La Réforme, cinq siècles d’histoire

Première partie – Les «mentors» de Martin Luther

En 2017, comme nous avons sûrement déjà pu le lire ou l’entendre à plusieurs occasions, la Réforme fête ses 500 ans. Nous n’en connaissons fort souvent que peu de choses, ce qui par conséquence nous porterait parfois, nous chrétiens catholiques romains, à ne pas avoir sur elle un regard bienveillant. Plutôt que de nous lancer dans une analyse théologique, nous pourrions faire un peu plus ample connaissance avec ceux qui ont joué un grand rôle dans son avènement.

Par Fabiola Gavillet Vollenweider
Photos : DRup_martin_lutherBien que Martin Luther semble en être la figure proéminente, voire fondatrice, les noms de Desiderius Erasme et de Philippe Mélanchton ne peuvent en être dissociés, tout comme celui de Frédéric III de Saxe, Grand Electeur du Saint Empire Romain Germanique. Les deux premiers eurent une influence énorme sur le parcours et la pensée de Martin Luther, alors que le dernier eut un rôle politique capital.

Quelle est l’origine de cette Réforme, qu’est-ce qui l’a motivée ?
Contrairement à ce qu’une majorité croit, elle ne trouve pas sa source dans le schisme anglican datant de 1532. Et ce n’est pas le roi Henri VIII en décidant d’annuler son mariage avec Catherine d’Aragon pour épouser son nouvel amour, Anne Boleyn, qui en est à l’origine. Plus qu’un événement ponctuel, c’est tout une évolution de pensée qui lui a servi d’écrin. Il faut remonter un peu à la fin du XVe siècle, grande période d’un renouveau philosophique où les humanistes bourgeonnèrent. Parmi eux ressort la figure du prêtre catholique romain Desiderius Erasme.

Erasme (1469-1536)

Originaire des Pays-Bas, Erasme (1469-1536) fut relevé par le Pape de ses vœux monastiques afin de lui permettre d’entamer une carrière d’enseignant. Profondément ancré en lui, c’est le besoin de faire un retour aux manuscrits originaux qui l’aura porté tout au long de son étude. Car selon lui, la Foi ne peut être véritablement vécue qu’en ayant accès à une vraie connaissance des textes. Et c’est cette Foi qui permettrait à l’homme de collaborer avec Dieu à son propre salut.

Quel fut le facteur qui motiva l’étude d’Erasme ?
Tout simplement la voie dans laquelle l’Eglise catholique romaine et surtout sa hiérarchie s’étaient engagés à la fin du XVe siècle. Loin de dépareiller avec les mœurs de la société de l’époque, elle se perdait dans une course au pouvoir afin de contrôler l’échiquier des influences politiques, ainsi que dans des projets dont l’importance (Basilique Saint Pierre) exigeait de plus en plus de rentrées pécuniaires, manquant ainsi à sa mission première. La superstition et le souci du salut de leur âmes dans lesquels les chrétiens étaient maintenus sont devenus, grâce au système des indulgences, une source de revenus intarissable. Ce n’était plus Dieu qui offrait le pardon, mais l’Eglise qui marchandait la réconciliation.

Depuis des siècles l’Occident ne connaît alors que la version latine de la Bible
traduite au Ve siècle par saint Jérôme (Vulgate). Des manuscrits grecs de la Bible rapportés d’Orient aux XIVe et XVe siècles laissent apparaître, après un travail comparatif, des divergences importantes. Erasme s’engage dans cette analyse méticuleuse des textes grec et latin afin de produire le meilleur texte source. En 1516, il publie une nouvelle version du Nouveau Testament en grec, il offre aussi une traduction latine qui « détrône » la version Vulgaris utilisée jusqu’alors. Cette nouvelle édition de la Bible deviendra le texte de référence pour les humanistes et les réformateurs et servira de fondement pour la tolérance religieuse et l’œcuménisme. Ce travail n’est pas entériné par Rome. Pourtant sa démarche n’avait pas du tout l’intention de provoquer un schisme à l’intérieur de l’Eglise, ni de désavouer la primauté du Pape. Raison pour laquelle il refusait les invitations de Martin Luther. Il voulait simplement ramener l’Eglise à sa mission première.

Philippe Mélanchton (1497-1560)

Philippe Mélanchton (1497-1560) forma le tandem idéal avec Martin Luther. Le premier, leader intellectuel de la Réforme, apportait la réflexion, la profondeur et l’analyse. Le deuxième, plus exalté, usait de son charisme pour communiquer et convaincre.

