit entre foi, science et politique.

De nos jours, une situation est  peu claire : Medjugorgje (Bosnie-Herzégovine). Ce lieu de pèlerinage ne bénéficie pas de reconnaissance officielle, faute d’éléments probants sur la nature des apparitions, mais aussi en réaction aux tentations de récupération politique des prises de parole (messages) de la Vierge Marie. Ce qui ajoute le charme du défi aux nombreux pèlerins qui prennent régulièrement la route  dans cette direction. 
L’Eglise a trois missions essentielles : enseigner, guider et sanctifier. Elle les remplit par des actions précises, entre autres par les sacrements qu’elle reconnaît conformes à l’Evangile.

Puis il y a les sacramentaux : sans avoir le statut de sacrements, des rites ont une reconnaissance officielle: bénédiction, consécrations…

Enfin, la piété populaire.

Pour résumer le CEC termine ainsi le chapitre sur les sacramentaux (Catéchisme de l’Eglise catholique, 1992, no 1679) : « En plus de la liturgie, la vie chrétienne se nourrit des formes variées de la piété populaire, enracinée dans diverses cultures. Tout en veillant à les éclairer par la lumière de la foi, l’Eglise favorise les formes de piété populaire qui expriment un instinct évangélique et une sagesse humaine et qui enrichit la vie chrétienne. » 

Que mettons-nous sous le mot piété populaire?

Deux francs à saint Antoine, bénir des animaux, accomplir des peines douloureuses, bénir une médaille, vénérer les reliques, fêter la Saint-Valentin, une neuvaine à sainte Rita, brûler un cierge à l’église ou au cimetière, porter la médaille de saint Christophe dans sa voiture…

Chacun aura sa manière de classer ces pratiques. Quand certains y voient un acte de foi ou de confiance, d’autres reconnaissent un acte magique. De plus certains gestes ont été cultivés dans les rites officiels.

Petit fait divers

« Oui, je viens pour régler mes comptes… Avec qui ? Dieu bien sûr…

J’ai perdu mon mari il y a deux ans. Je n’ai pas supporté : pourquoi Dieu m’a fait ça ? J’ai tout laissé tomber, la messe, etc. Quelquefois un cierge à la Madone… 

Puis j’ai eu mon accident, une brûlure grave, un peu de ma faute, cette fois-ci… Et vous voyez, il n‘en reste pas trop de dégâts…

Alors j’ai pensé que c’était le moment de faire la paix… Inscrivez trois messes :
une pour mon mari, une en action de grâce à Marie et l’autre… pour qui vous voulez… »

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