La bannière et la croix

La bannière et la croix

Peut-on être croyant et politicien? Que faire de sa foi lorsqu’on est engagé en politique? Réponses d’élus de tous les partis.

Par Nicolas Maury
Photos: Nicolas Maury, Jean-Claude Gadmer, Gérard Raymond, DR« Au nom de Dieu Tout Puissant ! » Depuis 1848, le préambule de la Constitution suisse s’ouvre sur cette phrase. En 1998, les Chambres fédérales ont décidé qu’elle était toujours porteuse de sens, en conservant l’invocation divine dans le texte fondateur. Et l’an dernier, à l’occasion des 600 ans de la naissance de Nicolas de Flüe, Doris Leuthard y a fait référence : « Ces propos nous appellent à assumer nos responsabilités envers la Création. »

Pour Dominique de Buman, président démocrate-chrétien du Conseil national, « le Dieu évoqué est rassembleur, tout à fait dans l’esprit suisse. La Constitution n’a pas de couleur partisane, mais la Confédération est quand même un pays dont la bannière porte la croix… ». PLR et ancien président de l’Entraide protestante, Claude Ruey se dit « fier » de lire ces mots dans le texte fondamental : « C’est le signe que les autorités admettent qu’elles ne disposent pas d’un pouvoir absolu, qu’elles reconnaissent agir dans le domaine du relatif et qu’elles professent qu’il existe une puissance divine à laquelle elles sont soumises. J’y vois une belle leçon de modestie. » L’UDC Dylan Karlen va plus loin : « Il est primordial que nos racines chrétiennes demeurent clairement affirmées dans le contexte de la crise identitaire qui nous frappe, et qui peut mettre en péril la paix civile et confessionnelle qui règne dans notre pays depuis 170 ans. Mais l’homme évolue dans un monde qui le dépasse. Les Suisses ont bénéficié d’un coup de pouce du Tout Puissant pour inventer un pays aussi génial. »

La Constitution n’a pas de couleur partisane, mais la Suisse est un pays dont la bannière porte la croix.
La Constitution n’a pas de couleur partisane, mais la Suisse est un pays dont la bannière porte la croix.

Au-delà des clichés

A gauche de l’échiquier politique, Ada Marra relève que le fait que la Constitution fasse référence à Dieu représente « toute l’ambiguïté et le paradoxe de la Suisse, de par son histoire particulière. » Pour cette conseillère nationale socialiste et catholique convaincue, la distinction entre pouvoirs temporel et spirituel doit rester claire : « Au tout début de ma carrière politique, j’ai prêté le serment religieux. Ensuite, je me suis tenue à ma cohérence de séparer Eglise et Etat avec la promesse solennelle. Cela ne veut pas dire que ma foi ne me donne pas des orientations politiques. Si je suis au PS, c’est pour défendre les plus précarisés. Dans la Bible, on remarque toute une série de valeurs que je retrouve au sein du parti : solidarité, camaraderie, communauté des biens, fraternité.» Et de dénoncer certains clichés, tels que le côté antireligieux du PS : « Il y a toujours eu des mouvements au sein de la gauche qui prônaient l’Eglise. Il existe d’ailleurs un groupe de chrétiens de gauche au sein du PS romand. »

Un cliché aussi, l’anticléricalisme des libéraux-radicaux ? « Attention, le PLR est formé de deux origines différentes, avertit Claude Ruey. Si le Parti radical était historiquement agnostique, ce n’est pas du tout le cas du Parti libéral dont j’ai été le président. Le PLS avait une origine chrétienne forte, trouvant une partie de son fondement dans l’histoire des Eglises protestantes libres de ce pays, lesquelles n’ont pas voulu être soumises à l’Etat et ont défendu la liberté de l’Evangile. Les libéraux suisses postulent une éthique de la liberté qui se place au-dessus du tout-économique. » 

Une formation affiche jusque dans son nom son affiliation religieuse : le Parti démocrate chrétien. « Le C est un idéal à atteindre, souligne Dominique de Buman. Un objectif fixé à nous-mêmes. Cette ambition nous oblige à avoir un comportement si possible encore plus élevé et exemplaire. »