S’étant basé sur la nouvelle édition de la bible d’Erasme, Philippe Mélanchton va plus loin dans son analyse et dénonce le sacrement de pénitence, non garant de salvation, le culte exagéré des Saints et leurs reliques, et rejette la transsubstantiation (la présence du corps du Christ dans le pain). Il fait clairement la distinction entre les lois de l’Eglise et les Evangiles. Seule la Foi en Jésus Christ peut apporter la grâce divine.

Sous l’impulsion du pape Clément VII et suite à l’excommunication de Luther lors de la diète de Worms en 1521, l’empereur Charles V convoque en 1530 la Diète à Augsburg afin de comprendre ce mouvement de réforme qui touchait une partie de son empire et auquel certains de ses princes semblaient adhérer. Mélanchton et Luther présentent la Confession de Foi (Confession d’Augsburg), texte reflétant la pensée théologique de ce dernier, modérée par Mélanchton. Cette confession de Foi repose donc sur les Ecritures et la tradition de l’Eglise des premiers siècles. Elle aborde deux points importants : le premier concerne le respect de l’Eglise Chrétienne Universelle s’appuyant sur les écritures et les Pères de l’Eglise. Le deuxième présente une remise en question des pratiques à modifier telles la Sainte Cène, le mariage des prêtres, la messe, la confession, les vœux monastiques et le pouvoir des évêques. Etonnamment, les indulgences, l’autorité du pape et la doctrine du purgatoire n’y sont pas abordées à ce moment-là.

up_charles_quintLes princes réformés ne veulent pas créer de conflit avec les princes catholiques et demandent un Concile Chrétien qui leur est refusé. Les princes catholiques se coalitionnent et demandent à Charles Quint en tant que souverain catholique romain de rejeter la Confession de Foi nouvelle. Il est à noter que Charles Quint n’avait pas pris de position radicale contre cette nouvelle Foi. Malheureusement, aux questions d’ordre théologique, Charles Quint et ses princes catholiques donnent une réponse d’ordre politique qui aboutira quelques années plus tard à une guerre fratricide puisant sa source dans ce qui divisait un camp de l’autre, ainsi que leurs ambitions politiques.

Frédéric III de Saxe (1463-1525)

Frédéric III de Saxe (1463-1525), Grand Electeur, est pressenti par le pape Léon X comme candidat au trône du Saint Empire Romain Germanique. Il refuse et accorde son appui à Charles Quint en échange d’avantages politiques. Il tiendra tête à Charles Quint en adoptant une attitude assez indépendante. Le jour même où Luther accroche ses 95 thèses sur la porte de l’église, Frédéric de Saxe fait un rêve qui fera de lui un protecteur de Luther. Dans son rêve il voit :

« Luther écrivant avec une plume si grande que son extrémité atteignait Rome et faisait chanceler la triple couronne du Pape. Il y voit le Saint Pontife appeler tous les princes de l’Empire à s’allier afin de détruire ce moine et s’adresse surtout à Frédéric car il héberge Luther sur ses terres. Luther dit alors qu’il tenait la plume d’oie de Bohême d’un ancien maître (allusion à Jean Hus) et que tout ce qu’il écrivait découlait de la volonté de Dieu. Tous les princes essayaient de rompre la plume, mais il finit par en sortir toute une multitude de nouvelles plumes. »

Ce rêve provoqua un tournant dans la vie religieuse du prince, grand collectionneur de reliques. A partir de là, il prit parti pour Luther et le protégea. Ce mouvement eu un impact politique fort sur ses pairs allemands, qui virent dans l’adhésion à la nouvelle Foi une façon de s’affranchir du pouvoir de Charles Quint et de Rome.

Mise dans son contexte historique, la révolte et l’espoir exprimés par Erasme, Mélanchton et Luther pouvaient trouver une certaine légitimité. Mais dans ce conflit de Foi, l’essentiel a été oublié : nous avons tous le même Père, nous sommes tous issus du même Père, nous sommes tous aimés par le même Père. N’oublions pas qu’il nous invite à aimer nos prochains comme il nous aime. Malheureusement l’œcuménisme allait devoir attendre quelques siècles de controverses avant de voir la Parole mettre en œuvre une réconciliation entre Chrétiens.

Info

Dans le prochain numéro, j’aborderai l’histoire de la Réforme en Suisse.

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