Tiré du magazine paroissial L’Essentiel, secteur Vallée d’Illiez (VS), juillet-août 2020
Par Denyse Gex-Collet | Photo: DR
Homme de loi, homme de lettres, homme d’Etat, mais avant tout homme de Dieu
En lien avec le thème du mois: «L’humour»
On me reproche de mêler boutades, facéties et joyeux propos aux sujets les plus graves. Avec Horace, j’estime qu’on peut dire la vérité en riant. Sans doute aussi convient-il mieux au laïc que je suis de transmettre sa pensée sur un mode allègre et enjoué, plutôt que sur le mode sérieux et solennel, à la façon des prédicateurs.(Saint Thomas More – L’utopie)Fils de l’homme de loi John More et petit-fils de boulanger, Thomas More naît le 7 février 1478 à Londres. Son père, nourrissant de grandes ambitions pour lui, veille à ce qu’il reçoive une instruction irréprochable. Grâce à ses connaissances, il devient page du cardinal Morton, archevêque de Cantorbéry. Puis il part pour l’Université d’Oxford afin de compléter ses études.
Quelle voie choisir ?
Il est très attiré par la prêtrise mais son père décidant d’en faire un avocat, il entreprend des études de droit durant lesquelles il a comme maîtres John Colet et Erasme avec lequel il se lie d’une profonde amitié. Grâce à cet ami, il participe pleinement au renouveau de la pensée qui caractérise cette époque, ainsi qu’à l’humanisme dont il est le plus illustre représentant anglais.
Thomas More mène alors l’existence intéressante d’un honnête homme aux multiples talents. Il enseigne le droit et a à cœur de défendre les habitants de Londres qui le nomment juge. Se battant sur plusieurs fronts avec toujours un fort idéal éthique, il défend la justice plus que les juristes, prône les arrangements à l’amiable et prend la plume pour convaincre l’humanité de s’améliorer. Il est également historien, poète et théologien.
A la bifurcation des chemins
Ayant envisagé d’entrer dans les ordres, il reste plusieurs années durant à la Chartreuse de Londres. Constatant que le célibat n’est pas pour lui, il se marie avec Jane Colt dont il a trois filles et un fils, puis devenu veuf il prend pour épouse Alice Middleton, veuve et mère de deux enfants.
Nommé « ambassadeur extraordinaire », puis « chancelier du roi » par Henri VIII, Thomas More devient membre du Parlement. Il refuse alors une pension du roi pour rester libre de ses opinions. Il démissionne de sa charge en refusant de prêter serment à Henri VIII, lorsque le roi rompt ses relations avec Rome et se proclame chef de l’Eglise d’Angleterre afin de pouvoir divorcer et épouser Anne Boleyn.
La voix de la conscience
Il a réfléchi et prié avant de prendre sa décision. « A présent, constate-t-il, ma conscience est si claire que j’en tressaille de joie… Je ne fais rien de mal. Je ne dis rien de mal. Je ne pense rien de mal. Et si cela ne suffit pas pour qu’un homme ait le droit de vivre, ma foi, je ne tiens pas à vivre. » Car jamais Thomas More n’a renié sa liberté de conscience, et devant la persistance de son attitude, il est emprisonné à la Tour de Londres. Henri VIII le condamne à mort comme « traître » pour n’avoir pas reconnu la suprématie du roi sur l’Eglise d’Angleterre.
Homme de lettres
Dans toute son œuvre littéraire, on apprécie la simplicité, la profondeur de la spiritualité, la connaissance des Ecritures et bien sûr une dose d’humour. Durant son emprisonnement, il rédige le magnifique ouvrage « La tristesse du Christ ». Méditant et contemplant la Passion de Jésus, il offre un témoignage sur les démarches entreprises durant sa vie inspirées des Ecritures et sur les derniers instants de sa vie. Cet ouvrage inachevé restera le testament spirituel d’un des plus grands humanistes chrétiens confronté à sa conscience, à son obéissance et à sa foi.
Son humour
Thomas More, doté d’un esprit délicat, utilise l’ironie avec brio. Quelques-unes de ses réparties nous sont parvenues par le biais de ses écrits ou de ceux que nous ont transmis ses contemporains.
• Durant son emprisonnement à la tour de Londres, dans l’attente de son jugement, Thomas More s’adressa un jour en ces termes au Lieutenant de la Tour:
« Maître Lieutenant, en toute sincérité, je crois que vous êtes pour moi un excellent ami, et que vous me traiteriez du mieux que vous pourriez comme vous le dites ; je vous en remercie de tout cœur. Mais soyez assuré, Maître Lieutenant, que ma nourriture ne me déplaît point, et que si pareille chose devait m’arriver un jour, je vous autorise à me jeter dehors sur le champ ! »
• Un jour que le gouverneur de la Tour s’excuse avec politesse sur la frugalité de son ordinaire, il lui répond : « Si quelqu’un d’entre eux n’est pas content du régime, qu’il aille chercher un gîte ailleurs ! »
• Il est condamné à être pendu, éviscéré et écartelé mais le roi commue cette sentence en décapitation, par « faveur », ce qui aurait, dit-on, inspiré à Thomas More cette boutade : « Dieu préserve mes amis de la même faveur. »
• Dans la lettre d’adieu à sa fille Margareth, il écrit : « … Mais ce sera bientôt fini. Je trouverai dur s’il me fallait attendre à plus tard que demain, car c’est la vigile de saint Thomas et l’octave de saint Pierre. Voilà pourquoi je brûle d’aller à Dieu demain… »
• Avant de monter sur l’échafaud, il dit à son bourreau : « Merci de m’aider à monter. Pour la descente, je me débrouillerai tout seul. »
En ces ultimes instants, il conserve son humour et conseille au bourreau de bien viser car « il a le cou un peu court ». La tête sur le billot, il trouve encore l’esprit d’épargner la barbe qui lui était poussée pendant sa captivité : « Celle-ci n’est pas à couper ; elle n’a pas commis de trahison. »
Pour le peuple de Londres venu assister à sa décapitation, il prononce ces paroles qui résonnent comme un testament et un acte de foi : « Je meurs, bon serviteur du roi, et de Dieu premièrement. »
Béatifié par Léon XIII en 1886, canonisé par Pie XI en 1935, Thomas More est fêté le 22 juin. En 2000, Jean-Paul II le proclame patron céleste des responsables de gouvernement et des hommes politiques, en raison notamment de sa « cohérence morale ».
Prière de saint Thomas More, dans sa cellule de condamné à mort
Dieu tout-puissant, écarte de moi
toute préoccupation de vanité,
tout désir d’être loué,
tout sentiment d’envie,
de gourmandise,
de paresse et de luxure,
tout mouvement de colère,
tout appétit de vengeance,
tout penchant à souhaiter du mal à autrui
ou à m’en réjouir,
tout plaisir à provoquer la colère,
toute satisfaction que je pourrais éprouver
à admonester qui que ce soit
dans son affliction et son malheur,
Rends-moi, Seigneur, bon, humble et effacé,
calme et paisible, charitable et bienveillant,
tendre et compatissant.
Qu’il y ait dans toutes mes actions,
dans toutes mes paroles
et dans toutes mes pensées,
un goût de ton Esprit saint et béni.