La signification du mot grec « mártys » est « témoignage ». Un martyr (martýrion) est donc quelqu’un qui témoigne, même si cela lui vaut d’être rejeté, ridiculisé, voire tué.
Sommes-nous conscients que chacun d’entre nous devrait être un martyr ? Un homme ou une femme qui devrait témoigner de sa foi et de la sienne. « Soyez toujours prêts à répondre à quiconque vous demande de rendre compte de l’espérance qui vous anime », écrivait saint Pierre il y a 2000 ans. Cette exigence vaut également pour nous, hommes et femmes d’aujourd’hui !
De nos jours, il n’est pas facile de rendre des comptes, de témoigner de notre foi. Nous préférons reléguer notre foi dans le coin le plus reculé et le plus intime de notre cœur, où nous croyons certes en Dieu et où nous le prions également. Mais malheureusement, nombreux sont ceux qui hésitent aujourd’hui à partager cette foi avec leur entourage. Ce faisant, nous nous privons, ainsi que nos compagnons chrétiens, de l’aide et du renforcement mutuel qui nous permettraient de devenir toujours plus courageux, d’affirmer notre foi et de la vivre. L’apôtre Pierre nous montre comment : « avec modestie et respect », sans rien imaginer ni vouloir contester la foi de ceux qui pensent différemment et les exclure.
Par Calixte Dubosson et la librairie Saint-Augustin
Des livres
Fioretti d’espoir Bénédicte Delelis
Comment regarder et traverser avec espérance les drames de notre époque, les scandales dans l’Eglise, les difficultés de nos vies ? Puisant la matière de sa réflexion dans un florilège d’anecdotes savoureuses et de touchantes rencontres, Bénédicte Delelis nous entraîne résolument sur la voie de « la grande espérance ». « A travers les visages contemplés, les récits quotidiens racontés, un ange malicieux et organisé semble avoir œuvré pour s’écrier de la part de Dieu : « Tenez bon ! Ne vous découragez pas ! » » De fait, c’est le cœur brûlant d’une flamme nouvelle que l’on referme ce livre, les yeux tournés vers « la réponse unique que Dieu offre à toutes nos questions, à toutes nos prières » : le visage du Christ.
Nombreux mais méconnus, les personnages lumineux qui ont donné un témoignage de leur foi, des premiers siècles de la chrétienté à nos jours, nous interpellent. Sans trop de détails, cette approche chaleureuse fait revivre hommes, femmes et enfants au courage exemplaire fondé dans la conviction. Avec le sens pédagogique et pastoral qu’on lui connaît, l’auteur rend ces personnages présents et contemporains au travers d’un recours à une iconographie éloquente, pour finalement montrer la voie du témoignage aujourd’hui.
Depuis juillet 2013, on est sans nouvelles du prêtre jésuite italien Paolo Dall’Oglio, qui a réhabilité dans les années 1980 le monastère Mar Moussa al-Habachi, dans le désert syrien, pour en faire un haut lieu d’hospitalité et de dialogue. Expulsé de son pays d’adoption en 2012, il y retourne clandestinement au bout d’un an. Il est enlevé peu de temps après à Rakka dans des circonstances troubles. Le mystère autour de sa disparition reste entier. Pris entre les sentiments confus de révolte, de découragement et d’espoir, René Guitton rend ici hommage à un ami très cher, mais aussi, à travers lui, à ceux qui hurlent en silence leurs souffrances, leurs douleurs physiques et morales.
L’Abbé Pierre, une vie pour les autres Abdel de Bruxelles – Vincent Cuvellier
Henri Grouès naît à Lyon en 1912. Eduqué dans une famille catholique tournée vers les autres, il est sensibilisé dès l’enfance à l’entraide et au partage. Se faisant d’abord appeler « Frère Philippe », Henri adopte après la Seconde Guerre mondiale un nom qui va rester dans toutes les mémoires : celui de l’Abbé Pierre. Réunissant des compagnons pour fonder Emmaüs, il mène dès lors une lutte acharnée contre le mal-logement. A l’hiver 1954, il lance son célèbre appel à la radio, et tout au long de sa vie l’Abbé Pierre a créé des communautés, en France et à travers le monde, afin de venir en aide aux personnes démunies. Cette BD résume bien la vie de cette personnalité hors du commun.
Le Colisée ne fut le théâtre du sacrifice que d’une minorité des premiers martyrs.
2025, année sainte. Le saviez-vous ? Rome se prépare à recevoir les pèlerins du monde entier. Mais c’est aussi l’occasion pour mettre à jour… le Martyrologe, ce catalogue des chrétiennes et des chrétiens qui ont été tués parce que croyants, justement, in odium fidei selon la formule latine qui accompagne le décret de reconnaissance de leur martyre – en haine de la foi. Parce que le martyre chrétien est très… moderne !
Le Martyrologe romain, catalogue des chrétiens tués parce que croyants.
Par Thierry Schelling | Photos : AED, DR, cath.ch/Berset
Une récente recherche a recensé 550 martyrs du XXe siècle. En effet, une commission attachée au Dicastère pour la Cause des Saints travaille d’arrache-pied pour accueillir des cinq continents les noms, circonstances et dates de ces « nouveaux martyrs », en écho aux « anciens » ayant été déjà listés dans le Martyrologe romain (dernière édition, 2001, revue et corrigée en 2005). Pour rendre tangible la réalité « prophétisée » par le Christ : « Heureux si l’on vous persécute à cause de moi. » (8e Béatitude, cf Mt. 5, 11)
Car celle ou celui qui meurt parce que disciple du Christ acquiert un statut de sainte ou de saint illico presto : pas besoin de miracles, de visions, de génie théologique ou pastoral. Juste être victime sans vouloir chercher à l’être constitue la condition sine qua non du martyre.
Historique
Sonne-t-il un peu dépassé, ce mot de « martyr » (sans e pour la personne, et avec e pour ce qui est subi) ? Des siècles durant, on a prétendu que le Colisée avait été l’écrin de sang des premiers martyrs de Rome morts par décrets impériaux. Plus objectivement, ils n’étaient qu’une minorité à finir sous les crocs de félins et autres ursidés pour amuser la galerie1 !
Des siècles de domination pontificale ont retourné l’épée contre les bourreaux, qui du coup se faisaient assassiner parce qu’hérétiques ou schismatiques ou païens… Les Révolutions – française, industrielle, marxiste… – du XXe siècle ont rempli l’archive des victimes in odium fidei, en haine de la foi.
