Fin du monde, une histoire sans fin

Fin du monde, une histoire sans fin

Aujourd’hui encore, le message délivré par l’Apocalypse, l’un des livres les plus mystérieux de la Bible, se place en totale opposition avec un imaginaire populaire catastrophiste marqué par l’idée de « fin du monde ». Cette crainte possède pourtant des vertus utiles à la progression de l’être humain.

PAR MYRIAM BETTENS | PHOTOS : FLICKR, PXHERE, DR

L’avenir du monde et de l’espèce humaine cause nombre d’inquiétudes à nos contemporains. Les technologies de surveillance de masse, la crise climatique, la récente pandémie ou encore une guerre aux portes de l’Europe poussent à envisager les pires scénarios. Cherchant des réponses pour confirmer ou apaiser cette crainte, certains entrevoient dans les événements historiques des signes annonciateurs d’un cataclysme imminent. Pour cette raison, l’Apocalypse et ses étranges prophéties sur la fin des temps a souvent servi de support à un imaginaire catastrophiste florissant. Aucun écrit n’a autant agité les passions et les fantasmes sur la fin du monde. Alors que l’inconscient collectif ne garde trop souvent du texte que son interprétation « apocalyptique », le livre communément attribué à saint Jean porte un message d’espoir encore valable actuellement.

Happy end…

« C’est comme si on s’était arrêté avant la fin du livre », pointe Daniel Marguerat, professeur émérite de Nouveau Testament à l’Université de Lausanne. Cette remarque ferait presque sourire le dominicain Pierre de Marolles, spécialiste de l’Apocalypse. En effet, l’Apocalypse compte vingt-deux chapitres et « dès le chapitre quatre, bien avant l’arrivée de la fameuse Bête, le livre nous dit que l’agneau immolé (ndlr. Jésus) a déjà triomphé du mal qui ronge le monde ». Or, le dernier livre de la Bible traîne toujours une tenace réputation longtemps alimentée par la propension de certains théologiens et communautés religieuses « à lire le texte comme une sorte de calendrier de la fin des temps », indique encore Daniel Marguerat. A l’opposé de ce que l’Apocalypse tente de communiquer. Le frère dominicain attribue ce manque de curiosité pour le texte en lui-même parce qu’« inconsciemment les gens ont accepté que l’Apocalypse devait avoir une interprétation historico-prophétique dont ils ne possèdent pas les clés ».

Un pas en avant, deux en arrière

Les deux théologiens s’accordent à dire que la clé principale de lecture se trouve dans l’Ancien Testament. « Ce livre récapitule un peu tous les autres. Sans avoir un peu bourlingué dans la Bible, c’est l’overdose d’images et de vocabulaire biblique. Il faut faire le tour du propriétaire, s’imprégner de l’intelligence et du vocabulaire avant de revenir à ce dernier livre », conseille Pierre de Marolles. Daniel Marguerat rappelle tout de même « que l’auteur de l’Apocalypse se sert de métaphores et de figures pour parler d’un mal qui ronge, sans pour autant le nommer, afin qu’il soit toujours vrai ». Mais face à des crises, il est « rassurant de se dire qu’on sait », suppose Pierre de Marolles. Christan Grosse, professeur d’Histoire et anthropologie des christianismes modernes à l’Université de Lausanne va même plus loin en affirmant que « la crise valide les interprétations de type eschatologiques ou apocalyptiques ». Il poursuit : « Les récits prédisant des transformations profondes et violentes, voire la fin des temps, se sont multipliés au cours de l’histoire humaine. On en est toujours au même point. Mais ils ont une validité, car ils donnent sens à une expérience collective et permettent des mobilisations. »

Les hommes et les femmes de l’avenir

En effet, la crise, porteuse d’incertitudes, peut devenir un accélérateur, soit en cédant à la peur panique et en dévalisant les supermarchés de toutes ses denrées alimentaires, soit en s’en servant pour amorcer une mobilisation. Issu du grec krisis, étymologiquement parlant, le mot recouvre les sens de décision et de jugement. Autrement dit, cette rupture offre l’opportunité de sortir d’une voie toute tracée pour se remettre en question. A ce titre, Daniel Marguerat relève que « le message de l’Apocalypse doit être entendu sur deux notes : celui de la confiance et celui de la militance. Oui, le Mal ne détient pas le dernier mot sur l’avenir du monde et de l’humanité, mais ce Mal qui défigure l’humanité doit être combattu au nom de la victoire finale de Dieu. Le combattre c’est déjà dire que nous sommes les hommes et les femmes de l’avenir ».

L’Apocalypse se dévoile

Photos : Millenium production

La série documentaire Les 7 Eglises de l’Apocalypse sortie en novembre 2020 et déclinée en neuf épisodes de vingt-six minutes chacun, dévoile au spectateur le message prophétique délivré par l’auteur de l’Apocalypse aux premiers chrétiens. Pour mener cette enquête avec le plus d’objectivité possible, la production a fait appel à vingt-trois intervenants issus du monde entier et de confessions différentes, dont le frère Pierre de Marolles et Daniel Marguerat. Benjamin Corbaz, pasteur dans l’Eglise Evangélique réformée du canton de Vaud (EERV), a organisé en mai 2021 plusieurs soirées cinéma au sein de l’Eglise Martin Luther King Lausanne où il exerce son ministère. « Nous regardions deux épisodes et nous discutions ensuite ensemble de la manière dont cela nous questionnait sur notre identité de chrétiens. Il était très positif de voir une nouvelle compréhension du texte se dévoiler ». C’est dans cette même optique de « décryptage » que Matthieu Gangloff s’est lancé dans la rédaction de L’Apocalypse pour mieux vivre, un ouvrage de vulgarisation paru en 2016 aux éditions La Maison de la Bible. Le pasteur, aujourd’hui chargé de cours à l’Institut biblique de Nogent (France), est interpelé en 2014, par le succès d’un prétendu « eschatologue ». L’homme « avait soi-disant eu une révélation de Dieu sur la fin des temps » et prodiguait sa bonne parole au travers de trois tomes de quatre cents pages et d’événements réunissant plus de deux mille personnes. « Certains vont chercher dans les signes des temps tout ce qui pourrait être dit dans le texte, alors que d’autres considèrent l’Apocalypse comme un livre fermé de plusieurs sceaux qu’il ne faut surtout pas toucher. Ces deux attitudes permettent à des charlatans de manipuler les foules. » Sans chercher à produire « une énième contribution, mais plutôt une synthèse de ce que plusieurs théologiens ont déjà écrit », Matthieu Gangloff estime que « sans avoir réponse à tout, il est possible de dégrossir certains traits et d’être encouragé par ce livre, cela même si on ne comprend pas tout ».

Les sites archéologiques des sept Eglises présentées dans le documentaire se découvrent en Turquie.

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