Trésor iconographique de l’église des Cordeliers

Illustration 3: Détail retable ouvert, Nativité.
Tiré du magazine paroissial L’Essentiel, unités pastorales du Grand-Fribourg (FR), janvier-février 2021

Par Danièle Moulin | Détail de photos de Jean Mülhauser, Fribourg

Entrons aujourd’hui dans l’église du couvent des Cordeliers, traversons sa longue nef et arrêtons-nous dans le chœur pour y découvrir le retable du maître-autel, appelé également le « retable du Maître à l’œillet » considéré comme une des plus belles œuvres d’art suisses du XVe siècle.

Fribourg est, à cette période, une ville d’églises et de couvents. Ce n’est pas pour rien que certains la prénomment encore de nos jours « la petite Rome ». À cette période de l’Histoire, Fribourg jouit d’une grande prospérité économique et peut donc se permettre la construction de nombreux édifices religieux. Cet essor est dû en majeure partie à l’exportation de l’industrie de la draperie. C’est bel et bien le cas pour l’église du couvent des Cordeliers, qui abrite aujourd’hui encore un trésor artistique considérable, dont trois retables gothiques.

Quelle est donc la fonction d’un retable ?
À l’origine, le retable, du latin retro tabula, qui signifie « en arrière de la table d’autel », est un simple meuble de bois ou de pierre dont la fonction semble avant tout utilitaire ; on y dépose de petits objets liturgiques. Petit à petit, on place des images, des panneaux au-dessus de ce mobilier. La fonction du retable devient alors décorative – rien n’est trop beau pour Dieu et l’on n’hésite pas à recouvrir de feuilles d’or certaines parties – mais également didactique, à la manière d’un grand livre illustré instruisant le peuple chrétien. Un retable peut comporter un ou plusieurs volets repliables que l’on ouvre les jours de fêtes et les dimanches, et que l’on referme les jours « ordinaires ».  

Un retable à deux volets
Le retable du maître à l’œillet comporte deux volets. Fermé, il représente la scène de l’Annonciation. L’archange Gabriel semble tout juste arriver devant la Vierge, en témoignent les plis de son ample manteau, encore soulevé par l’air environnant. Au-dessus du visage de la Vierge, une colombe suivie d’un tout petit enfant sont transportés par des rayons émanant du ciel (illustration 2). Sur les deux panneaux extérieurs, deux saintes, Claire à gauche et Élisabeth de Hongrie sur la droite, toutes deux ayant appartenu à l’Ordre franciscain, à l’instar des Cordeliers. Ces deux saintes symbolisent l’amour de la pauvreté et la foi. En observant le paysage dans l’encadrure de la fenêtre droite, dans la « cellule » de sainte Élisabeth, apparaissent un homme et son chien, un chasseur, qui rappelle les plaisirs mondains desquels la princesse de Hongrie s’est détournée afin de consacrer pleinement sa vie à Dieu et aux œuvres de miséricorde (illustration 1).

Un fois ouvert, trois scènes s’offrent au fidèle : la Crucifixion au centre, la Nativité sur le panneau extérieur gauche, l’Adoration des Mages sur le volet droit. Entourant le Christ en croix, nous reconnaissons Marie et Jean, mais également d’autres saints : tout à droite l’évêque saint Louis de Toulouse, à ses côtés, saint François. À droite de saint Jean, saint Bernardin et saint Antoine de Padoue. Ici encore, tous ont appartenu à l’Ordre franciscain. La naissance du Christ et l’Épiphanie se font écho, les visages des protagonistes y sont davantage apaisés et reflètent la tendresse des scènes liées à celle de la toute petite enfance du Christ.

Deux œillets
Approchons-nous d’ailleurs de l’Enfant-Jésus déposé sur un drap blanc à même le sol et pour lequel un concert de mini-angelots est en cours (illustration 3). À gauche de la harpe sont déposés sur le sol deux œillets blanc et rouge ; deux autres œillets sont aussi représentés aux pieds de l’archange Gabriel au moment de l’Annonciation. Ces fleurs dépeintes au premier plan du retable sont considérées comme les signatures de l’artiste ; mais « toutefois, ces insignes, certainement de signification symbolique, se trouvent si souvent sur des peintures contemporaines qu’il pourrait s’agir d’un moyen d’identification, peut-être l’appartenance à une corporation ou à une confrérie ». 1

Cette œuvre monumentale (7 mètres de longueur sur plus de 2 mètres de hauteur) est donc le fruit du travail de différents peintres, en témoigne la différence de style dans la composition des panneaux. Ces artisans sont tous restés anonymes, mais proviennent sans doute d’un atelier soleurois. Le retable du Maître à l’œillet est également fortement influencé par la peinture des Pays-Bas. À cette période, des gravures commencent à circuler un peu partout en Europe et permettent aux artistes d’y puiser leur inspiration. 

1 Renaissance de l’église des Cordeliers, Pro Fribourg, nº 90-91. Trimestriel juin 1991, p. 34.

Illustration 1 : Détail du retable fermé, sainte Élisabeth de Hongrie, le chasseur et son chien.
Illustration 2 : Annonciation, détail.

Pour aller plus loin :
Renaissance de l’église des Cordeliers, Pro Fribourg, no 90-91. Trimestriel juin 1991.
P. M. Moullet, G. de Reynold, L. Schwob, A. Cingria, E. Dominique, Les retables de l’église des Cordeliers, Trois chefs-d’œuvre de l’art suisse à Fribourg, 1943, Zurich.

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