Tout est lié…

Tout est lié…

Tout est lié… À propos d’un « refrain » dans l’encyclique Laudato si’. Frère Benoît-Dominique de La Soujeole, dominicain, nous propose une réflexion sur l’encyclique du pape François.

Par Frère Benoît-Dominique de La Soujeole, op, Université de Fribourg
Photos: V. Benz, DR
L’encyclique Laudato si’ sur l’écologie a comme un refrain qui revient neuf fois littéralement, et encore plus souvent d’une façon ou d’une autre : tout est lié1. À partir des constats objectifs des divers dérèglements de l’environnement naturel, économique et social, le pape François entend montrer que ces phénomènes procèdent d’une cause majeure : une fausse conception de l’être humain. C’est l’objet du chapitre central du document, le chapitre 3, qui expose la racine humaine de la crise écologique. C’est cette cause fondamentale qui permet de voir que toutes les nuisances écologiques ne sont pas indépendantes les unes des autres, mais que tout est lié.

Si l’on peut voir assez bien le lien de cause à effet qui met en relation, dans le domaine naturel, l’utilisation excessive des énergies fossiles (comme le pétrole) avec le réchauffement climatique, si l’on peut saisir le lien qu’il y a entre des dysfonctionnements naturels et un type d’économie de consommation hyper productiviste, en quoi cela provient-il de la conception que nous avons de l’être humain ? Le pape François s’y emploie dans le chapitre 4 qui expose les points majeurs d’une écologie intégrale. Reste à savoir quelle est la nature de ce lien qui rend solidaires l’environnement naturel, l’économie, la finance, la vie sociale et la vie morale des personnes. Plus précisément, il s’agit de savoir – puisque tout est en relation – qu’est-ce qui réellement lie tous les éléments – des plus naturels aux plus culturels et spirituels – pour former un tout qui n’est rien moins que les conditions indispensables d’une vie humaine belle et bonne sur terre.

1 Laudato si’, n° 16, 70, 91, 92, 117, 120, 138, 142, 240.

L’équilibre ou l’harmonie

Il y a deux grandes façons de concevoir ces relations entre des éléments aussi divers que la pratique de l’agriculture, la fraternité entre les hommes, la vie sociale dans la justice et la paix… Ces deux modèles sont celui dit de l’équilibre et celui dit de l’harmonie. Présentons-les.

Le modèle de l’équilibre est le plus récent dans l’histoire de la pensée. Selon les historiens de la philosophie, il apparaît au XIVe siècle occidental. À l’origine de cette pensée, se trouve une donnée d’abord physique : un équilibre est le résultat du jeu égal de deux forces contraires. Le symbole de cela est la balance (équilibre se dit balance en anglais) : celle-ci est équilibrée quand un même poids est mis dans les deux plateaux. De là, le mot a été utilisé pour pratiquement tout. On parle d’une nourriture équilibrée, d’une personne équilibrée, d’un bilan en équilibre… Un des domaines majeurs en politique est la doctrine de l’équilibre des pouvoirs entre le parlement, le gouvernement et la justice. En Suisse, on est attentif à l’équilibre entre le niveau fédéral et le niveau cantonal. L’idée d’équilibre signifie ici qu’il faut que chaque pouvoir fasse « contrepoids » à l’autre. Dans le domaine des relations humaines, on dira assez spontanément que l’amitié permet une réelle intimité entre deux personnes, mais il ne faut pas que cela devienne intrusif ; il faut donc équilibrer intimité et respect de l’autre. Ou encore, une mère doit être très proche de son enfant mais non possessive. Pour cela, il faut équilibrer l’affectivité maternelle avec le respect de la personnalité de l’enfant. Enfin, dans le monde du travail, les syndicats doivent être puissants pour équilibrer ou contrebalancer l’autorité patronale. Et ainsi de suite : l’équilibre est la relation fondamentale entre des réalités distinctes.

Ce modèle présuppose l’opposition, la tendance à la domination, la prépondérance d’un élément sur les autres, de sorte qu’il faille sans cesse corriger les déséquilibres en favorisant le côté opposé. L’équilibre est par nature instable, observe-t-on. Il est évident pour beaucoup de nos contemporains que les relations sont fondamentalement des relations d’opposition entraînant des « tensions », et qu’il nous faut sans cesse jouer les équilibristes. Pour l’écologie environnementale, par exemple, un dérèglement montre un excès d’un aspect qu’il faut compenser en favorisant l’aspect opposé. Si les pesticides tuent les sols, il faudra rééquilibrer en mettant des engrais chimiques. De là peut naître un déséquilibre en sens inverse (trop de mauvaises herbes) qui sera compensé par l’apport de produits herbicides ; mais les produits herbicides tuent les abeilles, il faudra donc modifier génétiquement les abeilles, et ainsi de suite.