Sanctuaire romain
Lors du Jubilé de l’Année 2000, le pape Jean-Paul II décide que l’église de Saint-Barthélemy sur l’Ile Tibérine (là où un coude du Tibre s’élargit entre les quartiers du Trastevere et du Colosseo) sera le sanctuaire des martyrs du XXe siècle : de fait, qui y pénètre voyage sur les cinq continents, nichés dans les absides, où objets, photographies, écrits, prières ayant appartenu à des martyrs, sont exposés alors qu’un retable rassemble les visages des concernés en une gigantesque fresque de bienheureux morts pour le Christ. « Emouvante visite », m’a confié un confrère récemment, « j’y ai versé des larmes devant le pathétique feutré de ces reliques ».
Actualité
C’est un fait : il y a encore des pays où être chrétien implique de craindre pour sa vie chaque jour. Le rapport publié tous les deux ans par l’AED 2 sur la liberté religieuse, relève que les chrétiens sont martyrisés dans 28 pays d’Afrique et d’Asie principalement. Nigeria, Pakistan – pour ne citer qu’eux – sont des « exemples » de persécution oppressante provocant presque la réaction des discriminés… qui ainsi « justifient » leur emprisonnement, voire leur assassinat, « pour troubles à l’ordre public », pourrait-on ironiser.
L’Europe et les Amériques ne sont pas en reste : un vieux prêtre français assassiné aux cris de « Allahou akbar » en 2016 à Saint-Etienne-du-Rouvray (Normandie) ; un évêque nicaraguayen emprisonné en 2022 par le gouvernement de son pays qui a décidé de purger ses rangs des leaders catholiques. Et on ne parle que du clergé.
Sens du martyr(e)
Du grec martus, témoin légal (tribunal) ou d’un événement historique, le martyr est aussi celle ou celui qui supporte la torture et la mort au nom de sa foi dont elle ou il témoigne jusqu’au dernier souffle. Y est associée la notion de violence : persécution, supplices, emprisonnement et assassinat. Mais aujourd’hui, le sens du mot pourrait-il inclure bien plus largement que la classique victime parce que chrétienne ?
Dans le registre de « morts à cause de leur foi et/ou convictions », on a, par exemple, Martin Luther King, assassiné en 1968, ou Nelson Mandela, emprisonné pendant plus de 27 ans. Ont-ils subi ces actes parce que chrétiens, ou parce que défendant des convictions au nom de leur foi chrétienne ? Personne ne remet en cause la légitimité de leur combat pour les Droits humains et spécialement pour les populations africaines et afro-américaines.
Dans la catégorie « endurant une oppression de la part d’un bourreau », il y a pléthore de femmes et d’enfants réduits à l’esclavage que des chrétiens tentent de faire libérer 3. Vraiment « ressuscités » après leur calvaire, cette renaissance après un enfer peut s’apparenter à un martyre aboutissant à une nouvelle vie, réellement.
Nouvelle catégorie
D’ailleurs, le 11 juillet 2017, le Pape François signe une lettre apostolique, Maiorem hac dilectionem4, mettant en exergue une nouvelle voie de sainteté (et donc de possible canonisation) : la libre acceptation d’une « mort certaine et à court terme », par charité pour les autres.
Voie médiane entre le martyre et les vertus héroïques, elle se caractérise par le fait que la mort n’est dans ce cas ni donnée par un persécuteur ni advenue par haine de la foi. Un Maximilian Kolbe en est un exemple, ou les personnes atteintes de maladies fatales (Chiara Corbella-Petrillo, Carlo Acutis, Chiara Badano, etc.) qui décident d’offrir leur souffrance en oblation pour les autres.
C’est revaloriser la vie humaine offerte par amour d’autrui que de remettre sur le devant de la dévotion aux saintes et saints les exemples de don de soi dans un abandon croissant : courageux défenseurs des 30 articles de la Déclaration des droits humains, inlassables dénonciateurs du dérèglement climatique et de l’environnement, patients proches aidants de parents qui dépérissent inexorablement…
Dans le fond, c’est le seul commandement que le Christ a exigé de ses disciples : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. »
1 La Rome pontificale a eu tendance à s’approprier l’histoire de tous les monuments de la Ville Eternelle pour y établir une certaine hégémonie. 2 Acronyme pour Aide à l’Eglise en Détresse, cf. aide-eglise-en-detresse.ch/ 3 Cf. csi-suisse.ch 4 Les trois premiers mots du document, que l’on peut traduire par « Cet amour plus grand ».
Maximilian Kolbe (Pologne) et Carlo Acutis (Italie) ont accepté librement « une mort certaine à court terme ». Le Père Hamel (France), lui, a été assassiné en 2016 à Saint-Etienne-du-Rouvray.Martyre de saint André, peint sur la voute de l’abside de la basilique qui porte son nom à Mantoue.L’AED commémore chaque année les martyrs à travers « la nuit des témoins ».
Le voyant de l’Apocalypse découvre une foule immense de témoins, vêtus de robes blanches, que nul ne peut dénombrer. Ils proviennent de toute nation, race, peuple et langue – ces quatre termes pour désigner la totalité terrestre. Les rachetés agitent des palmes de triomphe, comme lors de la fête des Tabernacles, geste repris au dimanche des Rameaux (cf. Matthieu 21, 9-11).
Les élus chantent le salut réalisé par le Dieu Roi de l’univers et par son Fils livré et relevé d’entre les morts. Ce sont alors 7 mots (4 + 3) qu’expriment les anges, les vieillards et les quatre vivants pour célébrer la divinité du Seigneur de tous les siècles : « louange, gloire, sagesse, action de grâce, honneur, puissance et force », le chiffre 4 de l’humanité plus le nombre 3 de la divinité.
« Ces gens habillés du blanc de la vie, qui sont-ils et d’où viennent-ils ? », demande l’un des vieillards assis auprès du Trône de l’Ancien des jours. « Ils viennent de la grande épreuve, ils ont lavé leurs habits dans le sang de l’Agneau », répond-il lui-même à sa propre question, car Jean de Patmos le renvoie à la connaissance céleste qu’il ne possède pas : « Monseigneur, c’est toi qui le sais », lui dit le rédacteur du livre.
Il s’agit donc, pour ceux qui ont traversé la mort au nom de l’Agneau, de servir le Seigneur dans son temple nuit et jour et de se laisser guider par l’Agneau devenu leur pasteur vers les sources de la vie (cf. Isaïe 40, 10). Le passage par le martyre, celui du témoignage ou du don de nos vies, nous associe donc au Ressuscité de Pâques, à l’Agneau égorgé et sauveur. C’est dans le sang qu’il nous faut laver nos vêtements baptismaux. C’est le paradoxe de la résurrection lumineuse que symbolise le blanc, traversant les ténèbres du sang du Golgotha. C’est ce que continuent de vivre les martyrs de la vérité, de la justice et de la foi, aujourd’hui encore, tous ceux qui livrent leur existence pour leurs frères.
