Etat et laïcité

Etat et laïcité

Par Nicolas Maury
Photos: Jean-Claude Gadmer, Philippe D’Andrès, 
Casal / Nouvelliste, LDD« En Romandie, la laïcité est un principe de respect mutuel des sphères d’activité de l’Etat et des Eglises ou autres communautés religieuses, avec la prise en compte de la liberté de conscience de chaque citoyen », explique Pierre Gauye, membre du Conseil de fondation du Centre intercantonal d’information sur les croyances. « Au-delà des différences cantonales, chaque institution conserve sa liberté d’action et la culture religieuse est enseignée dans les écoles. » 

Ces dernières années, le thème de la laïcité est surtout apparu sur le devant de la scène en termes polémiques. Ainsi, en mai 2015, la Direction de l’enseignement obligatoire de Genève a considéré que le fait que les enfants doivent participer au spectacle « L’Arche de Noé » violait la Constitution. « Un épisode tragicomique », selon le vicaire épiscopal genevois Pascal Desthieux : « Ceux qui ont  exigé l’arrêt du spectacle car il parlait de Dieu auraient dû se renseigner sur l’histoire de Noé. Les personnes mises en cause ont dû présenter des excuses, ce qui a provoqué une indignation dans la population. Cela dit, à Genève, la religion majoritaire est le groupe des sans-religion. Cette évolution est inévitable… » 

A Neuchâtel, – qui se dit aussi ouvertement laïque –, une controverse est née à Noël 2015 après une décision de la Municipalité de retirer la crèche placée sous le sapin de la ville. « Il y a eu maintes réactions de chrétiens, mais le dialogue est resté positif. La Municipalité a proposé de déplacer la crèche », se rappelle le vicaire épiscopal neuchâtelois Pietro Guerini.

A Neuchâtel en 2015, la crèche posée sous le sapin de la ville a dû être déplacée.
A Neuchâtel en 2015, la crèche posée sous le sapin de la ville a dû être déplacée.

Commentant ces épisodes, Mgr Alain de Raemy, évêque auxiliaire de LGF, s’en réfère au sens de l’histoire : « Les manières de faire d’un temps ne peuvent pas toujours être celles du temps suivant. Mais les fêtes et traditions issues de l’histoire religieuse d’une région n’ont pas besoin d’être effacées pour faire place aux nouvelles convictions. Une évolution allant dans ce sens serait un mensonge. Et un mensonge ne contribue pas à la vérité des relations. »

Dialogue sain

Hormis ces aléas, un dialogue sain semble être la règle entre Eglise et Etat dans le diocèse LFG, comme le relèvent les différents vicaires épiscopaux en place. A Fribourg l’abbé Jean Glasson parle « d’un fonctionnement dans la reconnaissance mutuelle des compétences propres », tandis qu’à Neuchâtel l’abbé Pietro Guerini évoque «un esprit d’écoute dans des secteurs tels qu’institutions sociales, hôpitaux, prisons, aumôneries de rue et célébrations ». Sur Vaud, l’abbé Christophe Godel souligne quant à lui « des discussions constructives » et à Genève, l’abbé Pascal Desthieux relève un respect réciproque dans la cohésion sociale : « A part quelques trublions qui estiment que l’Etat laïque devrait ignorer complètement les religions, l’apport des communautés religieuses est reconnu et apprécié. »

Reste que le sujet est brûlant au bout du lac, puisque le canton vient de se doter d’une loi sur la laïcité. Pascal Desthieux pose le contexte : «Il y a une stricte séparation Eglise / Etat. Pour définir comment celui-ci pourrait intervenir sur des sujets religieux, le Grand Conseil a été mandaté pour élaborer une loi sur la laïcité. » Ce travail de plus de deux ans a abouti à un rapport de 800 pages. Fin avril, après trois sessions animées, le parlement a voté la nouvelle loi qui a débouché sur des référendums. « J’ai suivi le processus avec intérêt. Nous sommes intervenus avec l’Eglise protestante et l’Eglise catholique chrétienne sous de multiples formes. » Un article en particulier a causé quelques soucis, celui relatif à la limitation dans le temps de la perception de la contribution ecclésiastique volontaire. « Les personnes indiquant qu’elles sont catholiques romaines dans leur déclaration d’impôt reçoivent une proposition de contribution. Nombre d’entre elles soutiennent l’Eglise de cette façon. Nous avons apprécié qu’une limitation à 10 ans soit abrogée par les députés. »