A l’exemple de l’orchestre

Le modèle de l’harmonie est tout différent. Il est le modèle le plus ancien observé par les Grecs et également présent chez l’homme de la Bible. Selon cette vision fondamentale, tout ce qui fait la réalité existante – le cosmos, le climat avec les saisons, la vie de la nature, la vie sociale, la vie morale personnelle – est fait de bien des éléments en interaction (le cycle des saisons fait pousser les végétaux en leur apportant l’eau, la chaleur, la lumière…). La vie sera bonne si chacun des éléments existe dans le meilleur état possible car la vie qui en résulte sera ainsi, non pas équilibrée, mais harmonieuse. L’image de cela est celle de l’orchestre : il faut que chaque instrument soit parfaitement lui-même et joue la même partition pour que la symphonie (littéralement : tous les sons ensemble) soit harmonieuse. Il ne s’agit pas pour le violon de compenser la tendance à l’excès du piano, il s’agit bien plutôt que le violon s’accorde avec le piano dans le respect de ce que sont le violon et le piano. C’est le rôle du chef d’orchestre que d’unifier les instruments dans le respect de ce qu’est chacun et par une lecture unique de la partition. Là où certains parlent de l’équilibre des pouvoirs dans la société civile, d’autres préfèrent soutenir l’harmonie des pouvoirs : si le législatif est vraiment ce qu’il doit être (il délibère et vote les lois), et si l’exécutif gouvernemental est vraiment ce qu’il doit être (il exécute les lois), il y aura une concorde des pouvoirs et non un équilibre.

Ce modèle de l’harmonie est clairement celui que le pape François – avec toute la tradition chrétienne – met en avant. La crise écologique que nous vivons actuellement vient de ce que tout ce qui concourt à la vie humaine sur terre (de l’activité de production à l’économie et à la finance, avec la vie politique et morale) n’est plus en harmonie. Car : « Tout est lié. Si l’être humain se déclare autonome par rapport à la réalité et qu’il se pose en dominateur absolu, la base même de son existence s’écroule, parce qu’au lieu de remplir son rôle de collaborateur de Dieu dans l’œuvre de la création, l’homme se substitue à Dieu et ainsi finit par provoquer la révolte de la nature. » (LS n° 117) Autrement dit, si dans un orchestre chaque instrument joue comme il l’entend sa propre partition, il n’y aura pas harmonie mais dissonance profonde. Si en ce monde nous ne jouons pas notre partition sous l’unification du chef d’orchestre qui est le Créateur, la dissonance qui en résulte est la crise écologique profonde que nous constatons. L’homme n’est pas actuellement à sa juste place, son action détruit les conditions mêmes de sa vie. Ce n’est pas en équilibrant une société de consommation effrénée – qui épuise les ressources naturelles par la recherche de nouvelles techniques de production qui permettront de produire tant et plus avec de nouvelles ressources technologiques (par exemple les modifications génétiques des végétaux) – que l’on résoudra le problème ; c’est en revenant à une juste et bonne consommation.

Une loi de solidarité

Ce débat entre les deux modèles pour concevoir comment tout est lié est important ; il n’est pas réservé aux intellectuels en chambre ! Le message du pape François nous invite à repenser comment nous sommes en interaction avec tout ce qui compose notre vie afin de remettre dans notre vie l’harmonie qui la fera belle et bonne. Et nous sommes appelés à commencer par ce qui est à notre portée immédiate : nous-mêmes ! Ne pas gaspiller l’eau du robinet, ne pas vouloir manger des fraises à Noël, savoir éteindre une lampe inutile… tout cela se fonde sur une vraie connaissance de qui nous sommes et de nos relations avec tout le reste. Si tout est lié, cette « loi » de solidarité entre tout ce qui existe appartient à notre être profond. En christianisme, c’est dans la révélation de la charité que tout cela est fondé : aimer droitement Dieu, soi-même, le prochain, l’environnement, la justice, la paix… : tout est lié dans et par l’amour vrai.

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