Socle chrétien, valeurs humanistes

Comme le résume Benjamin Roduit, « Dieu ne saurait être de gauche ni de droite ». Mais le socle chrétien sur lequel le nouveau conseiller national valaisan s’appuie, la conseillère communale PS de Bernex Guylaine Antille le partage. Même si elle est élue dans « le » canton laïque par excellence. « Mes convictions se sont traduites dans de multiples engagements en Eglise et au sein de ma commune, note celle qui a travaillé 10 ans à l’ECR. Au niveau personnel, professionnel et politique, les mêmes valeurs m’animent : respect des différences, solidarité et égalité des chances. » 

Mais ces valeurs peuvent aussi être défendues par quelqu’un qui ne s’affiche d’aucune religion. S’avouant « en quête de foi », Dylan Karlen constate : « Notre société de consommation est victime d’une vacuité spirituelle sans précédent et je ressens le besoin de nourrir mon esprit. J’ai beaucoup de respect pour les personnes croyantes et pratiquantes. J’aime les côtoyer. Cela me permet d’alimenter mes réflexions. Une civilisation, quelle qu’elle soit, a besoin à la fois de politique et de spiritualité. »

Politicien avant d’être croyant?

Politique et spiritualité. Deux éléments qui se côtoient au Palais fédéral où une méditation hebdomadaire réunit des élus divers lors des sessions. « Œcuménique, elle est assurée parfois par des ministres protestants, parfois par des prêtres ou des évêques », indique Dominique de Buman. « Cette permanence spirituelle rassemble des gens de partis très différents. C’est de haute intensité, profond et cela offre un regard particulier sur notre mission et notre devoir de tolérance. » Ada Marra y assiste parfois. « C’est assez rigolo. On y croise des gens qu’on ne s’attendrait pas à voir, y compris des membres de mon parti qui ne s’affichent pas croyants. Notre système politique fait qu’on doit tisser du lien et chercher des compromis. A travers ce groupe, c’est aussi un accès à la personne qui est favorisé. En politique, avant d’être croyant vous êtes politicien. »

Mais la croyance peut aussi motiver l’engagement. Dominique de Buman s’est retrouvé en première ligne lors du débat autour du diagnostic préimplantatoire. « Ce n’était pas un dossier lié à une commission dans laquelle je siégeais, mais j’ai vu que beaucoup n’avaient pas le courage ou la volonté de monter au créneau. Je me suis retrouvé à « Infrarouge ». Non pas pour me mettre en avant, mais parce que je trouvais que c’était mon devoir de le faire. Je ne le regrette pas. » Claude Ruey comprend la démarche : « Le fait d’être chrétien rappelle tous les jours que l’engagement politique est du domaine du relatif et du contingent. L’absolu est en Dieu. Ce n’est pas nous qui allons faire le Royaume par la politique. Ne la divinisons pas, elle doit rester modeste. L’Evangile ne s’applique pas de façon mécanique. Si on trouve des chrétiens dans tous les partis, c’est que sur les mêmes valeurs éthiques chrétiennes, on peut changer d’avis quant aux solutions concrètes. »

Marie et le drapeau européen

marieAu-delà de nos frontières nationales, l’intrication entre politique et religieux va parfois se nicher là où on ne l’attend guère. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon a-t-il voulu, en octobre dernier, faire retirer le drapeau européen de l’hémicycle de l’Assemblée nationale au motif qu’il s’agit d’un symbole confessionnel. Origine de sa demande : le cercle d’étoiles sur fond azur a été dessiné par le fervent catholique Arsène Heinz qui a raconté avoir tiré son inspiration de la médaille miraculeuse de la Vierge Marie. 

Pour la petite histoire, l’amendement de Jean-Luc Mélenchon a été rejeté par les députés français…

Nicolas de Flüe et la tolérance

Le saint patron de la Suisse.
Le saint patron de la Suisse.

Au-delà du préambule de la Constitution, le lien entre l’Etat et la religion est aussi renforcé par l’identité du saint patron de la Nation, Nicolas de Flüe.

« Indépendamment de l’appartenance religieuse qu’on peut avoir, il n’est pas contesté, note Dominique de Buman. Il y a des éléments objectifs historiques qui font que ce pays a une marque de fabrique. Elle doit être pour nous un signe de tolérance, d’ouverture et de liberté d’expression. Elle donne aux gens la garantie d’être ce qu’ils sont. »

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