La découverte d’un petit carnet vert entraîne Luc Zbinden dans une course haletante contre l’oubli. De New York à Berlin, en passant par Paris et Auschwitz, cette (en)quête le mène à réactualiser l’héritage que son grand-père lui a légué.
Par Myriam Bettens | Photos : Jean-Claude Gadmer
Sur quoi porte l’enquête de votre livre ? (ndlr. voir ci-dessous)
L’enquête a démarré complètement abruptement par la révélation d’une de mes tantes : « Sais-tu que ton grand-père a sauvé des Juifs pendant la guerre ? » Cette question a alors allumé une mèche en moi. Il fallait absolument que je découvre et reconstitue l’histoire de ce grand-père et des familles qu’il avait sauvées. Progressivement, ce récit est devenu celui d’un homme sur les traces de son passé, de son héritage, sur l’importance de la transmission et la manière dont sa propre histoire influence l’existence d’autres personnes.
A vous lire, tout ce travail d’enquête a été orchestré par « un grand Architecte »… Quel était Son dessein pour vous ?
Certains l’appellent aussi Père… Ce grand Architecte nous met en route, car Il veut aussi nous ancrer dans une filiation. Combien de textes bibliques évoquent l’héritage et l’importance d’y entrer pleinement. Il m’a conduit à me lever de manière nouvelle en faveur des droits humains et contre l’antisémitisme. J’ai compris en faisant une sorte d’anamnèse que je portais en moi un intérêt, une passion… presque une osmose avec l’histoire unique de ce peuple.
Passion, osmose… Est-ce qu’à l’heure actuelle, le « philosémitisme » est encore audible ?
Difficilement, malheureusement. Il y a souvent amalgame entre politique de l’Etat d’Israël et soutien à l’histoire d’une culture et d’un peuple. Ce filtre fait que, lorsqu’on est face à des positions qui valorisent et honorent le monde juif, cela induit une compréhension partielle et partiale du philosémitisme perçu, de facto, comme défendant aveuglément une politique. J’ai une démarche de respect par rapport à un peuple qui nous a légué un héritage culturel, philosophique et religieux dans lequel je plonge mes racines. Le sujet de mon livre n’a pas de vocation politique.
Vous parliez de « se lever »… D’ailleurs, votre grand-père a été encouragé à faire de même à l’image du récit biblique d’Esther…
Esther a vraiment inspiré mon grand-père. Nous devons, en ce moment, être des Esther face à la montée de la haine, de l’antisémitisme et de la discrimination sous toutes ses formes. Cette reine nous appelle à nous lever avec courage et détermination. Je dirais en outre que choisir d’aimer un peuple, alors que tous les vents lui sont contraires, est aussi une manière d’adopter la posture d’Esther.
En même temps, votre grand-père n’a jamais reçu la reconnaissance qu’il méritait…
Mon grand-père est considéré par beaucoup comme un « Juste », sans jamais en avoir formellement reçu le titre. Il était un Juste de cœur, d’action et de parole. De plus, l’humilité était, chez lui, une vraie marque de fabrique. Il ne voulait pas de ce titre, car il considérait avoir « fait ce que tout le monde aurait dû faire ». C’était l’évidence d’un homme habité par sa foi et s’attendant à ce que les autres se lèvent de la même manière que lui.
Qu’est-ce qu’implique d’être un « Juste » aujourd’hui ?
Je crois qu’être Juste, c’est déjà faire preuve de solidarité courageuse. Aujourd’hui, c’est peut-être se lever à contre-courant d’une pensée globale, parfois faite de compromissions et d’amalgames.
Le livre d’une vie
Dans Un carnet vert, Luc Zbinden découvre fortuitement l’existence d’un journal qui le pousse sur les traces de son grand-père, pasteur dans les Cévennes. Celui-ci a sauvé des Juifs au péril de sa vie durant la Deuxième Guerre mondiale. L’auteur nous livre un récit haletant, presque cinématographique, dans lequel l’action discrète du grand-père nous amène à prendre part au destin croisé de plusieurs familles victimes de la Shoah. Une (en)quête sur la nécessité de transmettre un héritage familial et le besoin (vital ?) d’enraciner son identité.
Luc Zbinden, Un carnet vert : (En)quête d’origines, Editions Favre, 2024, 228 pages.
Bio express
Après des études en lettres, le Vaudois Luc Zbinden se dévoue à la passion d’une vie, l’enseignement : histoire, puis littératures anglaise et française. Sa rencontre avec Marion Arnstein Van Eck, survivante des camps de concentration, sera déterminante. Il intervient fréquemment comme conférencier pour partager son expérience.