A l’audience du mercredi 19 avril 2023, le pape François est revenu non pas sur la figure d’un ou d’une sainte en particulier, mais « vers la colonne des martyrs ». Ce ne sont pas « des héros » mais des « fruits mûrs et excellents de la vigne du Seigneur » ; et le Pape de rappeler que « ces femmes et ces hommes de tout âge, culture, nation sont plus nombreux à notre époque qu’aux premiers siècles ».
Pardonner
Une caractéristique des martyrs, relève le Pape, outre le fait qu’ils donnent leur vie jusqu’à l’effusion de leur sang, est qu’« ils pardonnent toujours à leurs bourreaux ». C’est mettre en pratique le cœur du Notre Père, en écho à la prière d’Etienne, premier des martyrs (cf. Actes 7, 60) : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à qui nous a offensés. » Et de renchérir : « Les martyrs prient pour leurs bourreaux. »
Yémen…
Pour illustrer ses propos, le Pape revient sur l’exemple des Sœurs Missionnaires de la Charité au Yémen – pays oublié par l’actualité depuis des années – où sont mortes, assassinées, des religieuses de Mère Teresa. Et pourtant, leurs successeurs y demeurent, s’occupant notamment des handicapés. Et de citer « Sœur Aletta, Sœur Zelia, Sœur Michael, Sœur Anselme, Sœur Marguerite, Sœur Reginette et Sœur Judith… ce sont les martyrs de notre temps. »
Il note qu’avec ces religieuses catholiques, des musulmans ont également été tués : « C’est émouvant de voir comment le témoignage du sang peut unir des personnes de religions différentes. »
Et de conclure : « On ne doit jamais tuer au nom de Dieu, car pour Lui nous sommes tous frères et sœurs. Mais ensemble, nous pouvons donner notre vie pour les autres. »
Chaque mois, L’Essentiel propose à un ou une représentant(e) d’un diocèse suisse de s’exprimer sur un sujet de son choix. Mgr Jean-Marie Lovey, évêque du diocèse de Sion, est l’auteur de cette carte blanche.
Par Mgr Jean-Marie Lovey, évêque du diocèse de Sion Photo : cath.ch/Bernard Hallet
Qui peut en dire autant ? Lourdes révélerait sa force et sa grâce au nombre de visites que lui font les pèlerins ? Qui ne s’est jamais surpris en train de calculer ses bonnes actions ? Le calcul est une discipline précieuse, certes, et dans de nombreuses activités humaines il s’agit de calculer de façon juste, avisée. Comme le montre l’Evangile qui invite celui qui veut construire une tour, de commencer par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout (Lc. 14, 28). Mais le pèlerinage ne fonctionne pas sur ce registre.
Il s’agit encore moins, comme dans le second exemple de ce même Evangile, de se positionner en conquérant qui calculerait ses forces d’affrontement pour partir à Lourdes au pas de charge ! C’est plutôt le dernier verset de cette péricope qui est la clé de compréhension du pèlerinage : Donc, celui parmi vous qui ne renonce pas à tous ses biens ne peut pas être mon disciple (Lc 14, 33).
«Allez dire aux prêtres que l’on vienne ici en procession.»
Lourdes est un lieu de pèlerinage. Si, par défaut, on n’y allait pas en pèlerin, par grâce on pourrait en revenir tel ! Précisément, c’est une des grâces du pèlerinage que d’inviter au dépouillement, à la simplification.
Depuis 100 ans, l’Eglise de Suisse romande se rend en pèlerinage de printemps à Lourdes. 100 ans d’expérience qui ont mis notre Eglise en marche, selon des moyens de locomotion variés : à pied, à dos de cheval, à vélo, à moto, en voiture, en car, en train, en avion, peu importe. L’expérience du dépouillement est renouvelable.
Le pèlerin n’a pas à se demander s’il va arriver au bout du chemin, si ses compagnons de route, de table ou de chambre seront à son goût, si les célébrations seront belles et priantes. Sinon, c’est qu’il est en train de calculer. Il lui est proposé de renoncer à ses biens pour laisser la démarche creuser elle-même le sillon de la grâce dans un cœur tout disponible. Ce chemin-là, même repris pour la 100e fois, est toujours neuf s’il est vécu ensemble, dans la joie et la simplicité partagées.
La question de la représentation des images de Dieu est légitime et traverse toutes les traditions chrétiennes. Une multitude de visages ont été prêtés au Christ. Chaque artiste lui en a façonné un avec ce qu’il comprenait de Lui théologiquement. Entre le Christ historique et celui de nos mémoires rétiniennes, décryptage avec Daniel Marguerat.
Pour l’exégète, les auteurs du Nouveau Testament mettent en avant l’intelligence de la foi.
Par Myriam Bettens | Photos : Jean-Claude Gadmer
La quête du Jésus historique fait-elle peur dans la mesure où le résultat de ces recherches pourrait contredire le contenu de la foi ? Lorsqu’elle ne coïncide pas avec l’image que l’on s’est faite de Jésus, autant empreinte de tradition doctrinale que d’imaginaire, elle peut faire peur. Cette image qui nous désoriente doit être vue comme une chance pour la foi, car elle nous rapproche des Ecritures. Notre compréhension de Jésus vient s’affiner, s’enrichir et s’approfondir. Tous les auteurs du Nouveau Testament mettent en avant ce que l’on appelle l’intelligence de la foi et celle-ci doit grandir, sans quoi, elle se sclérose.
Risquerait-elle de rendre Jésus trop humain ? Il faut éviter de penser que Jésus serait en partie humain et en partie divin. Tout en lui est à la fois humain et « divin », dans le sens où il s’est fait médium de Dieu. Il est l’icône de Dieu comme nul humain ne l’a été. Mais il est vrai que dans la foi traditionnelle, un peu plus du côté catholique, la part « divine » a été majorée par rapport à la part humaine et c’est un déséquilibre qu’il faut éviter.
C’est justement sur l’humanité (ou l’incarnation) qu’est fondée la permission des représentations du Christ. Un peu paradoxal, non ? La sacralisation du personnage a commencé extrêmement tôt dans la foi chrétienne, mais toute la recherche sur le Jésus de l’histoire est au service de notre foi en l’incarnation. Il faut avouer que l’ambivalence de la liturgie fausse notre compréhension du Christ, car elle nous fait adresser nos prières autant à Dieu qu’à Jésus. Pourtant, ce dernier n’a jamais été que celui qui nous oriente vers Dieu, il n’a jamais réclamé qu’on le prie. Ni celui de l’histoire, ni celui des Evangiles. Ce flou est théologiquement regrettable, car on en vient à majorer la part divine de Jésus de telle manière qu’il en perd son humanité.
