L’annonce de Caritas demandant des familles pour accueillir les Ukrainiens qui ont fui leur pays a retenu leur attention. Sans trop réfléchir, Brigitte et Claude Geinoz ont donné leur accord pour recevoir chez eux une mère et son enfant. Trois jours plus tard et après quelques échanges administratifs, on leur confie Katrina et Liora, une jeune maman et sa fille de 5 ans.
PAR OLIVIER CAZELLES | PHOTOS : OLIVIER CAZELLES, BRIGITTE GEINOZ
Brigitte et Claude, comment se sont passés les premiers moments ?
Brigitte et Claude Geinoz : Sans aucun problème. Nous avons pu mettre à disposition de nos hôtes une chambre avec un lit gigogne, une petite terrasse et une salle de bains. C’est leur espace, et Katrina a modifié la disposition des meubles à sa convenance. Le reste de la maison, salon, cuisine, terrasse et jardinet, sont partagés en permanence. Nous ne parlons pas anglais, mais avec les gestes, ça fonctionne. Et nous parlons «Google»: nous utilisons le dictionnaire en ligne sur nos Smartphones pour les cas particuliers.
Katrina est discrète. Elle participe volontiers aux tâches communes, mais nous ne la considérons pas comme une aide ménagère : elle est chez nous comme une invitée. Je remplis le frigo en tenant compte de leurs préférences et de leurs habitudes. Mais elle préfère nous laisser manger seuls. Comme elle est végétarienne, elle prépare les repas pour elle et sa fille.
Comment votre famille et votre entourage ont-ils réagi à votre engagement ?
Ils ont été inquiets et on a beaucoup parlé. Nos enfants avaient peur pour nous, ils craignaient qu’accueillir des réfugiées nous donne trop de travail, que je n’aie plus assez de temps pour m’occuper de leur papa. Maintenant ils sont rassurés et la famille s’est agrandie avec Katrina et Liora. C’est Isabelle, la femme de notre fils Christophe, qui est allée les chercher à Boudry à ma place. Claude est partie prenante de l’accueil. Mais, étant en fauteuil roulant, il est fragile et a aussi besoin d’attention. Si sa situation demandait une prise en charge temporairement plus lourde, je pourrais bénéficier de l’aide d’une amie afin d’être disponible pour lui et pour que Katrina et Liora ne soient pas seules.
Cette après-midi, une personne de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) est venue à la maison. Elle a réglé divers points administratifs (responsabilité civile, assurances, …) et finalisé un projet de contrat d’accueil entre nous et Katrina : on nous accorde une aide correspondant aux frais de location. Comme elle a peur d’être une charge trop lourde pour nous, cette entrevue l’a beaucoup soulagée moralement.
Katrina, dans quelles conditions a eu lieu votre départ d’Ukraine ?
Nous habitons à Odesssa, sur la mer Noire. C’est à 500 kilomètres de Marioupol, cette ville complètement détruite. Cette invasion brutale, ces bombardements, m’ont terrifiée. J’ai eu très peur pour ma fille. Je ne voulais pas qu’elle connaisse la guerre et souffre des séquelles de ce qu’elle aurait vécu. Nous nous sommes d’abord réfugiées en Roumanie, puis nous sommes arrivées en Suisse. Nous nous sommes retrouvées au centre d’accueil de Boudry, sur le lac de Neuchâtel. Malgré la situation, ma famille est restée à Odessa : c’est son choix pour le moment. Beaucoup de mes amis ont également fui l’Ukraine ; ils ont été accueillis dans divers pays européens et même au Canada. Le père de ma fille, resté sur place, nous appelle un jour sur deux. Pour le moment, il n’est pas recruté par l’armée, de même que les autres hommes de notre famille. Il continue de travailler.
Que faites-vous de vos journées ?
Professionnellement, je suis styliste après avoir fait des études universitaires à Kiev. L’usine de confection pour laquelle je travaillais a dû fermer. La production s’est arrêtée à cause de la guerre et je ne peux pas faire de télétravail pour mon employeur.
Ma priorité est d’apprendre le français. Je suis des cours à Founex où une association et des bénévoles s’occupent de nous. Je dois parler français si je veux trouver du travail.
Liora va à l’école enfantine au centre-ville. Et elle y est heureuse. Elle apprend le français et l’anglais. Elle s’entend bien avec Brigitte, Claude et leur chien Filou. Elle est tout excitée quand elle entend « piscine », un mot magique. Quand Brigitte fait les courses et lui rapporte une petite surprise, elle s’écrie « Oh, my God ! » en se tenant la tête à deux mains, ce qui fait rire tout le monde.
Comment vivez-vous votre séjour en Suisse ?
Je suis très entourée. Sally, la voisine de Brigitte, est accueillante. Et comme elle est anglaise, elle est une très bonne traductrice. Grâce à tous les voisins de Brigitte et Claude, j’ai fait de nombreuses connaissances.
J’ai beaucoup de chance d’être en Suisse. Je suis reconnaissante envers toutes les personnes qui nous accueillent et qui montrent tant de gentillesse à notre égard. J’ai même la chance de pouvoir découvrir le pays. Je reçois des titres de transport. C’est ainsi que j’ai déjà pu visiter Vevey et Chaplin’s World, le musée Chaplin; demain, j’irai à Lucerne. On me conseille de monter au Pilate.
Brigitte et Claude, vous vivez une expérience très singulière. Quel lien faites-vous avec l’Evangile ?
Cette décision nous est tombée dessus. Nous avons lu l’annonce de Caritas et il était évident pour nous qu’il fallait dire oui. J’avais mal pour ces femmes qui devaient quitter l’Ukraine avec leurs enfants en laissant leur mari sur place. Nous devions accueillir quelqu’un comme nous aurions aimé l’être dans des circonstances similaires.
Et puis, c’est normal puisque nous sommes chrétiens et que nous pratiquons notre religion. Avec la maladie de Claude, nous sommes moins engagés à la Colombière, mais auparavant nous avons notamment travaillé avec Tchad Missions Nyon et chanté dans la chorale. Recevoir Katrina et Liora est pour nous une façon d’être disponibles pour notre prochain.