Délivre-nous de tout mal…

Délivre-nous de tout mal…

Face à l’horreur du mal, qui ne s’est jamais dit: Mon Dieu, pourquoi? Le piège est alors grand de tomber dans le désespoir. Comment pouvons-nous sortir de ce mauvais trou?

Par Pascal Ortelli
Photos : LDD, pxhere.com
Malgré de fulgurants progrès, le XXe siècle a été le plus sanglant. A l’ère du numérique, on ne manque pas non plus de maux : attentats à répétition, catastrophes écologiques, maladies toujours plus résistantes aux antibiotiques, mensonges érigés en politique d’Etat… Certes, des scandales, comme les abus sexuels, sont sortis de l’ombre grâce à une prise de conscience collective. Mais comme l’hydre, le mal – quand on le coupe – se ramifie sans cesse.

Une victoire en clair-obscur

Pourtant, la foi chrétienne affirme que le Christ, par sa mort sur la croix et sa Résurrection, a déjà remporté la victoire. Elle sera pleinement manifestée à la fin des temps. 

A chaque messe, la dernière demande du Notre Père est répétée, comme un rappel : « Délivre-nous de tout mal et donne la paix à notre temps. » Cette prière s’appelle l’embolisme, du grec : « placer entre ». Elle est en effet placée entre le Notre Père et le rite de la paix. Se libérer du mal est un passage obligé pour parvenir à la paix. Oui, mais comment s’y prendre ?

Le mal est comme un trou

L’étymologie de cette prière donne une piste. Le mal, lui aussi, est ce qui se place entre. Il n’est pas le contraire du bien, car pour exister, il a besoin du bien qui le soutient. Le mal n’a pas de texture. « Il est un rien dans les choses, une fêlure dans la vie, un désordre moral, une rupture des projets d’amour », précise le professeur de philosophie François-Xavier Putallaz.

Et de continuer : « L’immense paradoxe, c’est qu’il existe dans les choses, sans être une chose. Prenons un trou dans une carrosserie de voiture. C’est un défaut réel, pas une illusion. Néanmoins, ce n’est pas une option supplémentaire. C’est plutôt quelque chose de moins. » Le mal est donc une privation. Il est dangereux du coup de commencer par réciter le Notre Père à l’envers, en faisant du mal l’élément premier. On risque alors de tomber dans le néant !

Le chrétien ne peut rester sur le banc de touche et laisser le mal gagner du terrain. Il a une lourde responsabilité.

Le mal est comme un trou dans une carrosserie de voiture.
Le mal est comme un trou dans une carrosserie de voiture.

Que faire?

Marthe Robin.
Marthe Robin.

Marthe Robin, l’initiatrice des Foyers de Charité, l’avait bien compris. Jeune, elle a basculé dans la souffrance. Paralysée et totalement alitée dès l’âge de 25 ans, elle a connu la privation jusque dans l’intime de sa chair. 

Sa seule perspective : attendre l’issue d’une maladie imprévisible. « Je me sens brisée physiquement, moralement et serais bien mieux dans la terre que dessus. La vie s’est chargée de détruire mes plans. »

Pourtant, unie à Dieu, elle devient l’une des femmes les plus consultées de son temps : plus de 100’000 visiteurs accourent dans sa chambre. Ils y trouvent du réconfort ; certains vivent une expérience de conversion. Sa douleur se transforme en empathie pour les autres, alors que le mal objectif – sa maladie – reste présent. Mystérieusement, Dieu peut en tirer un plus grand bien.

