La rencontre de Théa

La rencontre de Théa
Tiré du magazine paroissial L’Essentiel, secteur pastoral de Martigny (VS), mai 2020

Par Valérie Pianta | Photo: LDD

Après un long temps de séparation, Théa a enfin retrouvé ses grands-parents, ses copains, copines, ses maîtresses… Elle savoure chaque instant de jeu partagé, les câlins discrets, ce bonheur de se retrouver ensemble.Pourtant, Théa a appris quelque chose : il est bon de temps à autre de se retrouver seule un moment pour laisser s’envoler les pensées comme de petites bulles qui défont la lumière, là où personne ne peut les attraper. Alors ce matin, Théa se cache un instant dans une de ses légères bulles qui la transportent… Elle fait une rencontre insolite : un petit machin à drôle de tête se promène dans une bulle non loin d’elle.

– Qui es-tu toi ? Tu as une drôle de bouille ! Crie Théa.

– Je m’appelle Corona… Je crois que tu as beaucoup entendu parler de moi ces derniers temps, non ?

– Mais ? C’est toi ? C’est vraiment toi ? Celui qui a rendu malade tout le monde, qui a rempli toutes les discussions, qui a fait mourir plein de personnes ? A cause de toi, je ne pouvais plus aller à l’école, plus voir mes copains, mes maîtresses. J’avais des tonnes de devoirs qui arrivaient sur l’ordinateur de papa. Pire qu’à l’école ! Pleurniche Théa un peu effrayée.

– Eh oui, c’était moi ! Ricane la vilaine petite bestiole.

– Coromachtruc, c’était vraiment à cause de toi, cette catastrophe ? Pourquoi as-tu fait ça ?

Ahahahah ! Répond l’horrible machin, si tu savais. Le monde est à genoux à cause d’un petit microbe vilainement couronné, sournoisement, on ne sait où et qui a installé sa dictature sur votre chère planète bleue, blême sous la tyrannie du petit monstre… J’ai trouvé que c’était une leçon à donner à tous ces hommes qui croient tout savoir, tout maîtriser et pouvoir tout décider.

– C’est vraiment méchant ce que tu as fait là, lui rétorque Théa. Les gens ont été malheureux, ils ont eu peur, ils se sont sentis tout seul. Il y avait beaucoup de malades… même qu’il y en a qui sont morts. J’ai entendu papa et maman parler de ça tous les jours. Papa devait travailler à la maison et il criait tout le temps parce qu’avec ma petite sœur, on n’arrêtait pas de lui demander des trucs pour les devoirs… et maman était super stressée pour aller faire les courses et aussi énervée. Elle ne pouvait plus aller chez le coiffeur. L’ordinateur tombait en panne, l’imprimante n’avait plus d’encre. Tu te rends compte ?

– Oui, oui, je me rends bien compte, répond laconiquement le petit monstre couronné. Mais les gens se croyaient tout-puissants, bardés de théories politiques, économiques, écologiques, sociales, théologiques, philosophiques… tous les « iques » (hics !). Les hommes ne croient plus qu’en tous ces trucs… Ils ne s’arrêtent pas, ils font ce qu’ils veulent, ils courent, volent dans tous les sens. Alors moi, je suis devenu leur dieu de malheur ! Au moins maintenant ils ont eu le temps de respirer, de penser, d’avoir besoin des autres.

– Quand même, tu es vraiment horrible, murmure la petite fille.

– Ne t’inquiète donc pas, annonce Coronamachin, les hommes auront découvert des forces nouvelles à travers les ravages de mon armée, des trésors à partager.

Théa regarde les bulles, le ciel, les arbres, les fleurs. Elle écoute les oiseaux qui gazouillent ; toute la vie est au rendez-vous, tout est neuf. C’est comme si elle venait de casser la coquille de l’œuf dans lequel elle était enfermée. Elle regarde dans sa bulle le petit monstre laid et trouve que sa couronne s’est ratatinée. La bulle s’éloigne emportée par le vent.

– Tu n’es plus dieu, car tu es moche et cruel, hurle Théa. Dieu est revenu parce qu’on est sorti de nos coquilles ! 

En criant ces mots, la petite fille réalise combien la vie est belle, fragile et précieuse, plus forte pourtant que les malheurs qui font pleurer les hommes et le ciel. Le vilain tyran s’éloigne toujours. Soudain, dans un rayon de soleil, sa bulle éclate sous le coup de bec d’un oiseau qui rit aux éclats et l’odieux petit monstre se volatilise sous les yeux ébahis de Théa. Eh oui, le printemps est revenu !

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