On reproche à la recherche historico-critique d’être incapable de comprendre qui était vraiment Jésus… La recherche historico-critique n’a qu’un objectif : celui de reconstruire la biographie de Jésus de Nazareth par les moyens de l’histoire. Elle va donc décrire l’humain Jésus et n’a absolument pas pour but de légitimer la foi en Jésus. Ce n’est pas son rôle. Par contre, elle a permis d’énormes avancées dans la compréhension de ce que fut le monde de Jésus et a évité ainsi d’énormes contresens.
Jésus a généré plusieurs lectures, les quatre Evangiles en sont la preuve, mais l’exégèse canonique gomme parfois toute cette diversité, à quelles fins ? A la fin du IIe siècle, il y a eu une tentative de rédiger une « harmonie » des quatre Evangiles, mais l’Eglise a été bien inspirée de refuser. Cela nous montre que personne ne peut mettre la main sur le Christ en le définissant par une parole unique. Il nous faut absolument respecter cette diversité, car elle nous permet également d’accueillir la diversité chrétienne. Légitimer une seule approche croyante est une posture sectaire. Les événements que représentent la venue de Jésus, son action et ses paroles sont d’une telle richesse qu’aucun courant théologique ni aucune spiritualité ne peuvent les capter tout entier. Dieu, merci !
« Messianique » intelligence artificielle
La start-up AvatarLabs vient de développer un robot conversationnel à l’image du Christ. Cette intelligence artificielle (IA) capable de répondre à des questions théologiques et spirituelles laisse Daniel Marguerat quelque peu… dubitatif. « Ce Personal Jesus a été construit par des ingénieurs ayant leur propre image de Jésus. L’IA n’est que la vitrine de la spiritualité de ses concepteurs. Ce Jésus n’est donc ni neutre, ni scientifique, ni objectif. Une icône en fin de compte, qui ne sert qu’une seule spiritualité et une unique approche. »
Bio express
Daniel Marguerat a enseigné le Nouveau Testament à l’Université de Lausanne de 1984 à 2008. Il est notamment spécialiste de la question du Jésus de l’histoire et de la théologie paulinienne. Auparavant, pasteur dans l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV), il est désormais retraité et divise son temps entre la rédaction de nouveaux ouvrages, ses petits-enfants et… les vacances.
Les codes sont proches de ceux de l’icône : le fond doré, les personnages hiératiques et peu expressifs.
Par Amandine Beffa Photo : Jean-Claude Gadmer
La fin des travaux de restauration de la basilique Notre-Dame de Lausanne, prévue pour fin 2024, est l’occasion de redécouvrir l’extraordinaire fresque de Severini qui s’y trouve. La surface de plus de 200 m2 et la voûte dorée à la feuille en font une œuvre unique en Suisse.
Comme souvent avec le Groupe Saint-Luc, l’œuvre est tout à la fois très traditionnelle et très moderne. Les codes de l’art byzantin sont traduits dans une langue cubiste et futuriste.
Aujourd’hui, nous sommes surpris par les églises entièrement décorées. Mais, ce sont nos édifices sobres qui déconcerteraient les hommes et les femmes de la période byzantine. En effet, il était impossible de laisser un mur vide. Toute paroi était nécessairement peinte ou recouverte d’une mosaïque.
Les codes sont proches de ceux de l’icône : le fond doré, les personnages hiératiques et peu expressifs. De manière très traditionnelle, la Vierge à l’Enfant est le point focal de l’abside.
La couleur de l’arrière-plan, symbole de la sainteté et de la lumière divine, fait le lien avec les scènes qui entourent la Mère de Dieu.
A notre gauche, l’ange désigne la colombe de l’Esprit Saint. Nous entendrions presque Marie, les mains ouvertes, déclarer : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole. »
Au premier registre, elle est présente aux pieds de la croix. Contrairement aux codes byzantins, elle est très expressive jusque dans le mouvement des bras qui recouvrent le bas de son visage.
La scène du couronnement de la Vierge, située sur la droite, n’est pas biblique. Elle est toutefois très commune dans l’art sacré, tant en orient qu’en occident.
Le décor citadin de l’œuvre est une note de modernité. Au-dessus de la scène de l’Annonciation, nous reconnaissons la cathédrale de Lausanne. En symétrie, se trouve la basilique Saint-Pierre de Rome.
Dans cette œuvre, la Vierge Marie présente le Fils de Dieu, mort et ressuscité pour nous sauver. Est-ce que la présence d’un édifice protestant et de l’église catholique par excellence ne vient pas nous rappeler que le Salut est donné pour tous en Jésus-Christ ?
Elle prie beaucoup et récite son chapelet chaque matin. Paroissienne à Orsières, Amélie Métroz, 83 printemps, est aussi une karatéka accomplie ! Rencontre avec une ceinture noire 1er dan pleine d’enthousiasme.
Par Nicolas Maury | Photo : Pierre Pistoletti
« Ça ne t’embête pas si on se tutoie ? » Alors qu’Amélie Métroz effectue une démonstration de karaté, répondre par la négative constituerait une erreur stratégique. Dans son appartement d’Orsières, la tonique octogénaire enchaîne les mouvements. « Si tu me donnes un coup de poing, je me défends avec un geden baraï. Là, je chasse ton bras qui arrive : c’est un age uke. Il y a aussi le mae geri. Je lance le pied. Celui d’en face doit parer le coup avec la main. »
La Valaisanne fait reposer son équilibre sur deux piliers : l’art martial japonais et la prière. « Est-ce que je suis une bonne catholique ? Dieu seul le sait », sourit-elle. « Je crois à ce que mes parents m’ont enseigné. Ils étaient très croyants, même s’ils avaient trop de travail et qu’on ne pouvait pas toujours aller à la messe. Mais j’aimais bien le curé René Lonfat. Cela dit, je ne comprenais pas tout. » Son mariage a changé la donne. « J’ai vraiment appris à lire grâce à mon mari et j’ai dévoré les livres religieux. » Son engagement n’a dès lors cessé de croître. « En 1981, j’ai fait les vœux de la fraternité de Saint-François dont j’ai intégré le comité. J’ai aussi participé à l’Eveil à la Foi et au Renouveau. » Paroissienne assidue, son chapelet ne la quitte pas et elle ne manque que rarement la messe dominicale. « Quand le curé Joseph Voutaz ne me voit pas, il s’inquiète (rires). Le jeudi je vais aussi à celle du home. Aujourd’hui, je n’ai pas pu. Cela aurait été impoli de rater notre rendez-vous ! » Pendant près d’une année, Amélie s’est occupée de l’entretien de l’église d’Orsière. « Le nettoyage, un peu tout en fait… Mais ça faisait beaucoup. »
Sur la table située devant celle qui est ceinture noire 1er dan figurent plusieurs clichés, dont un avec plusieurs personnes en kimono. « Le karaté est une histoire de famille. Mes filles ont commencé avant moi et m’ont proposé de venir. C’était en 1981, j’avais 60 ans. Ça me relaxe. Mais je ne mélange pas les choses. Ce n’est pas ma vie spirituelle. » Et de saisir le recueil Prions en Eglise. « Là-dedans il y a tout: les psaumes, les évangiles, les épitres. Je le lis tous les jours. Mais surtout, je prie tous les jours pour tout. C’est le don que Dieu m’a donné. »
Amélie Métroz, née à Orsières le 15 décembre 1940. A quatre filles et neuf petits-enfants. Catholique fervente et instructrice de karaté.
