A qui appartiennent les édifices religieux ? Comment gère-t-on ces biens ? Peut-on facilement vendre un terrain paroissial ou désacraliser une chapelle ? Voilà autant de questions faciles à énoncer mais qui cachent des réponses bien plus complexes qu’il n’en paraît, à replacer dans le contexte des rapports entre l’Eglise et l’Etat.
PAR PASCAL ORTELLI | PHOTOS : JEAN-CLAUDE GADMER, CATH.CH, DR
« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » Une lecture trop simpliste du précepte évangélique pourrait nous faire croire de prime abord que les églises appartiennent aux paroisses et les autres biens non sacrés, comme les établissements scolaires ou les hôpitaux, à l’Etat. De la querelle du sacerdoce et de l’empire au Sonderbund, les aléas de l’Histoire viennent compliquer les choses. Les écoles ou autres institutions de soins ont longtemps été gérées par l’Eglise avant que le bras séculier ne s’en occupe, tandis qu’aujourd’hui, certains édifices religieux comme la cathédrale Saint-Nicolas ou l’église jésuite du collège Saint-Michel de Fribourg, appartiennent à l’Etat. En revanche à Sion, la cathédrale est en main du chapitre des chanoines. Difficile donc de s’y retrouver, de dégager une systématique et d’autant plus d’avancer des chiffres.
Qui reconnaît qui ?
Les deux principales difficultés résident dans le fait que l’Eglise, avec son droit canonique, dispose de normes particulières qui ne se retrouvent pas forcément dans le droit suisse et que la situation peut varier d’un canton à l’autre en fonction des conventions de reconnaissance contractées. Si l’entité « paroisse » est clairement définie sur le plan canonique et jouit de la personnalité juridique, qu’en est-il sur le plan civil ?
Dans le canton de Vaud, Cédric Pillonel, secrétaire général de la FEDEC 1, institution de droit public qui assure la gestion financière et administrative de l’Eglise ainsi que ses relations avec l’Etat, précise d’emblée qu’il n’y a pas de reconnaissance civile de la paroisse canonique. « On double alors la structure d’une association paroissiale où le conseil de paroisse – entité reconnue par le droit canon et responsable de la gestion administrative des biens – en constitue le comité. »
La même logique s’applique dans les autres cantons du diocèse avec quelques différences notoires qui ont leur importance quant à la possibilité ou non de prélever un impôt ecclésiastique. A Fribourg, on parle de corporations ecclésiastiques plutôt que d’associations, tandis qu’à Genève et Neuchâtel, en raison d’une séparation stricte, les paroisses, tant catholiques que protestantes, sont organisées en association de droit privé, ce qui les oblige à s’autofinancer uniquement par des dons. Seuls les cantons du Valais et du Tessin accordent à la paroisse en tant que telle la personnalité juridique.
Qui contrôle qui ?
Pour Jean-Baptiste Henry de Diesbach, président du Conseil d’administration du diocèse de Lausanne, Genève, Fribourg, « si l’on pousse cette logique à l’extrême, cela pourrait poser des problèmes, car deux régimes diamétralement opposés entrent en concurrence. Une association fonctionne en effet selon un mode démocratique et son assemblée générale peut en théorie à tout moment modifier ses statuts, tandis que l’Eglise est régie par un type de gouvernement monarchique ». Si cela se comprend par la nécessité de préserver l’unité de la foi, à rebours, on pourrait imaginer qu’une assemblée générale décide de salarier, à la place du curé, un assistant social ou de vendre les biens de l’association paroissiale sans en référer à l’évêque. « Fort heureusement, précise-t-il, la bonne volonté de chacune des parties fait que les choses fonctionnent de concert. » Des passerelles existent aussi de part et d’autre. La législation fribourgeoise connait par exemple une spécificité qui oblige le notaire à se référer au droit canon pour certains actes.
Qui peut vendre quoi et à qui ?
Du point de vue de l’Eglise, les transactions relatives aux biens sont très strictes et soumises à un triple veto. Toute vente immobilière dès 1 m2 doit obtenir l’aval de l’évêque. Ce dernier ne donnera son feu vert qu’après avoir obtenu le préavis positif du Conseil diocésain pour les affaires économiques (CDAE) et du Conseil presbytéral. De plus, si la vente dépasse les 5 millions, il faut encore en référer au Saint-Siège. Ces filets de sécurité sont importants pour éviter que des paroisses ou des congrégations religieuses ne se fassent avoir par des agents immobiliers peu scrupuleux. En outre, comme ces biens appartiennent de fait à une multitude d’entités fractionnées, l’évêque dispose d’une prérogative permettant de garder une vision d’ensemble quant à l’utilisation et la valorisation du patrimoine foncier de son diocèse.
Comment générer des revenus pour demain ?
A ce propos, Mgr Morerod a d’ailleurs fait un pas de plus dans la professionnalisation de ces structures. La mise sur pied d’un Conseil d’administration diocésain constitué de membres laïcs ultra compétents dans leur domaine (finance, immobilier, droit…) permet d’élaborer une vision stratégique à long terme pour les affaires temporelles. Comme le relève Jean-Baptiste Henry de Diesbach, « il est important d’anticiper aujourd’hui les revenus de demain, car tôt ou tard, on assistera à une baisse de l’impôt ecclésiastique et des subsides de l’Etat ».
En ce sens, un outil juridique comme le droit de superficie est intéressant. Il donne la possibilité de construire ou modifier un immeuble comme si l’acquéreur en était propriétaire, tout en permettant au véritable détenteur de dégager un revenu sur du long terme jusqu’à 100 ans et de récupérer le bien à la fin.
Ne pas désacraliser
Un bâtiment appartenant à une congrégation religieuse et aujourd’hui inoccupé peut être réaffecté par exemple au canton dans un but d’utilité publique, tout en continuant à générer des produits pour cette dernière. Une fondation ecclésiastique a ainsi mis un ancien couvent à disposition du canton de Fribourg, à long terme et contre une rente annuelle, pour y héberger des requérants d’asile et des réfugiés. L’opération permet l’accueil de migrants sans en gérer les aspects opérationnels, tout en assurant des revenus qui permettent notamment de financer la formation de futurs prêtres.
Ainsi même si l’Eglise catholique en Suisse romande ne vole pas la palme aux CFF en matière de propriété foncière, compte tenu du caractère fractionné de ses possessions, elle n’a néanmoins pas besoin de désacraliser à outrance ses édifices religieux pour trouver de nouvelles liquidités. Il arrive que cela se produise, comme au Locle où une chapelle de quartier a été transformée en villa, mais dans la majorité des cas, une réaffectation sera préférée à une vente pure et simple, tout comme une saine collaboration avec les cantons et les communes qui dans la plupart des cas continuent de la soutenir.
1 Fédération ecclésiastique catholique romaine du canton de Vaud.