De Gryon à Beyrouth: expérience d’un jeune bénévole

De Gryon à Beyrouth: expérience d’un jeune bénévole

PROPOS RECUEILLIS PAR FABIENNE THEYTAZ
PHOTOS : TANGUY VACHEYROUT ET PAUL MUNSCH-PFAENDER

Bonjour !

Je m’appelle Tanguy Vacheyrout, de Gryon, j’ai 21 ans et j’aimerais vous parler de mes quatre mois de bénévolat à Beyrouth.

Après avoir commencé des études d’informatique à l’EPFL, j’ai réalisé que cela ne me convenait pas. Les relations internationales et la géopolitique me passionnaient; c’était dans ce domaine qu’il fallait me réorienter. J’ai alors décidé d’arrêter l’EPFL, ce qui me donnait plusieurs mois de disponibilité. Le Moyen Orient m’attirait – surtout le Liban. J’avais également envie de faire une expérience de don de soi, de venir en aide, de me donner totalement à une mission humanitaire chrétienne au Liban. Le curé de ma paroisse m’a mis en contact avec un prêtre maronite de Beyrouth, le Père Hani Tawk.

Je suis parti en mars et suis revenu début juillet 2021. Je suis arrivé sous des trombes d’eau, il faisait froid, tout était inondé. Mais en partant, il faisait très chaud et il y avait beaucoup de moustiques !

En arrivant, j’ai été frappé par le très mauvais état de toutes les infrastructure – routes, pas / plus de chemin de fer, coupures d’électricité et d’eau, etc. Le contraste était saisissant avec la Suisse !

Au port, c’était encore plus choquant, car les bâtiments avaient été soufflés, complètement détruits, comme une zone urbaine exposée à la guerre et anéantie, avec des gravats dans les rues. Il n’y avait que les habitants, des organisations humanitaires et de jeunes volontaires qui s’organisaient pour remettre en état ce quartier. Je n’ai jamais vu d’employés du gouvernement – sauf pour des services minimum (poubelles).

Là-bas, j’ai rencontré d’autres bénévoles français qui vivaient comme moi chez le P. Hani et sa famille. On habitait près de Byblos, en zone chrétienne, à 20-30 km du port. Du lundi au vendredi, nous allions au port avec lui et nous l’aidions – principalement à la cuisine populaire dans le quartier Karantina.

Le Père Hani avait créé cette cuisine au lendemain de l’explosion dans l’urgence pour nourrir les habitants qui avaient tout perdu. Il n’y avait rien ; le Père et sa femme ont réussi à se faire prêter un petit hangar. Ils sont arrivés avec leur matériel puis, grâce aux dons reçus, ils ont pu acheter des tables, réchauds, marmites et autres ustensiles de cuisine. Au fil du temps, elle est devenue cuisine populaire pour accueillir les ouvriers du quartier, sachant qu’il y avait un besoin constant dû à la crise permanente.

Je cuisinais facilement chez moi, mais là, c’était pour 600-700 personnes, avec des marmites immenses et des denrées variant en fonction des apports (dons privés ou de la Croix-Rouge, et aussi légumes du jardin du P. Hani). Les plats servis : pâtes ou riz avec légumes, ou le mugrabié (poulet avec boulgour-blé concassé) ou taboulé (la fête) !

La viande coûte très cher, et avec la crise, c’était exceptionnel d’avoir du poulet – alors que c’était ce qu’il y avait de meilleur marché avant !

Les plats étaient distribués sur place aux personnes venant avec leur récipient et le reste était envoyé dans deux quartiers plus pauvres de Beyrouth.

A la cuisine, en plus de nous, les volontaires, il y avait une équipe de 4-5 Libanais à qui le Père Hani versait une indemnité mensuelle pour qu’ils puissent se nourrir et acheter des biens essentiels.

Petite anecdote : un jour, une délégation de la chaîne Bocuse avec le chef – gardien des brasseries Paul Bocuse – est venue dans notre cantine. On a pu cuisiner avec lui !

Voici notre horaire : on partait à 7h30 de Byblos, on arrivait vers 9h-9h30 au port – la circulation étant toujours très difficile vu l’état des routes et le trafic ! Nous nous mettions aussitôt à nettoyer, éplucher, couper les légumes. A midi, il y avait énormément de travail : distribution de la nourriture aux personnes qui arrivaient, puis préparation et fermeture des centaines de boîtes pour les quartiers voisins. Ensuite, nettoyage de la cuisine ; on terminait vers 14h30 et on distribuait du chou et du pain à des gens du voisinage. C’était sympa et on pouvait communiquer un peu avec eux. On terminait cette tournée vers 15h30 ; ensuite on aidait le Père soit dans ses terres (tomates, poivrons, oignons – poules et chèvres), soit dans son entrepôt, où nous préparions des colis avec tout le nécessaire (huile, sel, sucre, pâtes, féculents, sauce tomate, boîtes, etc). On préparait jusqu’à 50 colis par jour et on les distribuait aux familles qui en avaient besoin – surtout des chrétiens – ceux-ci étant réticents à se présenter à la cuisine ; l’aide passait ainsi par un canal plus discret.

Ceux qui venaient à la cantine étaient principalement des ouvriers syriens musulmans. C’est d’ailleurs le but de cette action interconfessionnelle : donner un message de cohésion au-delà des religions et des cultures – une manière de construire la paix entre tous ceux qui vivent au Liban, ce qui provoquait parfois des tensions dans l’équipe de cuisine et avec les gens du quartier.

Retour chez le Père vers 17h30 ; un peu de temps libre pour apprendre le libanais et lire le journal local. J’aimais bien aller courir, mais la chaleur écrasante et le peu de trottoirs, c’est dangereux ! Ce n’était pas vraiment de la détente, car il fallait toujours être attentif aux voitures et à ce qui se passait (détonations, voitures qui frôlent, travaux avec des choses qui tombent, etc.) Entendre des coups de feu, ça surprend !

Le week-end, nous avons visité plusieurs sites – le Liban a un patrimoine fantastique ! Tripoli, les Forts des Croisés, Tyr, etc. Ce qui m’a énormément attristé, c’était l’état d’abandon dans lequel le patrimoine est laissé – même si cela peut s’expliquer vu la crise et le regard différent des Libanais par rapport aux Européens pour ce genre de patrimoine.

J’ai pu aussi visiter la Plaine de la Bekaa – avec le site historique de Baalbek mondialement connu – et aller dans la Vallée Sainte. Là, j’ai fêté Pâques dans un monastère avec le Père Hani qui célébrait la messe. Et bien sûr, la visite du tombeau de saint Charbel – les Libanais en sont fous ! Tous les chrétiens s’appellent Charbel, Elie ou Georges !

Cette vallée est magnifique du fait que la nature y est préservée. C’était superbe de voir ces beaux arbres après toute la pollution, les déchets par terre, les maisons éventrées de Beyrouth !

Depuis mon retour, j’ai pris conscience de la chance qu’on a, en Europe. On vit dans une bulle, bien isolé de tous ces dysfonctionnements et problèmes d’électricité, d’eau, d’internet, etc.

Je suis revenu avec une vision claire des priorités ; on saisit l’essentiel, comme la liberté, la chance de pouvoir étudier, manger tous les jours, pouvoir faire du sport. Ma foi a été renforcée par cette expérience.

J’ai maintenant entrepris un bachelor en relations internationales à Genève et j’espère pouvoir repartir au Moyen Orient les étés prochains.

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