La foi tragique n’est pas une obligation, ni même une option. Pourtant, à voir certains chrétiens, la joie ne semble pas aller de soi, alors que la Bible appelle constamment à la fête. Sylvain Detoc (op.) expose comment se réconcilier avec la vertu de fête.

Par Myriam Bettens | Photos : M. Bettens, DR
La fête ne devrait-elle pas être une option pour le chrétien ?
Je l’ai souligné d’entrée de jeu, c’est même un commandement ! Vu le nombre de fois où la Bible nous invite à célébrer Dieu à travers la fête et à accueillir dans la réjouissance la vie avec Lui, cela démontre que ce n’est pas une proposition accessoire que l’on peut ressortir selon notre humeur. La festivité est vraiment dans le flux de la Révélation et elle court des premières aux dernières pages de la Bible. La caisse de résonance existentielle de cette réalité se trouve pour le chrétien dans la liturgie.
Pourtant, les passages invitant à la fête sont souvent sur le mode impératif. Est-ce à dire que l’humain n’est pas « programmé » pour ça ?
Cela donne en tout cas le sentiment que cette festivité risque de ne pas être spontanée, qu’il va falloir fournir un effort. Ce constat est inattendu, même un peu paradoxal pour nous. S’il y a quelque chose de spontané, c’est bien la fête ? Eh bien, non ! On peut la comparer au commandement de l’amour, car au-delà des sentiments et des impressions immédiates, le vrai amour suppose que nous l’alimentions, le mettions en mouvement. La fête c’est pareil, à un moment donné, on doit y mettre du sien et entrer dans cette dynamique.
D’ailleurs, dans l’anthropologie divine, la fête structure l’espace et le temps des hommes. Celle-ci a donc bien une fonction primordiale…
Il y a de toute évidence un élément structurant de la société, avec des temps de retenue et d’autres qui correspondent à la manifestation de quelque chose qui déborde. Prenez les noces de Cana, les exégètes estiment que Jésus aurait produit six cents litres de vin ! Une quantité complètement démesurée par rapport aux besoins. La fête, dans la Bible, n’est pas teintée de retenue, mais l’expression de l’amour exorbitant, hyperbolique de Dieu. Malheureusement, la théologie, surtout latine, est encore très marquée par l’ombre portée de la doctrine de saint Augustin ou plutôt ce qu’on en a fait, c’est-à-dire l’augustinisme : en ne relevant trop souvent que les accents pessimistes d’une nature humaine blessée par le péché et l’impossibilité que beaucoup soient sauvés.
Les chrétiens ont bien du mal à entrer dans ce commandement biblique et lui préfèrent trop souvent une foi tragique…
Le sujet qui fâche ! (rires). Effectivement, il y a comme une toile de fond tragique dans le christianisme. On peut invoquer plusieurs facteurs. Il y a des verrous culturels, auxquels je ne crois pas trop et d’autres psychologiques. Mais le verrou principal me semble être théologique, en étant persuadés qu’il faut purifier la foi des scories qui n’appartiennent pas à la Révélation biblique. Or, la toile de fond de cette Révélation n’est pas tragique. Au contraire, elle nous parle de la bonté de Dieu, de cet amour absolu et éternel, qui appelle à exister. C’est extrêmement intéressant, car cela signifie que les créatures ont été produites par cet amour. Elles n’en sont donc pas le stimulus puisqu’elles n’existaient pas ! C’est plutôt l’amour de Dieu qui a fait surgir cette existence.
Comment se réconcilie-t-on avec la vraie fête, celle à laquelle Dieu nous invite ?
La fête est l’expression de la joie à travers tous nos appareils de rites et d’usages locaux. L’Evangile appelle à un dépassement de la fête naturelle vers une festivité surnaturelle, mais ce « débordement » ne peut avoir lieu que quand l’homme blessé par le péché se découvre aimé de Dieu et pardonné. Il y a là un haut lieu évangélique de la fête.
Bio express
Sylvain Detoc est né à Rennes, en 1979. Il a effectué un doctorat en littérature et quatre années d’enseignement à la Sorbonne. Il est entré chez les dominicains en 2008, puis a été ordonné prêtre à Toulouse en 2015. Il étudie et enseigne la patristique à l’Université catholique de Lyon durant deux ans (2018-2020) avant de revenir à Toulouse pour terminer sa thèse de théologie (2022). Sylvain Detoc enseigne la doctrine des Pères de l’Eglise à l’Institut catholique de Toulouse et à l’Angelicum, à Rome. Il est l’auteur de La gloire des bons à rien et Déjà brillent les lumières de la fête.