La Réforme, cinq siècles d’histoire

La Réforme, cinq siècles d’histoire

Troisième partie – La Réforme en Suisse

Après avoir fait connaissance avec les personnages ayant soutenu et favorisé l’émergence de la Réforme luthérienne, nous avont découvert la figure d’Ulrich Zwingli, fondateur de la Réforme Suisse au XVIe siècle. Dans ce numéro de L’Essentiel, le troisième volet de l’histoire de la Réforme se penchera sur un personnage fort peu reconnu et qui pourtant ouvrit le chemin de la Réfome dans le pays de Vaud et Genève. Il s’agit de Pierre Viret.

Par Fabiola Gavillet Vollenweider
Photos : DR

Pierre Viret
Pierre Viret

Pierre Viret (1511-1571)
Pierre Viret est originaire de la ville d’Orbe. Destiné à la prêtrise, il part étudier au collège de Montaigu à Paris (Erasme, Calvin et Ignace de Loyola y auront séjourné). Alors jeune homme, il côtoie les courants humanistes ainsi que ceux de la Réforme déjà fort répandus dans la capitale française. Ses études finies, il retourne à Orbe, sa ville natale, où il rencontre Guillaume Farel. Noble originaire de la région de Gap, France (1498-1565), évangéliste itinérant et brillant orateur, ce dernier avait été mandaté par le Chancelier du Grand Conseil et Petit Conseil, Pierre Giraud, afin de répandre la Réforme dans le pays de Vaud et de Genève. Bien que brillant, ses actions tenaient plus du révolutionnaire que du rebelle. D’où une intransigeance inouïe envers les catholiques qui osaient se rendre dans un territoire « libre » pour entendre la messe et se voyaient frapper d’amendes. On l’entendit clamer  lors de son prêche de 1529 à Morat que « la messe est un meurtre et celui qui la célèbre est pire qu’un brigand »… Il poussait à la révolte non seulement contre tout ce qui était catholique, mais également contre les autorités. Etranger, non aguerri aux us et coutumes du Pays de Vaud, très vite il se rendit compte qu’il lui faudrait impérativement un équipier de souche locale s’il voulait mener à bien sa mission. Les villes d’Orbe, Payerne et Morat étaient gouvernées alternativement par Berne (réformée) et par Fribourg (catholique). Farel réussit donc à convaincre Pierre Viret de travailler comme prédicateur dans un premier temps à Orbe, puis comme prédicateur itinérant dans tout le pays romand. Leur mission les amène à Genève, ils y passeront ensemble 3 ans jusqu’à l’arrivée de Jean Calvin. Pierre Viret, convaincu, s’est totalement dévoué à sa mission. Il aura publié plus d’une cinquantaine de livres! Mais pour une raison inexplicable, ses écrits n’ont pas été réédités depuis le XVIe siècle. Timide, il n’en laissait rien transparaître lorsqu’il prêchait. Sa redoutable éloquence lui permit de gagner les « disputes », grands débats de l’époque, qui opposaient réformés et catholiques et dont l’issue déterminait la direction confessionnelle que prendrait la ville ou le territoire sur lequel elles avaient lieu. Il assura en juin 1533 la victoire des Réformés lors de la Dispute de Rive à Genève. Pierre Viret ne préparait jamais ses discours. Il improvisait, ce qui lui donnait une force inouïe. Plusieurs prêtres adhèrent à la nouvelle Foi lors de ces débats et seront suivis après par des centaines d’autres adhésions (et oui, il fut un temps où il y  avait des centaines de prêtres dans une même ville…). En 1536, lors de la Dispute de Lausanne, ses arguments firent basculer tout le pays de Vaud dans la Réforme. La messe est supprimée. Les ornements catholiques sont éliminés, les objets de valeur sont vendus au profit de Berne dans le but de verser les salaires des pasteurs. La récitation de l’Ave Maria, le port du chapelet et le serment au nom des Saints sont interdits.

A Genève en 1537 le ton bienveillant de la Réforme bascule dans une intolérance extrême. Le Conseil de Genève (Conseil des deux cents) ayant voté à l’unanimité l’adhésion à la Réforme un an auparavant, tous les habitants doivent dès lors jurer la nouvelle Foi. Il s’agit d’une adhésion personnelle visant à déterminer les membres véritables de la nouvelle Eglise. Seuls ceux qui ont juré la déclaration établie par Farel et Calvin auront accès à la Sainte Cène. Les récalcitrants seront excommuniés.