Relations… financières

Ces propos mettent l’accent sur un élément clef du dossier : les finances. Pierre Gauye confirme : « L’Eglise catholique romaine et l’Eglise évangélique réformée (seules ou avec d’autres communautés) sont reconnues comme personnes morales de droit public ou comme parties à des concordats avec l’Etat pour la perception d’impôts volontaires. »

Là aussi, chaque canton agit de manière différente. « Sur Vaud, la Fédération des paroisses catholiques du canton reçoit une part du salaire versé par l’Etat pour un nombre de prêtres catholiques proportionnel à celui des pasteurs protestants », synthétise Mgr de Raemy. « Ces salaires proviennent des impôts, sans que cela soit spécifié dans la déclaration des contribuables. » Christophe Godel complète : « La Constitution vaudoise reconnaît que la personne humaine a une dimension spirituelle. Les deux Eglises officielles (EERV et ECVD) ont la compétence pour s’en occuper. C’est pour cela que l’Etat les soutient, attendant qu’elles contribuent à la transmission des valeurs et à la paix. »

Neuchâtel connaît une situation à la fois similaire et différente. « L’Etat reconnaît l’Eglise catholique romaine, l’Eglise réformée évangélique et l’Eglise catholique chrétienne comme des institutions d’intérêt public. Selon un concordat, elles se mettent à sa disposition pour la dimension spirituelle de la vie humaine et sa valeur pour la vie sociale », détaille Pietro Guerini. Mgr de Raemy ajoute : « L’Etat récolte un impôt libre auprès des contribuables catholiques pour leurs Eglises respectives mais ne soutient directement que certaines de leurs œuvres sociales. »    

Reste Fribourg, où les impôts ecclésiastiques sont prélevés par les communes auprès des personnes morales et physiques déclarées catholiques. « Une personne physique doit déposer une déclaration de sortie d’Eglise pour ne pas les payer. La loi de 1990 a octroyé aux corporations ecclésiastiques une très large autonomie pour leur permettre d’accomplir leurs tâches. »

Les risques de l’ignorance

Elargissant le propos, Mgr de Raemy dessine les contours de l’évolution actuelle des relations Eglise-Etat. « Plutôt saine, sans confusions ni collusions, elle rejoint le conseil du Christ : rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Par contre, l’ignorance religieuse de certaines élites politiques pourrait être inquiétante. On se méfie plus facilement de ce que l’on ne connaît pas ou pas bien. Cette ignorance correspond au niveau de l’instruction religieuse dans nos familles et dans nos écoles. » Et de conclure : « La laïcité, c’est l’absence de dictature religieuse et la garantie du respect de la conscience de chacun. Mais elle peut devenir une idéologie religieuse quand elle veut cacher ou bannir le fait religieux qui a contribué et contribue encore à la culture. »

Le cas valaisan

Pierre-Yves Maillard
Pierre-Yves Maillard

Vicaire épiscopal valaisan, l’abbé Pierre-Yves Maillard distingue dans l’absolu trois types de rapports entre l’Eglise et l’Etat. « Le premier, à la limite de la théocratie, veut lier en tout Eglise et Etat. Il n’est pas chrétien, même si dans l’histoire de l’Eglise, on y est parfois tombé. » A l’autre extrême, il repère une volonté « reléguant le spirituel dans la sphère totalement privée. Ce n’est pas chrétien non plus. » Le juste milieu, il le définit par l’Evangile : « Vous êtes dans le monde et pas du monde. C’est propre au christianisme que d’autoriser et promouvoir l’autorité du temporel ! »

Cette ligne de crête définit selon lui la situation valaisanne, notamment dans le cadre de la Constituante. « L’évêque a écrit deux messages à ce sujet. Un invitant les fidèles à s’engager pour définir une nouvelle constitution. L’autre demandant aux prêtres de ne pas s’impliquer à titre personnel pour des raisons canoniques, pastorales et d’emploi du temps. » 

La foi catholique est encore bien présente en Valais. « De l’éthique à la culture en passant par l’art, l’Eglise peut intervenir dans les débats. Des conventions ont été passées en 2015 et 2016 en lien avec la place de la religion dans les écoles et dans les aumôneries d’hôpitaux. Notre situation globale est assez favorable. » Et ce, même si une polémique est née autour de la décision du Conseil d’Etat de ne plus assister à la Fête-Dieu à Sion. « Les réactions ont montré que les Valaisans restent attachés à l’expression du lien entre autorités civiles et religieuses. »

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