Extrait de l’homélie du Dimanche des Migrants
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« Ce drame, si souvent répété et toujours actuel, interroge notre responsabilité personnelle et collective ainsi que nos choix de vie. Qu’est-ce qui l’emporte ? Notre amour du prochain ou l’idée bien établie – d’une logique imparable – selon laquelle : « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ? » Qu’est-ce qui parle en premier ? L’ouverture du cœur ou la fermeture très pragmatique des frontières ? Qu’est-ce qui compte le plus ? La lutte contre la souffrance ou notre intérêt et notre bien-être ?
« Comment se fait-il – demandent les faux naïfs – qu’il y ait des réfugiés économiques ? Pourquoi tous ces gens – comme le pauvre Lazare – veulent-ils leur part des miettes qui tombent de notre table ? » On peut bien faire l’autruche et ignorer qu’aujourd’hui ces inégalités sont si grandes et si nombreuses qu’on écrit des pages et des pages de rapports, qu’on fait même des atlas pour encore mieux montrer les régions du monde où l’on ne trouve ni nourriture, ni eau potable, ni électricité, ni toilettes, ni retraite, ni aide sociale, ni couverture santé… Mais interrogeons-nous pour savoir quels sont les pays qui contribuent aux guerres ou qui les laissent faire ? Qui là-bas exploite les ressources et appauvrit les populations ? Qui vit au-dessus de ses moyens, tout en ignorant les autres ? « Entre eux et nous – dit la parabole – il a été disposé un grand abîme, pour que ceux qui voudraient traverser ne le puissent pas. » (Lc 16, 26)
Nous sommes les témoins d’une pauvreté qui fait basculer une part de l’humanité dans une condition de sous-humanité ! Et la connaissance de ces injustices criantes, loin de susciter notre action concrète, semble nous plonger dans une sourde impuissance ! Alors que ne rien faire est aussi d’une grande violence, pour ceux qu’on abandonne à leur malheur, mais aussi pour nous-mêmes si nous nous résignons !
Heureusement, il y a l’Evangile… et le Christ qui, par cette parabole, nous délivre de tout fatalisme. Cette histoire de l’homme riche et du pauvre Lazare est d’une scandaleuse vérité. Elle nous renvoie à toutes les disparités sociales et à la situation d’un grand nombre de personnes aujourd’hui, y compris autour de nous. D’un côté, un nanti, vivant dans l’abondance, avec ses vêtements luxueux, ses somptueux
festins… De l’autre, Lazare, dont le nom signifie : « Dieu aide ». Et entre ces deux hommes : un immense fossé. Celui de l’indifférence ! La plus grande injustice n’est pas que certains soient plus riches que d’autres, mais que la richesse puisse rendre les hommes aveugles ! Que la vie facile les prive de tout discernement, les rende incapables de voir la situation dans laquelle ils se trouvent par rapport aux autres. Là est le grand malheur frappant ceux à qui l’argent fait croire qu’ils vivent dans un autre monde. Qui se sentent si différents, qu’ils en deviennent irresponsables !
Ainsi, le scandale que Jésus dénonce c’est l’aveuglement de ceux qui ne sont plus en mesure d’évaluer leur condition véritable. Le malheur du riche, c’est de vivre comme si la misère n’existait pas, comme si la souffrance des autres était sans importance… De manière volontaire ou involontaire, il ferme les yeux sur la réalité qui le dérange, celle qui risque de perturber la fausse sécurité matérielle qu’il partage avec ses amis. Et les grands festins qu’il donne sont autant de symptômes qui à la fois masquent et dévoilent l’accablante vanité de son existence.
Alors, l’injustice la plus honteuse qui nous menace, c’est le risque de nous fermer, de n’être plus capables de voir ou de ne plus savoir regarder. Ou bien qu’ayant trop vu, nous ne puissions plus que fermer les yeux sur l’essentiel, comme si l’excès d’information audio-visuelle ne faisait que dissimuler les évidences.