Pour des lieux de culte adaptés à une pastorale contemporain
Il existe, dans la manière d’aborder la question du sort des églises qui ne répondent plus aux besoins actuels, des parallèles entre les Eglises évangélique réformée et catholique suisses, l’organisation territoriale locale de l’institution étant, dans les deux cas, liée à des stratégies immobilières supra-communales. Ces nouveaux concepts ont été développés suite au recul considérable de l’effectif des deux Eglises nationales. Il convient d’ajouter notamment que, au sein de l’Eglise catholique, le regroupement des paroisses en unités pastorales (UP) a mis en évidence la problématique des églises « surnuméraires ». Ce thème a fait l’objet d’un dossier très complet dans le n° 1 / 2016 de la revue Art + Architecture en Suisse (K + A) publié par la Société de l’histoire de l’art en Suisse (SHAS), à Berne.Actuellement, souligne Nathalie Annen, étudiante en histoire de l’art à l’Université de Lausanne, dans un article intitulé « Eglise cherche affectation, pas sérieux s’abstenir – Transformations de temples en Suisse romande depuis 1960 » et paru dans la revue citée supra, « avec le désengagement croissant de la population dans une activité religieuse, phénomène perceptible dans plusieurs pays occidentaux, les conséquences de changements profonds de nos sociétés se font sentir dans nos églises… Les habitudes sont fortement bousculées et les communes ou paroisses se retrouvent avec plus d’espaces cultuels que de fidèles pour les remplir. La Suisse romande protestante semble la plus touchée, comme en témoignent des réaffectations et des démolitions d’églises depuis une cinquantaine d’années déjà. » Les églises catholiques malheureusement n’échappent pas non plus à cette tendance.
« Le poids accordé à la dimension sacrée d’un édifice, l’importance attachée à sa valeur historique et l’estimation de sa valeur économique sont autant d’interrogations qui mettent en évidence la tension entre la valeur d’usage – le monument est pleinement utilisable, sans mettre en danger ses occupants –, souci principal de la paroisse et de ses membres, et la valeur historique – le monument est conservé dans son état initial », fait-elle valoir.
C’est pourquoi, ajoute-t-elle, « certaines paroisses romandes s’interrogent aujourd’hui sur le devenir de leurs lieux de culte ».
A Genève, plusieurs paroisses ont des projets de remplacement de leur église par une nouvelle, modulable et adaptée à notre temps. Notamment deux, qui pour l’heure n’ont pas encore obtenu une autorisation : Sainte-Jeanne-de-Chantal, à l’avenue d’Aïre, Genève, et Saint-Pie-X, au carrefour du Bouchet, sur la commune de Vernier.

Sainte-Jeanne-de-Chantal a été bâtie dans les années 1968-1969. « A l’époque, face à l’importante immigration catholique issue de cantons comme Fribourg et le Valais, ainsi que de pays comme l’Espagne, l’Italie et le Portugal, il était communément admis que chaque commune devait bénéficier d’une église, au même titre que d’une école », faisait valoir le conseil paroissial dans un courrier du mois de mai 2016 adressé au Département de l’aménagement, du logement et de l’énergie du canton. Il était également rappelé que cette église, comme tant d’autres, avait été prévue pour un nombre important de fidèles et de prêtres, ainsi que pour des manifestations de grande ampleur comme des premières communions, des confirmations, de grandes célébrations annuelles ou encore des fêtes paroissiales. Entretemps, le bâtiment est devenu trop vaste pour une communauté qui ne compte aujourd’hui qu’une centaine de personnes pratiquantes. Parallèlement, la situation financière de la paroisse s’est considérablement dégradée, ce qui a conduit, à ce jour, à l’impossibilité de faire face tant aux charges courantes (chauffage, électricité, nettoyage) qu’à l’entretien et aux réparations du bâtiment et encore moins à celles d’une rénovation d’ensemble. « Au rythme actuel du déficit que présentent nos comptes, nous serons en faillite dans trois ans », était-il souligné dans ce courrier. Il était par ailleurs précisé que le bâtiment avait été conçu et réalisé avant le premier choc pétrolier, c’est-à-dire sans isolation, avec des vitrages simples, des volumes immenses ainsi que des installations de chauffage peu performantes. Au fil du temps, des infiltrations d’eau provenant de la toiture se sont manifestées, la carbonatation et les fissurations du béton sont apparues, sans compter le décollement des étanchéités et la problématique de l’amiante. Malgré ce constat plutôt sombre, il est apparu que la présence d’un lieu de prière et de culte était ressenti comme nécessaire dans le quartier. Aussi, la paroisse, avec l’aide de l’ECR-GE, a souhaité adapter le bâtiment en taille et en qualité au nombre des fidèles. Par ailleurs, la réalisation d’un immeuble de logements et d’activités a été envisagée pour financer durablement le fonctionnement de la paroisse dans le futur.