Lausanne est un haut lieu de spiritualité depuis l’Antiquité.
Par Pierre Guillemin | Photos : DR
Une cathédrale n’est pas construite au hasard et celle de Lausanne n’y déroge pas.
Le lieu, l’orientation sont les premiers éléments à observer. Viennent ensuite des éléments architecturaux qui vont lui donner une signification, un message particulier autour desquels le visiteur, pèlerin, croyant sera amené à se questionner et s’émerveiller.
Etymologie
La construction se situe sur un promontoire qui se nommait « La Grande Roche » : Moïse fait jaillir l’eau d’une roche, la roche fait écho à cette pierre sur laquelle l’Eglise est bâtie. Mais Lausanne est un haut lieu de spiritualité depuis la plus haute Antiquité. Le nom antique de la ville est Lousonna. Or, le radical Lou est issu de Lug en Celte qui désigne un dieu aux multiples pouvoirs (dieu solaire, dieu-roi maitrisant tous les arts et les sciences) et dont la fête se situe au 1er août… Lug c’est aussi Lausa en latin, c’est-à-dire une pierre plate, un autel.
Alors, en associant Lug et Sonna (soleil), LugSonna est l’endroit où le dieu resplendit. Lausanne se trouve liée à tous les autres lieux où le dieu Lug est vénéré : Lugdunum (Lyon), Lugano, Lucerne, Lutry, Loudun, entre autres.
L’orientation de l’édifice est dans la lignée classique de celle des églises. L’entrée est tournée vers l’Ouest tandis que le chœur et l’autel sont placés à l’Est. Au moment où le jour se lève, le public trouve un autel resplendissant de lumière symbole de la Présence, de la Puissance et de l’Amour de Dieu. Toutefois, on observe un décalage entre l’axe du chœur et l’axe de la nef. Symbole ou erreur de conception lors de la construction ? En l’absence de documents clairs, on penchera vers une erreur de conception : les architectes et Compagnons « corrigent » l’alignement en plaçant à la base droite du chœur un escalier donnant accès aux galeries supérieures.
La rosace, tout un symbole.
Quadrature du cercle
La grande question architecturale et symbolique pour la cathédrale de Lausanne est la quadrature du cercle. Mathématiquement, il est impossible d’obtenir un cercle ayant la même surface qu’un carré puisque Pi est un nombre irrationnel.
Ainsi, la rosace est une succession de carrés et de cercles qui cherchent à s’inscrire les uns dans les autres : les bâtisseurs s’interrogent (et le pèlerin avec eux) sur la logique de la construction de l’Univers et l’impossibilité de le représenter sous une forme géométrique résumant toutes les autres. Le mystère de Dieu est et reste donc entier, ce qui ne veut pas dire que l’on ne puisse pas s’en approcher par nos prières, nos actions, nos connaissances qui sont tous ces carrés et cercles que nous plaçons (comme sur la rosace) pour compléter cet ordre parfait de la Création.
Regard ce mois-ci sur la médaille de saint Antoine de Padoue. Invoqué lorsqu’on perd un objet ou quand une cause semble perdue, ce « faiseur de miracles » est un bon guide dans la vie de tous les jours, raison pour laquelle on offre volontiers sa médaille lors d’un baptême.
Toutes ces années de théologie pour rien ! C’est vrai, rien de mieux qu’une enfant de quatre ans, en l’occurrence ma fille, pour vous remoucher (proprement) et vous apprendre qui est réellement « Zézus ».
Balaie-donc tes certitudes, chère maman, parce que celui qui « croise les zambes là-haut, c’est pas Zézus », me dit-elle pleine d’assurance. « Viens ze vais te montrer. » Je la suis docilement auprès d’une autre icône. Faut dire qu’elle aime les églises, surtout orthodoxes, un comble pour la protestante que je suis. Et elle pourrait y rester des heures. Pas pratique, lorsqu’on voyage en groupe et que les autres patientent sur le parvis… « Là, regarde. C’est lui Zézus », désignant une icône de l’enfant dans les bras de sa mère. Je lui explique que Jésus n’est pas resté un bébé toute sa vie. « Ze sais ! Mais il est pas non plus resté là », lance-t-elle en pointant une image du Christ en croix. « Il est allé vers Dieu. T’as oublié ou quoi ? » Mon guide improvisé poursuit sa visite commentée de « la maison de Zézus ». Celle-ci se conclut sur une très ancienne icône de la Vierge. Je lui demande alors si elle sait qui est représenté. « Bien sûr, c’est Mona Lisa ! », lance-t-elle en roulant des yeux, exaspérée par mon ignorance.
Par Calixte Dubosson et la librairie Saint-Augustin
Des livres
Jésus – Approche historique José Antonio Pagola
Un nouveau livre sur Jésus ! Est-ce bien utile ? Quel personnage l’auteur va-t-il nous donner à voir : un sage ? un prophète ? un réformateur social ? un religieux ? un « sauveur » ? le « Fils de Dieu » ? Les évangiles ne suffisent-ils pas à notre information et faut-il toujours de nouveaux livres ? Déjà les évangiles sont quatre, signe que oui, il est utile et sera toujours légitime d’écrire sur Jésus. Mais il y faut beaucoup de science et d’humilité. Ces deux qualités, l’auteur les possède et les met en œuvre ici en y joignant un rare sens pédagogique. L’auteur veut mettre à la portée de n’importe quel lecteur ce que la recherche contemporaine peut dire avec certitude sur Jésus, de sa naissance à sa mort.
