Joséphine Bakhita est injustement méconnue. Saisie par son portrait et une note biographique dans une église de Touraine, Véronique Olmi se lance dans des recherches au résultat plutôt maigre. Injustice à réparer, se dit-elle, face à cette destinée hors normes. Son roman, moult fois primé, raconte l’incroyable odyssée d’une femme ayant survécu à tout.
Par Anne-Laure Martinetti | Photos : DR
Son temps d’écriture ne fut pas solitaire car la romancière, se disant pleine, envahie par ce sujet, en parlait beaucoup tant il est impossible de garder pour soi les émotions suscitées par cette trajectoire. Arrachée à sept ans à son village du Darfour par des marchands d’esclaves à la fin du XIXe siècle, la fillette endurera tant de souffrances qu’elle en oubliera jusqu’à son nom.
« Je ne lâche pas ta main. » – Tout n’est plus que désolation à Olgassa, village de la tribu nubienne des Dadjo : corps mutilés, animaux errants, oiseaux muets, cases défoncées. Dans une précédente « razzia », Kishmet, l’aînée de Bakhita, avait été enlevée. A nouveau, les villageois n’ont rien pu faire. « Contre les fusils et la poudre, leurs flèches et leurs arcs n’ont servi qu’à signaler leur présence impuissante. » Commence alors une vie d’esclave faite d’humiliations et de violences durant laquelle la fillette rencontre Binah, enfant martyre elle aussi, avec qui elle tente de fuir sans succès. Les fillettes ont une devise, « je ne lâche pas ta main », mais Binah ne sera pas sauvée. Vendue et revendue par des marchands d’esclaves qui la baptise « Bakhita », traduction – quelle ironie – de « la chanceuse », l’enfant d’Olgassa marchera des centaines de kilomètres sous un soleil de plomb, enchaînée, fouettée, affamée. Elle appartiendra notamment à un riche arabe et à un général turc sans jamais revoir ni sa sœur ni Binah.
Arrive une trêve – Le Consul d’Italie à Khartoum, Calisto Lignani, est son premier « sauveur ». Elle a 14 ans. Il fait son acquisition, lui donne le prénom de Joséphine et la traite plus humainement. Dans sa maison, elle ne vit plus nue, peut se laver, se nourrir. Suite à un conflit colonial, le Signore doit quitter le pays et, à Gênes, il la transfère à la famille Michieli, propriétaire d’un hôtel à Suakin au Soudan. Bientôt, la présence de Madame Michieli est requise dans l’établissement. Elle confie alors sa fille Alice et Bakhita aux sœurs canossiennes de Venise. Au retour de sa maîtresse, elle refuse de quitter l’Institut des catéchistes. L’affaire est tranchée par un tribunal et, en 1889, le procureur accorde la liberté de choix à Bakhita car l’esclavage est illégal en Italie. La jeune femme a alors 20 ans. Elle est baptisée en 1890 par l’Archevêque de Venise et prononce ses vœux en 1896 à Vérone.
Le « miracle » de Schio – Déplacée sur Schio, province de Vicence, elle s’occupe de l’intendance, des bonnes œuvres et prépare les sœurs en partance pour le continent noir. En Italie, où sa couleur, par ignorance, fait souvent peur, tout n’est pas si simple mais Bakhita est une âme forte malgré les tourments de la nuit qui la ramènent à ses souffrances d’enfant dont elle taira la plupart. Surnommée « la Madre Moretta » ou « la Petite Mère Noire » (les enfants lui jetaient de l’eau pour voir si la couleur partait…), elle écrit son histoire, encouragée par sa supérieure. Durant la deuxième Guerre Mondiale, alors que les bombes pleuvent sur Schio, l’histoire retiendra que la ville s’en est bien tirée grâce, pense-t-on, à la Madre Moretta, considérée désormais comme sa protectrice. Lorsque le ciel terrorisait les enfants, elle les rassurait avec une petite histoire « et les enfants regardaient sans répondre cette vieille dame ridée, tordue et noire, qui avait l’air si pauvre et si puissante ».
Ladite vieille dame décède suite à une longue maladie à l’âge supposé de 78 ans en 1947. Béatifiée en 1992, elle est canonisée par Jean-Paul II en 2000. Il semblerait que Benoît XVI avait une affection profonde pour cette fille d’Afrique à l’humanité préservée.
Une rencontre privilégiée – La biographie de Véronique Olmi est une longue lecture. Pourtant, il est difficile de la lâcher car on ne veut pas abandonner Bakhita. On aimerait aussi qu’elle ait retrouvé son prénom. Lisez l’histoire de Bakhita car, à coup sûr, il demeurera quelque chose d’elle en vous. La biographe, à qui on demandait une raison de lire son ouvrage, répondit : « Bakhita est une personne qui ne s’oublie pas. Lire son histoire, même romancée, c’est la rencontrer et la rencontrer est un privilège 1. »
1 Franceinfo culture, 13 septembre 2017.