C’est ce qui d’ailleurs vient d’être réalisé par la paroisse de Sainte-Clotilde, à Plainpalais-La Jonction, où sur deux terrains attenants utilisés comme parkings, le premier appartenant à la paroisse et le second à la Ville de Genève qui a accordé un droit de superficie à la paroisse, vient d’être édifié un immeuble de 46 logements et une surface commerciale destinée à abriter, au rez, une structure du Service de la petite enfance de la Ville de Genève. A Sainte-Jeanne-de-Chantal, l’opportunité serait de réaliser 80 logements, un centre paroissial avec une nouvelle église et un lieu de vie ouvert, au centre du quartier et de ses activités. Ce projet passe par la démolition de l’église existante, puisque vétuste et obsolète. En dépit du fait que l’on déplore très régulièrement un manque drastique de logements dans le canton et qu’on invoque par ailleurs les impératifs d’aménagement du territoire édictés par la Confédération qui préconisent une densification de la ville, le projet reste en souffrance, une ouverture de procédure d’inscription de l’église à l’inventaire ayant été la réponse du Service des monuments à la demande de démolition du bâtiment.

A Saint-Pie-X, l’avenir ne s’annonce pas sous de meilleurs auspices car elle vit aussi principalement des dons de ses paroissiens. La vétusté de l’église et de ses locaux, son surdimensionnement par rapport aux besoins actuels rendent nécessaire la réalisation d’une nouvelle église avec un nouvel espace modulable. Un nouvel espace qui permettrait également à la paroisse de repartir sur des bases financièrement saines dans la mesure où la construction d’un immeuble de 80 logements est prévue dans le projet de réaménagement du bâti. Mais là encore, il se trouve que le Service des monuments et des sites a jugé, à ce jour, l’église « intéressante », compromettant ainsi les chances de donner un nouvel élan à une paroisse en grande difficulté.
Ces exemples illustrent la nécessité de créer de nouveaux lieux de culte pour à la fois répondre aux besoins d’une pastorale qui a profondément évolué depuis plusieurs décennies et offrir aux paroisses les moyens de pérenniser leur mission en les affranchissant des soucis générés par des charges financières qui ne sont
plus supportables.
Bien entendu, la fermeture ou la suppression de lieux de culte ne doit constituer qu’un ultime recours, et c’est pourquoi l’ECR-GE apporte tout son soutien aux paroisses qui n’ont d’autres solutions pour poursuivre leur mission dans les quartiers et à proximité de la population que de faire preuve à la fois de créativité et de pragmatisme.
Dans l’article précédemment cité, Nathalie Annen remarque que « les résistances émotionnelles peuvent être vives face aux changements, et la première recommandation pratique de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) met l’accent sur le lien des paroissiens avec leur église, appelant une démarche inclusive et participative en vue d’une réaffectation ».
Mais, poursuit-elle, « s’il est incontestable que des éléments patrimoniaux de valeur doivent être sauvegardés, les experts s’accordent sur la nécessité de faire preuve de pragmatisme et de faire le deuil d’objets à seule vocation cultuelle… Quand il s’agit de monuments protégés, l’essentiel est d’y apporter uniquement des modifications réversibles, suivant les recommandations de la Charte de Venise de 1964 sur la conservation et la restauration des monuments et des sites. »
Et de conclure « qu’il serait souhaitable, voire nécessaire, d’établir des critères et des procédures permettant une approche plus objective en la matière » car « la dichotomie entre la valeur d’usage… et la valeur historique… trouve aujourd’hui sa résolution dans un climat prudent, pour ne pas dire frileux… »
De l’importance de la conception moderne des églises pour l’actuel débat sur leur reconversion
« Les réflexions aujourd’hui menées sur l’utilisation ou la réaffectation des églises sont directement influencées par la conception qui a présidé à la réalisation des édifices religieux durant les six dernières décennies. A l’heure où les églises ont de plus en plus tendance à se vider, il n’est pas inutile de prendre conscience de cette influence. L’importance attachée par l’architecture moderne à la fonction reste aujourd’hui un aspect déterminant du projet architectural, même dans la construction d’églises. Lorsqu’un bâtiment perd sa fonction initiale, il est souvent transformé en vue d’une autre utilisation bien précise. Or, le choix de cette dernière ne devrait pas constituer le seul et unique point de départ, surtout dans le domaine de l’architecture religieuse. Si l’on entend en effet réaffecter une église pour la conserver durablement, il convient d’anticiper toutes les conséquences que cela aura pour l’édifice et ses abords – et pas seulement en termes architecturaux. »
Eva Schäfer, « Studium des Architektur an der ETH Zürich und an der Tu Delft », Art + Architecture en Suisse, k+a, n°1 2016, publié par la Société de l’histoire de l’art en Suisse (SHAS), Berne.