Décoder un tableau religieux – Nouveau Testament Eliane et Régis Burnet
Comment différencier une Annonciation d’une Assomption ? Que signifie le bleu du manteau de la Vierge Marie ? Pourquoi les premiers chrétiens ont-ils représenté le Christ sous la figure d’un berger ? Nous sommes entourés de tableaux religieux, mais savons-nous encore les lire ? Des catacombes romaines et des tableaux de Fra Angelico ou de Bruegel, les scènes du Nouveau Testament les plus fréquentes de l’histoire de l’art sont ici décryptées avec grande pédagogie et remises dans leur contexte biblique. A partir d’éléments facilement reconnaissables – un ange à genoux, une corbeille de pain ou une barque de pêcheurs –, Eliane et Régis Burnet élaborent une grille d’identification des épisodes de l’Evangile et décodent pour nous les symboles du christianisme.
De l’Annonciation à la Pentecôte, retrouvez 21 épisodes du Nouveau Testament illustrés par une cinquantaine d’œuvres d’art du IIIe au XXe siècle. Pour chaque épisode, le commentaire d’une peinture ou d’une sculpture est accompagné du texte de l’Evangile et d’œuvres qui approfondissent le thème. A travers une iconographie variée et originale, c’est une invitation pour toute la famille à découvrir comment, depuis deux mille ans, les artistes expriment la foi chrétienne et le mystère du Christ.
L’Evangile de Jésus-Christ en BD Olivier Drion – Clotilde Gaborit
Suivez les pas de Jésus le Christ comme si vous y étiez, partagez le quotidien de ses disciples, revivez les miracles, les oppositions, écoutez les paraboles, les discours. Et si vous aviez pu voir ce que bien des yeux ont voulu voir, entendre ce que bien des oreilles ont voulu entendre ? Après quatre années de travail, Olivier Drion, illustrateur, nous propose ici une vision contemporaine de l’Evangile de Jésus Christ.
Certains témoins de ce récit sont des personnages fictifs, mais la bande dessinée suit fidèlement le récit des Evangiles.
La fresque du Jugement dernier de l’abbaye de Saint-Jean-des-Sœurs, dans le Val Müstair, fait partie des plus anciennes peintures murales de l’Europe médiévale.
Voir le Christ sur une œuvre d’art est presque banal pour nous aujourd’hui. Pourtant, cela n’a pas toujours été une évidence.
Le possible visage de Jésus selon des chercheurs britanniques.
Par Amandine Beffa | Photos: DR, cath.ch/Maurice Page
De l’interdit vétérotestamentaire de faire une « image de ce qui a la forme de ce qui se trouve au ciel » (Dt 5, 8) jusqu’aux débats du XXe siècle autour de l’art sacré contemporain, s’intéresser aux représentations du Christ, c’est étudier « comment on croit ». Ce que l’on représente, et peut-être plus encore ce que l’on ne représente pas, dit beaucoup.
Donner ou ne pas donner de visage au Fils de Dieu
Aux premiers siècles, le Christ est évoqué par des symboles : poisson, chrisme (initiales du Christ), ancre, agneau… Dans les catacombes, il y a plus d’une centaine d’images du Bon Pasteur. Ce n’est toutefois pas encore une figuration du Christ à proprement parler. C’est la mise en image d’une parabole. Or, les paraboles sont des récits allégoriques. Ainsi, on évoque une histoire qui relate quelque chose du Fils de Dieu.
Des scènes bibliques sont observables, mais il s’agit surtout d’exprimer une espérance. Ce sont avant tout les miracles et la résurrection qui sont figurés.
Si le Christ est ressuscité, s’Il a ramené à la vie Lazare, alors, ceux qui sont morts peuvent espérer la vie.
Pour le frère Philippe Lefebvre : « Si l’on ne peut s’empêcher de se faire des images de ce en quoi on croit, quelles sont les images qui correspondent à la révélation de Dieu Lui-même ? »1
L’enjeu de l’art est aussi ce que l’on souhaite transmettre. Les évangiles ne disent rien de l’apparence de Jésus. Pour le représenter, il est impératif d’imaginer ce à quoi il ressemble. Mais, est-ce si anodin ? Pas forcément. En effet, l’image que nous avons de Lui provient en partie des œuvres que nous avons vues depuis que nous sommes enfants.
Ainsi que le développe Robert Will, il n’est pas possible de trouver une image qui exprime à elle seule le tout du Christ. Elle ne dira jamais « la plénitude de la vie divine en lui »2. Toute représentation est nécessairement réductrice.
Jésus enfant a parfois les traits d’un adulte miniature ou d’un « enfant vieillard ».
Définir les traits du Christ
Les traits du Christ ont été progressivement définis pour arriver à une forme d’art canonique. Aujourd’hui, si on demande à des personnes prises au hasard de dessiner Jésus, il y a fort à parier qu’il y aura beaucoup de points communs.
C’est au Ve siècle que se fixe l’apparence du Jésus que nous connaissons.
Par la suite, « […] depuis le XVIe siècle, les tendances artistiques se sont dispersées dans la mesure où la vie religieuse s’est individualisée »3.
Parfois, les débats se trouvent là où nous ne les attendrions pas. Au XIe siècle, Jésus enfant a les traits d’un adulte miniature ou d’un « enfant vieillard ». Cela repose sur la conviction qu’il est impossible à Dieu de changer, de vieillir, de mourir.
Aujourd’hui, certains chercheurs essaient de retrouver ce à quoi le « Jésus historique » ressemblait réellement, en utilisant des crânes de l’époque et toutes les informations dont nous disposons. Les images 3D sont certes impressionnantes, mais nous pouvons nous demander ce qu’elles apportent à notre foi.
Le Beau Dieu
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les critères esthétiques sont prépondérants. Saint Augustin ou saint Thomas d’Aquin insistent sur le fait que Jésus ne peut qu’avoir une apparence parfaite.
La beauté physique est comprise comme reflet de la beauté de l’âme. Le Psalmiste ne dit-il pas : « Tu es beau comme aucun des enfants de l’homme, la grâce est répandue sur tes lèvres : oui, Dieu te bénit pour toujours. » (Ps 44, 3) ?
Le Christ mort et souffrant
Si la Résurrection a été fêtée dès le début du christianisme, il faut attendre le IVe siècle pour voir apparaître les premières crucifixions. Elles restent malgré tout très symboliques. Longtemps, ces scènes ne sont pas réellement défigurantes, les traits restent harmonieux. C’est le cas par exemple du Retable des Cordeliers à Fribourg.
Au centre du Retable des Cordeliers, à Fribourg, le Christ conserve des traits harmonieux malgré la crucifixion.
Le glissement est progressif : « Vers la fin du Moyen Age, ce fut surtout le Crucifié que l’on représenta dans l’horreur de l’agonie, tandis que l’ancienne Eglise éprouvait une certaine répugnance pour ce spectacle. »4
Dès le XIVe siècle, se développe une obsession pour la mort et la passion. Elle va de pair avec une spiritualité doloriste. On cherche à éveiller la pitié, une forme de culpabilité aussi : le Christ est mort pour nous, à cause de nous.
