Tiré du magazine paroissial L’Essentiel, secteur de l’Entremont (VS), avril 2021
En ce début d’année 2021, les paroisses d’Entremont accueillent un nouveau desservant,
le chanoine Bernard Gabioud qui a rejoint officiellement la communauté occupant la cure d’Orsières. C’est l’occasion rêvée d’une rencontre. Celle-ci se déroule dans la grande salle
de la cure, si belle avec son plafond voûté et si chaleureuse avec sa cheminée dans laquelle
le feu crépite. Un moment privilégié qui favorise les confidences…
PAR MICHEL ABBET | PHOTOS : BERNARD GABIOUD
Bernard Gabioud : venir habiter
à Orsières, c’est un retour aux sources ?
C’est un lieu chargé de vie pour ma famille : mes parents ont vécu leur jeunesse dans cette commune, un chalet à Commeire a d’ailleurs maintenu et développé des liens forts entre notre « tribu » et cette région.
La famille a une grande importance
pour vous ?
Oh oui ! Je suis l’aîné d’une fratrie de dix enfants. Donc j’ai appris très jeune ce que voulait dire vivre en communauté, se frotter aux personnalités et aux caractères différents. Et surtout s’aimer très fort, au point d’être un peu malheureux quand l’autre était absent ! Ce qui n’empêchait pas une dispute sitôt que l’on se retrouvait…
Un prélude à la vie religieuse ?
Il y a quelques similitudes. Dans une famille comme dans une communauté, on ne se choisit pas, on s’accueille, avec ses qualités, ses défauts, ses capacités ou ses incapacités… On apprend à mettre son ego au deuxième plan, ce n’est pas un mal.
Votre vocation ?
Le premier souvenir marquant me vient de mes 11 ans, lorsque j’étais seul à travailler aux champs, suite à une dispute avec mon frère qui nous avait valu une punition paternelle. J’étais en rage contre mon frère, quand, soudain, une grande paix m’a envahi au moment où j’ai ressenti le désir de devenir prêtre… sans savoir très bien ce que cela signifiait. Le soir, je me suis confié à ma maman, qui a « accueilli » cette nouvelle un peu à la manière de Marie : tout en douceur !
Devenir prêtre, (il a été ordonné en 1970)
c’est donc l’aboutissement d’un long
cheminement ?
Cela signifierait qu’on aurait atteint un sommet… Oh non, le cheminement continue, c’est l’œuvre de toute une vie. En fait chacune de nos vies demande de « cheminer » pour parvenir à l’aboutissement qui ne viendra qu’en bout de course…
En plus de la vie religieuse, vous avez
un amour fort pour la montagne,
ce qui vous a poussé à devenir guide.
Je dirais que le métier de guide m’a appris à être prêtre au milieu et au service de mes frères et sœurs… Oui, la montagne a eu une énorme importance dans mon existence… A travers elle, j’ai pu vivre pleinement ma vie de prêtre et de religieux
Comment ?
J’avais besoin de ces espaces silencieux pour ressentir pleinement ma vocation. Gravir une montagne à deux ou trois, atteindre un sommet, ce n’est pas anodin. On « rentre » ensuite transformé, riche d’une expérience nouvelle.
L’idée d’un exploit vous a titillé ?
Une première par exemple…
L’exploit pour être connu ou reconnu ne m’a jamais tenté. Mais la montagne a fait éclore en moi le désir… du désert, cet endroit dépouillé de tout, espace de solitude et de conditions extrêmes qui annihile vanité et superficialité pour permettre la rencontre avec son Seigneur en vérité !
Le désert ?
Oui. J’ai été marqué par une personne : Charles de Foucauld que j’ai eu l’occasion de « connaître » en préparant et prêchant une retraite à des petites sœurs de Jésus, au début de mon ministère. Son regard m’a frappé et interpellé. Dans ses yeux, il me semblait pouvoir lire une Présence immense et fascinante… D’où cette envie irrésistible d’aller au désert, pour rejoindre cette Présence en moi et mieux me connaître.
Qu’est-ce que cela signifie
« se connaître » ?
Vaste question… C’est aller chercher au plus profond de soi-même pour trouver son essence. Etty Hillesum dit cela beaucoup mieux que moi.
Etty Hillesum ?
Une personnalité incroyable, juive hollandaise qui a tenu un journal intime de 1941 à 1943, année de sa mort dans le camp d’Auschwitz. Sa relation intime avec Dieu, dans les conditions atroces qui étaient les siennes lors de la guerre, est pour moi une source inépuisable d’émerveillement. Voici un court passage qui pourrait nous éclairer : « Il y a en moi un puits très profond. Et dans ce puits, il y a Dieu. Parfois, je parviens à l’atteindre. Mais plus souvent, des pierres et des gravats obstruent ce puits et Dieu est enseveli. Alors il faut le remettre au jour. » Ces mots sont une invitation pour chacun à quitter la superficialité pour faire silence afin de trouver ou retrouver l’« être » qui est relation avec Dieu.
Une dernière confidence…
Quel sera votre ministère ici ?
J’ai passé le temps d’agir, d’ailleurs mes forces actuelles ne me le permettent plus. Je ne désire plus « faire », mais « être ». Alors, je serai « avec » les paroissiens d’Entremont comme Jésus est « avec » nous, dans un ministère de compassion.
triste fin