Par Gaby Zryd-Sauthier
Dessin: Marius Zryd Ce soir, ma tendresse se tourne vers les héros du quotidien. De notre quotidien, puisqu’il nous a été donné la grâce de vieillir à deux. Je m’interroge : quelle force les soutient, mettant entre parenthèses leurs soucis privés, pour s’attarder avec les nôtres ?
Sur ma table, un adieu laissé par une mourante et des faire-part de naissance. Le premier parle de l’âme, du passage mystérieux accepté d’avance, mais beaucoup craint. Je m’émerveille sur cet autre passage mystérieux qu’est la naissance. Chaque parent l’a expérimenté. Malgré une intimité de neuf mois, c’est un inconnu qui se pousse vers la lumière. Le moment d’après, ce bébé dans vos bras est la créature reconnaissable qui vous était destinée depuis toujours ! Avec son corps et son âme qui la distinguent et vous remplissent de respect.
Quel avenir pour ces nouveau-nés ? Impuissante, je me rassure en regardant autour de moi et dans l’univers. Les raisons d’espérer sont là. Nous avons compris que chaque effort individuel comptait pour sauver la Création. J’attends aussi avec impatience le développement de l’énergie solaire, qui parle de partage universel plutôt que d’accaparement.
L’espoir… Survolant les étapes de ma vie, j’y trouve chaque fois cette constante, liée au désir d’améliorer le monde. Je vois une fillette qui priait. Le jeudi, pour la conversion des réformés et de son amie d’école. (Celle-ci demandait probablement juste le contraire à la chapelle protestante…) Le vendredi, pour le salut des incroyants. Mon cœur a été vite rassuré à leur propos. Ceux qui ont influencé ma vie avaient un idéal exigeant, ils œuvraient pour le bien de la société et s’en sentaient responsables. Nous avons appris à laisser les jugements à un Dieu de miséricorde.
Ma prière du jeudi a été exaucée de manière imprévue. Soixante ans plus tard, l’œcuménisme et ses rencontres m’ont enrichie de la lecture de la Genèse. La création du monde est jubilatoire, le Seigneur est satisfait de son œuvre. J’ai été réconfortée : aimer la vie sur terre, c’est dire merci au Créateur. Cependant, dans mes méditations nocturnes, les lettres que j’adresse à Dieu sont véhémentes : tant d’épreuves personnelles, tant d’injustice dans la société, tant de victimes innocentes ! Tant de bassesse chez les humains !
Heureusement, ces reproches ne sont pas qu’un constat d’impuissance… Ils débouchent sur des efforts pour rétablir l’équilibre entre le Bien et le Mal. Je revendique le droit de croire aux contrepoisons, à l’efficacité des gestes d’expiation. Le droit de chasser le désarroi par des élans de solidarité à notre portée. Bien sûr ils sont dérisoires : un grain de sable dans le désert. Mais qui sait leur poids sur les balances d’ailleurs ?