Le Christ défiguré
Représenter le Christ souffrant ne revient pas nécessairement à représenter le Christ laid. Pourtant, le prophète Esaïe déclare : « La multitude avait été consternée en le voyant, car Il était si défiguré qu’Il ne ressemblait plus à un homme ; Il n’avait plus l’apparence d’un fils d’homme. […] Il était sans apparence ni beauté qui attirent nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, Il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. » (Es 52, 14-53, 3)
Que nous dit la souffrance du Christ ? Elle nous rappelle que la crucifixion n’est pas banale. Paul ne nous parle-t-il pas du scandale de la croix (1 Co 1, 22-23) ?
Parmi toutes les œuvres, deux sont incontournables : le Retable d’Issenheim de Mathias Grünewald et le Christ de Germaine Richier. Les deux ont en commun d’avoir été réalisés pour des malades, au cours de périodes d’épidémies. Grünewald et Richier, chacun à son époque, ont voulu montrer un Christ défiguré par la souffrance.
Une œuvre exilée
Au Plateau d’Assy, les malades des sanatoriums ont tout de suite apprécié ce Jésus illustrant si bien les paroles du prophète : « En fait, c’étaient nos souffrances qu’Il portait, nos douleurs dont Il était chargé. Et nous, nous pensions qu’Il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’Il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’Il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur Lui : par ses blessures, nous sommes guéris. » (Es 53, 4-5) Mais, la multitude est consternée si bien que le crucifix de Germaine Richier est exilé de 1951 et 1969.
Pour le frère Philippe Lefebvre, l’idole est une « projection sur le divin de son propre imaginaire, de sorte qu’elle enferme sur soi au lieu de favoriser la rencontre »5. Rejeter certaines représentations du Christ serait-il finalement une forme d’idolâtrie ? Nous pouvons ainsi nous demander quelle rencontre nous manquons lorsque nous rejetons une œuvre.
1 Lefebvre Philippe. Peut-on représenter Dieu ? Un questionnement dans la Bible. In : Etudes, n° 4225. mars 2016. p. 63. 2 Will Robert. Le symbolisme de l’image du Christ. Essai d’iconographie chrétienne. In : Revue d’histoire et de philosophie religieuses, 16e année n° 3-5, Mai-octobre 1936. Cahier dédié à la mémoire de G. Baldensperger. p. 403. 3 Ibid, p. 148. 4 Ibid, pp. 415-416. 5 Lefebvre, op. cit., p. 63.
Représentation du Christ créateur, par Giusto de Menabuoi.
Par François-Xavier Amherdt | Photo : DR
« Il est l’image du Dieu invisible », eikôn en grec, qui donne le terme français « icône ». Le cantique qui ouvre la lettre de Paul aux Colossiens et que nous chantons régulièrement à l’office des vêpres (du soir) célèbre d’abord le Christ créateur, le Premier-Né en qui toutes choses ont été faites, autant les créatures visibles qu’invisibles, puissances, principautés, souverainetés, dominations, pour reprendre les quatre mots employés par l’hymne afin de désigner les êtres non-visibles et spirituels, mais soumis au Christ. « Tout est créé par lui et pour lui », ajoute Paul, car il est engendré de toute éternité dans le sein du Père, « il est avant toute chose et tout subsiste en lui ».
Reflet éternel de la grandeur de Dieu, il nous offre le visage de la bonté et de la tendresse divine. Jésus-Christ est notre Sauveur et notre Roi, la tête de l’Eglise, son Corps. Il est établi à ce titre par sa Résurrection dans l’Esprit Saint. Il est le premier-né d’entre les morts, le commencement de toute réalité. Il a en tout la primauté, parce qu’en lui habite la plénitude de vie et de vérité. C’est par lui que le Père s’est réconcilié toute chose. Par le sang de sa croix, il a offert au cosmos et à l’humanité la paix, le shalom, l’harmonie, sur la terre et dans le ciel. Il nous a donné d’avoir part dans la lumière à l’héritage promis avec tous les saints, les vivants et les défunts. Lui le Bien-Aimé, il nous a arrachés au pouvoir du mal, il nous a associés à son Royaume, il nous a offert la rédemption et le pardon de tous nos péchés.
Il vaut la peine de contempler ce chant et les métaphores qu’il déploie, de les déguster l’une après l’autre, de manière à ce que nous puissions toujours mieux habiter notre propre corps fait à l’image de la Trinité, l’univers qui nous est confié, et de façon à ce que nous parvenions à vivre dans la sérénité avec nos frères et sœurs dans l’Eglise et dans le monde, de toutes races, nations, peuples et religions.
Le Christ se donne à voir pour que nous puissions le représenter et l’offrir aux autres.
C’était à Marseille, en septembre 2023. Le pape François encourageait les prêtres et consacrés en ces termes éloquents : faire sentir le regard de Jésus. Et de rappeler que sur les images de Marie, il convient de fixer notre regard sur le sien, qui souvent porte soit vers son Fils, soit vers nous. Idem pour le regard de l’Enfant dans ses bras : il se pose sur nous ou sur sa mère. Une invitation à contempler les images pieuses non pas en tant que talismans ou idoles, mais comme vecteurs d’une relation à Dieu et au prochain tout intérieure, qui passe par le regard…
Joli coup d’œil
En nous laissant regarder par le Christ, nous devenons – continue le Pape – nous-mêmes des observateurs aux caractéristiques suivantes : « Proximité, compassion et tendresse. » En nous laissant ainsi portés par son regard, nous devenons celles et ceux qui, de par notre étreinte, traduisons l’encouragement de Dieu aux blessés de la vie et de par notre caresse, incarnons la proximité d’un Dieu de miséricorde pour qui en a besoin.
Œil pour œil…
Mais il y a également, précise le Pape, le regard des priantes et des priants envers l’icône, l’image, le visage du Christ. L’adoration se fait aussi par le regard : sur l’ostensoir, sur le Saint ou la Sainte peinte, sur le visage même du Christ en croix, ou en gloire. « Portons à nos frères et sœurs le regard de Dieu », et « portons à Dieu leur soif », leur cécité, leurs aveuglements, en une chaîne bienfaisante qui délie de la mièvrerie et relie au Regardant qu’est le Christ, du haut de la croix.
Chaque mois, L’Essentiel propose à un ou une représentant(e) d’un diocèse suisse de s’exprimer sur un sujet de son choix. Céline Ruffieux, représentante de l’évêque à Fribourg, est l’auteure de cette carte blanche.
L’Eglise est morte ; vive l’Eglise !