Berne, bien qu’alliée de Genève, ne pouvait accepter ce pouvoir que s’octroyait l’Eglise réformée, ni ce regain de despotisme. Pour les confédérés, la nouvelle Eglise se doit d’être soumise à l’Etat et non le contraire. Lors de l’occupation des nouveaux territoires « romands » par les Bernois, ceux-ci avaient envoyé aux habitants et aux autorités locales la déclaration suivante : « Nous vous donnons l’ordre de vivre fraternellement, amicalement, les uns avec les autres. Point de violences, ni en paroles, ni en actes. Vous catholiques ne troublez pas le prêche, et vous réformés ne détruisez pas les images des Saints. » Mais cette bonne volonté n’allait pas durer.

Farel et Calvin ne partageant pas cette approche, leur intransigeance finit par provoquer leur expulsion en 1538.

Pierre Viret, alors pasteur à Lausanne, est « prêté » par Leurs Excellences à la ville de Genève afin de remettre un peu d’ordre et de régler les troubles qui y ont éclaté. Elles lui confièrent cette mission, confiantes de son approche passionnée, mais encore « raisonnable ». Ce dont il s’acquitta admirablement. D’ailleurs Genève ne put qu’accepter au vu de la pression d’ordre financier que les Bernois excerçaient sur elle.

De retour à Lausanne, il y fonde en 1540 l’Académie, une haute école qui sera la première institution d’éducation supérieure protestante en territoire francophone.  Mais les années passant il devint de plus en plus évident qu’il était bel et bien partisan d’une Eglise indépendante de l’Etat ayant l’autorité d’excommunication, de contrainte confessionnelle et de punition des pécheurs (ceux qui n’adhèrent pas à la Réforme). En 1558, avec ses collègues, il demande à Berne qu’une discipline morale et ecclésiastique plus stricte soit introduite dans le Pays de Vaud. Il exige de pouvoir examiner la vie privée des paroissiens, ainsi que de pouvoir les interroger avant la Cène et décider si oui ou non ils peuvent y prendre part. Le langage, le vêtement, la nourriture, la danse, les jeux… tout est réglementé. Toujours confiants, la réponse positive de Leurs Excellences n’arrivant que le 24 décembre, Pierre Viret va jusqu’à reporter la célébration de Noël d’une semaine, au 1er janvier 1559,  afin de pouvoir mettre en place son nouveau système de contrôle. Malheureusement Pierre Viret ne semble pas avoir tiré de leçon de la mésaventure vécue par Farel et Calvin.  Déplacer la célébration de Noël fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Les Bernois ne purent accepter cet « accès de despotisme » et finissent aussi par l’expulser de Lausanne. Transitant par Genève, il s’expatrie à Nîmes, puis à Montpellier et Lyon en 1563 où il présidera le Synode National des Eglises réformées. Chassé en 1565, il répond à l’invitation du royaume du Navarre où la Reine Jeanne d’Albret (mère du futur Henri IV de France) l’appelle afin d’y conduire la Réforme. Sa vie s’y achèvera en 1571.

Guillaume Farel
Guillaume Farel

Pourquoi Ulrich Zwingli et Pierre Viret ?

Certains peuvent se demander pourquoi un choix arrêté sur ces deux hommes ?  Pour commencer tous deux sont nés sur territoire confédéré. Et surtout parce que ce sont eux qui ont ouvert le chemin de la « Réforme » dans ces territoires. C’est grâce à eux qu’un Guillaume Farel ou un Jean Calvin ont pu y implanter leurs nouvelles idées. Mais il y a aussi d’autres hommes qui ont également participé à ce chamboulement historique. Alors je ne peux que recommander une visite au musée de la Réforme à Genève. Elle permettra de mieux cerner la complexité de l’histoire de ce XVIe siècle.

Mais au-delà de tout ce qui s’est détruit, ou qui s’est construit, n’oublions pas ces mots du Christ sur la Croix : « … Moi en eux et Toi en moi. Que leur unité soit parfaite : ainsi le monde saura que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme je les ai aimés… » D’une perspective chrétienne cette unité ne semble pas toujours parfaite, pourtant lorsque des chrétiens sont tués ou massacrés, on ne leur demande pas à quelle Eglise ils appartiennent. Ils sont tués car ils sont des Chrétiens.

Notre prière pourrait être alors :
« Seigneur, unis-nous davantage à Toi, romps tous ces obstacles et guéris toutes ces blessures qui nous empêchent d’être en union les uns avec les autres. »

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