K d’école 

K d’école 

La religion serait-elle par définition un outil de soumission des femmes qui les renverrait à leurs trois K ? (Kirche, Küche, Kinder). La réponse est un peu plus nuancée. Entretien avec Sarah Scholl, spécialiste des mutations du protestantisme et du catholicisme en modernité.

Par Myriam Bettens | Photos : Jean-Claude Gadmer

Pour l’historienne, la vie religieuse a permis à certaines femmes de s’émanciper au sein du christianisme.

Que pensez-vous de l’assertion invoquant la religion comme appareil de soumission des femmes ?
Le religieux n’est pas par essence uniquement un outil de contrôle. A chaque moment de l’histoire, un double mouvement s’opère : soumission et émancipation. C’est clair, les Eglises ont été au service de l’ordre social au travers des pasteurs et prêtres desquels la population recevait les mots d’ordre moraux. Mais on voit aussi que des femmes s’émancipent grâce au christianisme. La vie religieuse, par exemple, constitue une possibilité au XIXe siècle, et déjà avant, d’échapper au modèle des trois K. La mission, par ailleurs, leur a permis de vivre quasiment comme des aventurières. Le christianisme est donc aussi une voie pour trouver des formes de libertés.

Justement, jusqu’au milieu du XVIIe siècle, les femmes exerçaient de vraies responsabilités religieuses, même au sein de l’Eglise catholique (notamment dans le système monastique). Pourquoi ce revirement ?
La relégation des femmes se décide assez vite, déjà avant le Moyen Age. Le resserrement est très rapide, mais cela n’empêche pas à une organisation féminine du religieux de se mettre en place. Dans les congrégations et aussi dans la société, car elles avaient un certain pouvoir religieux sur leur famille et leur réseau. Les mystiques sont aussi écoutées, à condition de rester dans le giron de l’Eglise et son orthodoxie. Ce qui change au XIXe siècle, c’est la vision de la femme dans la société, fondamentalement rattachée à sa famille, avec la division et la spécialisation des tâches qui lui sont dévolues.

En même temps, le retour de la femme à sa cuisine et à l’éducation des enfants avait une légitimation quasi divine…
Oui, exactement. Lorsque naît cet idéal des trois K en Europe, dont l’âge d’or se situe entre 1850 et 1950, il y a vraiment l’idée que c’est voulu par Dieu, mais ce n’est pas le seul argument. Cela s’insère aussi dans une logique d’organisation et de progrès de la société, qui n’est pas perçue comme un mouvement conservateur. Les tâches maternelles sont considérées comme positives et reconnues socialement. Néanmoins, la vision de cette « vocation » n’est jamais statique, comme un ordre immuable, car il y a toujours des transformations. C’est d’ailleurs aussi la raison pour laquelle ce discours est si précaire. 

Quel rôle jouent les chrétiens dans le développement et le maintien de ce modèle ?
L’investissement du protestantisme dans l’idéal familial contemporain est très fort. Dans les sociétés qui passent à la Réforme, le monde monastique n’existe plus et c’est dans le monde séculier que le projet divin s’organise. Cette perspective renforce encore le rôle de la femme éducatrice, spécialement au XIXe siècle. Il va même se « professionnaliser » [ndlr. écoles ménagères ]. Le christianisme, dans son ensemble, devient dans le courant du XXe siècle, gardien du temple familial. Attaquées sur tous les fronts [ndlr. socialisme, sciences et sciences humaines], les Eglises s’emparent du bastion restant : les questions morales avec une emphase particulière sur la famille et les rôles différenciés. Cette construction des trois K, issue de la seconde moitié du XIXe siècle, est très ancrée, puisqu’elle a survécu aux guerres, aux totalitarismes et aux révolutions culturelles de la fin du XXe siècle. Cet idéal est toujours là, comme un fantôme qui plane sur nos vies.

Dos au Mur

Les imposantes silhouettes des Réformateurs sont sculptées dans la rochedu Mur des Bastions. Mais de réformatrices, en a-t-on déjà entendu parler ? Pas si sûr. Un ouvrage paru pour les dix ans des éditions Labor et Fides répare cette regrettable erreur. Réformatrices. Douze voix de femmes protestantes, XVIe-XXIe siècle, un ouvrage collectif, dirigé par Sarah Scholl et Daniela Solfaroli Camillocci, présente les portraits, mais aussi des extraits de la production théologique de ces femmes « portées par la Réforme et porteuses de son esprit ».

Bio express

Sarah Scholl est historienne du christianisme, de la laïcité et de la sécularisation. Enseignante à la Faculté de théologie de l’Université de Genève, elle est spécialiste des mutations du protestantisme et du catholicisme en modernité, ainsi que des rapports entre religion, politique et société en Suisse aux XIXe et XXe siècles.

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