Par Céline Ruffieux, représentante de l’évêque à Fribourg Photo: cath.ch
L’Eglise de nos paroisses, parfois millénaires (dès le VIe siècle), ne peut que constater qu’elle est en décalage de quelques centaines d’années avec le monde d’aujourd’hui, autant par rapport aux besoins qu’aux réalités de nos contemporains. Le rythme de vie des familles, les offres et les besoins dans le domaine de la spiritualité, l’éco-anxiété des jeunes adultes, l’individualisme de la société…
Il y a une rupture de confiance générale : même les plus grands sont mis à terre publiquement, accusés d’abus et d’emprise, jouissant de leur position asymétrique dans leurs relations ; l’institution s’est autoprotégée au détriment des victimes et aujourd’hui, nous nous retrouvons à devoir chercher l’Essentiel.
Le sol s’effrite sous les pieds des gens engagés dans cette Eglise-institution. Et pourtant… nous sommes toujours là ! Prêtres, agent-es pastoraux-ales laïcs-ques, diacres, conseillers-ères de paroisse, collaborateurs-trices administratifs-ves, sacristains-ines, chantres… représentant-e de l’évêque, évêque, et vous, surtout vous, baptisé-e-s, paroissien-ne-s, curieux-ses… Nous sommes toujours là, avec Jésus, présent au milieu de nous, parce que c’est bien Lui qui nous engage à mettre nos vies sur son chemin et non pas un contrat ou un salaire.
Chaque matin, j’ai la petite discipline de me poser la question de mon « Oui » à Le suivre. Je prends le temps de prendre conscience et de m’émerveiller de ce monde encore une fois créé pour nous. J’aurai une journée chargée, avec des conflits à gérer, des solutions à construire pour des problèmes qui semblent pourtant parfois insolubles, des décisions à prendre, réjouissantes ou effrayantes quant à leurs conséquences, des séances à animer ou à amender. Ma journée sera surtout l’occasion de laisser le souffle de l’Esprit créer l’improbable, l’amour du Christ infuser chacune de mes rencontres, chacune de mes décisions, chacun de mes silences.
Nous avons célébré la naissance du Fils de Dieu il y a à peine quelques semaines. Cette naissance n’a pas eu lieu il y a environ 2000 ans, mais bien dans « l’aujourd’hui » de nos vies, aujourd’hui de Dieu. Nous avons peut-être rangé le sapin et la crèche, ne rangeons pas la lumière de Noël hors de nos cœurs et vivons l’Eglise ensemble !
Pourquoi, après la prière du « Je confesse à Dieu » et la formule d’absolution du prêtre, nous demandons encore au Seigneur de prendre pitié ? * Tel est le sens du Kyrie eleison (en grec ancien) : « Seigneur, prends pitié. » Il nous permet d’élargir notre prière et de proclamer la miséricorde de Dieu pour nos frères et sœurs en humanité. Le Kyrie est donc une acclamation du Seigneur ressuscité, victorieux de la mort sous toutes ses formes, y compris le péché et qui vient nous relever.
Par Pascal Ortelli
* Nous vous proposons cette année de décrypter la messe, en lien avec le livre de Pascal Desthieux : Au cœur de la messe. Tout savoir sur la célébration, illustrations Hélène VDB, Editions Saint-Augustin.
Humour
Un frère d’un monastère avait des problèmes psychiques. On lui confiait des petits travaux comme donner à manger aux poules. Un jour, il refusa d’aller dans le poulailler, car il s’était mis dans la tête qu’il était un grain de riz. Le supérieur l’hospitalisa et après trois semaines de soin, il retourna au couvent guéri de sa certitude d’être un grain de riz. Le supérieur lui confia à nouveau la tâche de donner à manger aux poules. Il y alla, mais au dernier moment, il renonça. Le Père-Abbé lui dit : – Voyons, frère Antoine, vous n’êtes plus un grain de riz. Vous pouvez y aller sans peur ! – Moi je sais que je ne suis pas un grain de riz, mais les poules ne le savent pas !
« La piété populaire est un trésor pour l’Eglise », affirme le pape François. L’Essentiel décrypte cette année ce qui se cache derrière les principales médailles que nous portons. Regard sur la médaille de saint Benoît, qui remonte au Moyen-Age et est utilisée pour se protéger des embuches des démons.
Par Calixte Dubosson et la librairie Saint-Augustin
Des livres
Le management… selon Jésus Florian Mantione – Hervé Ponsot
Qui a dit que, dans l’Evangile, il n’était question que de religion ? Incroyable mais vrai, c’est également un excellent manuel de management ! Voici le livre qu’il nous fallait pour réconcilier l’attaché-case avec l’encensoir, l’homme d’affaires et le prêtre. Le livre qui nous fait comprendre, à la relecture de la vie de Jésus, son rôle de leader et l’efficacité de son discours et de sa stratégie pour convertir le monde.
Ces idées chrétiennes qui ont bouleversé le monde Jean-François Chemain
La vieille Europe, la chrétienté, est-elle en train de mourir après avoir rempli sa mission d’ensemencer le monde du christianisme ? On peut s’interroger sur la nécessité d’un tel pessimisme. L’Occident se trouve désormais au banc des accusés. A l’extérieur, on conteste son hégémonie, invoquant des griefs présents et passés. A l’intérieur, les uns, surenchérissant sur le monde, exigent qu’il fasse repentance de ce qu’il a été – conquérant, dominateur, homogénéisateur… tandis que d’autres, nostalgiques de la « chrétienté », lui font grief de ce qu’il ne serait plus assez « chrétien ». A l’heure du doute, Jean-François Chemain livre ici une réflexion puissante et originale sur les apports civilisationnels du christianisme et la légitimité de leur devenir.
Madeleine Delbrêl, née dans une famille peu croyante, perd la foi à 15 ans. Elle rencontrera à nouveau le Christ grâce à des amis chrétiens et, à 20 ans, est « éblouie par Dieu », lors d’un passage en l’église Saint-Dominique de Paris. Sa conversion la pousse à s’engager dans le scoutisme puis à travailler comme assistante sociale auprès des plus pauvres, annonçant la Bonne Nouvelle de l’Evangile dans les banlieues rouges de la capitale. Avec des amies, elle fonde une communauté qui s’attache à rencontrer les gens où ils vivent, devenir leur ami, les recevoir chez soi, s’entraider. Une biographie qui se lit comme un roman, pour nourrir l’âme des jeunes et moins jeunes.
Les plus beaux Récits de la Bible Katleen Long Bostrom
Ce n’est pas toujours aisé d’initier les enfants à la Bible. Ce livre est l’outil idéal, car il narre, à l’aide d’une langue simple et de magnifiques images, 17 histoires fameuses tirées de l’Ancien et du Nouveau Testament.
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