Témoin du mystère pascal

« Attention cependant à ne pas plaquer ce genre de réponse trop vite », rétorque Christelle Devanthéry, agente pastorale dans le milieu de la santé à Neuchâtel. La souffrance n’a jamais sauvé personne. Avant d’y trouver un sens, le mal est à combattre. Dans mon rôle d’accompagnante, je n’amène pas d’abord des réponses toutes faites. »

Comme Marie-Madeleine, elle est avant tout témoin du mystère pascal. « J’essaie de porter ce témoignage ; parfois aussi, je le recueille auprès des personnes accompagnées. Mon rôle est alors de le présenter à l’Eglise. » Beaucoup, en effet, ont une grande foi : « Ils m’apprennent à prier et j’en ressors grandie. »

Tracer des chemins de lumière

La journaliste belge Geneviève de Simone-Cornet le mesure dans son métier. Catholique, elle sait que l’ivraie pousse avec le bon grain. D’où le soin qu’elle met à contextualiser les actes de violence pour éviter les jugements hâtifs qui attisent la haine et creusent un fossé encore plus grand. Tout en poussant son lectorat à s’interroger. Tant dans l’angle adopté que dans le choix de ses interlocuteurs, elle donne droit à des initiatives grosses d’avenir «pour tracer des chemins de lumière et éveiller la graine d’humanité qui sommeille en chacun».

La force du pardon

Joël Bielmann, aumônier fribourgeois à la prison de Bellechasse, estime que le mal, en prison, n’est pas plus présent qu’ailleurs. Certes, il y a des actes répréhensibles qui ont été commis, ceux pour lesquels les prisonniers purgent une peine. Mais on ne peut réduire la personne à cela.

Souvent, les détenus ont eux-mêmes été blessés dans leur parcours de vie. « Il faut distinguer le mal commis du mal subi, dit-il. Je suis témoin d’incroyables cheminements de délivrance ; le pardon occupe une grande place. » Parfois donné, parfois reçu – ou pas – il s’agit toujours d’une démarche vécue dans la foi car, sans l’aide de Dieu, on y arrive difficilement.

L’amour comme ultime réponse

Au-delà de ces initiatives reste la question du pourquoi. Dans son dernier livre, l’abbé valaisan Michel Salamolard l’affronte à rebours. En effet, le mal, par définition, est un non-sens. La seule piste éclairante se prend dans l’amour, car, dit-il, « le mal, c’est de ne pas aimer ». 

Le « délivre-nous du mal » en vient alors à signifier : « apprends-nous à aimer ».

Dieu et le mal ?

Pour François-Xavier Putallaz Dieu ne veut, ni ne cause le mal.
Pour François-Xavier Putallaz Dieu ne veut, ni ne cause le mal.

Comment comprendre Dieu face au mal ? Voici la réponse du philosophe valaisan François-Xavier Putallaz : « Ne faites pas du mal une « chose », sans quoi il faudrait que Dieu en soit la cause. N’ayant pas de consistance, le mal ne peut avoir Dieu Créateur pour auteur. Deux inquiétudes se trouvent aussitôt bannies : Dieu ne veut pas le mal. Dieu ne cause pas le mal. 

Absurde et sans raison, le mal peut néanmoins être l’occasion d’un bien plus grand. Combien de malades ont-ils pris occasion de leur maladie pour renouer des liens familiaux, pour pardonner et se réconcilier ! Un malheur ou un deuil peuvent être au principe d’un renouvellement de vie ; l’injure peut appeler le pardon.

Mais que faire quand le bien reste caché ? Alors on espère dans la nuit. »

Illustrer le mal

Avec « Les Tricheurs », Le Caravage donne une vision très humaine du mal.
Avec « Les Tricheurs », Le Caravage donne une vision très humaine du mal.

Comment voir ce « rien dans les choses » ? L’abbé Pascal Bovet, visage bien connu de L’Essentiel, évoque une piste au travers du tableau « Les Tricheurs ». Si les images violentes ou provocantes ne manquent pas pour exprimer le mal moral, Le Caravage (1571-1610) nous en donne ici une version très humaine.

En apparence, une parfaite innocence : on joue aux cartes, mais on y triche chacun à sa manière : dissimulation dans le dos, regard par-dessus l’épaule, manipulations… autant de faces du mal que l’on retrouve sans éclat au quotidien.

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