L’église Saint-Pierre à Beauregard, un bijou de l’art déco

Par Natalie Hervieux et Danièle Moulin
Photo: Stéphane Longchamp

Lorsqu’on arpente la rue Saint-Pierre aujourd’hui, on a du mal à s’imaginer que s’érigeait là la chapelle d’un hospice fondé par des chanoines réguliers du Grand-Saint-Bernard dont il est déjà fait mention en 1228. Cet hospice, appelé hospice de Saint-Pierre sur les Places, servait sans doute de refuge aux voyageurs pauvres et aux malades. Lorsque les chanoines se retirent du lieu au début du XVIIe siècle, il deviendra un couvent abritant provisoirement des frères capucins. La petite chapelle de Saint-Pierre sur les Places est démolie au XIXe siècle, la ville de Fribourg subissant de grandes évolutions démographiques et architecturales. À cette époque, Fribourg constitue une seule et même paroisse. Trois rectorats sont institués dans la ville en 1872, dont celui de Saint-Pierre, appelé ainsi en souvenir de l’hospice situé sur les Places. Si le rectorat de Saint-Pierre existe sur le papier, on doit à vrai dire encore trouver un endroit approprié pour son église et sa cure. L’église Saint-Michel devient le lieu de culte provisoire de la paroisse Saint-Pierre. Après de nombreux tâtonnements, un lieu est enfin trouvé en 1928. C’est Fernand Dumas qui remportera le concours pour l’architecture de l’édifice, puis le peintre Gino Severini pour la décoration.

La Remise des clefs de Severini, 1950-1951, 10.5 x 7 m, mosaïque d’émaux-ors-pierres (image 1).

L’actuelle église Saint-Pierre

En face de l’intersection où débouchent l’avenue du Moléson, l’avenue Jean Gambach et le Chemin de Jolimont – artères fréquentées le matin par les nombreux écoliers scolarisés dans les environs – s’élève l’actuelle église Saint-Pierre. Le soir, peu après le passage de ces mêmes écoliers dans l’autre sens, la rosace s’illumine dans le crépuscule hivernal. Si le sanctuaire fait désormais partie du paysage, s’il est même familier pour les paroissiens du quartier, l’on ignore souvent que cette église constitue, en fait, un réel bijou de l’art déco 1, inspiré du futurisme et du cubisme. De fait, Severini a fréquenté durant ses années parisiennes des géants comme Picasso, Modigliani, Braque et Matisse. L’intérieur est également très marqué par le groupe de Saint-Luc. 

Une fois passé le narthex – où les visiteurs curieux peuvent trouver un panneau explicatif et d’excellents fascicules leur permettant de découvrir l’édifice – on débouche dans la vaste et haute nef. Les longs vitraux de Jean-Edward de Castella s’élèvent au-dessus des arcades des collatéraux, ce qui confère à l’intérieur une luminosité plutôt diffuse. En face, l’imposante mosaïque du chœur (cf. image 1). Cette œuvre majeure de Severini représente la Remise des clés au saint patron par le Christ. Scène célèbre de l’iconographie chrétienne, elle se réfère au passage de l’évangile dans Matthieu 16, 18-19 : « Et moi, je te dis que tu es Pierre et que, sur cette pierre, je bâtirai mon Église et que les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elles. Je te donnerai les clés du royaume des cieux : ce que tu lieras sur terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur terre sera délié dans les cieux. »

Entourant l’apôtre et le Seigneur, le symbole des évangélistes 2 et à leurs pieds, deux scènes bibliques : à gauche, l’eau jaillie du rocher et à droite l’appel des disciples (Mt 4, 19. Il leur dit : « Suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. ») Le tout, dans un assemblage de tonalités chères à l’artiste où prédominent le vert pâle, l’ocre et le jaune, rehaussés d’autres couleurs vives. En jetant un regard circulaire à l’église, on s’aperçoit que des dalles au plafond en passant par les fresques et les murs, l’ensemble est pensé à travers l’harmonie de ces couleurs audacieuses. 

À côté de cette œuvre monumentale, de nombreux autres bijoux artistiques honorent de leur beauté le sanctuaire, à tel point qu’il est difficile de choisir où poser son regard. On mentionnera cependant de manière privilégiée le chemin de croix (cf. image 2), dessiné également par Severini. Son art de la mosaïque s’y révèle plus directement à la hauteur du regard du spectateur, même si malheureusement l’éclairage fait un peu défaut. La finesse de chaque station invite à la contemplation, convaincante invitation à redécouvrir la pratique du chemin de croix itinérant. 

1 Issu des mouvements artistiques de la Belle Époque, l’Art déco s’inscrit dans le contexte des Années folles. Il exprime souvent une certaine modernité par des formes géométriques et pures. À ses débuts, l’Art déco, est purement ornemental, puis il est gagné par les ruptures esthétiques irréversibles apportées par le cubisme. (Le Larousse)

2 Le lion pour saint Marc, le bœuf pour saint Luc, l’ange pour saint Matthieu et l’aigle pour saint Jean.

Les œuvres des artistes locaux

Si la patte de Severini prédomine dans l’équilibre d’ensemble, il n’en demeure pas moins que de nombreux autres artistes – notamment locaux et choisis par l’artiste italien – ont collaboré à la décoration de l’intérieur de l’édifice. On relèvera la deuxième chapelle qui est l’œuvre de plusieurs artistes (Emilio Baretta, Cingria, Marguerite Naville, Feuillat). La mosaïque du Sacré-Cœur, chef-d’œuvre important de l’art déco, vaut particulièrement le coup d’œil : elle impressionne tant, nous conte notre guide Monique Pichonnaz, que les enfants qui la visitent en demeurent souvent à distance, fascinés.

On relèvera aussi l’Assomption aux pigeons (cf. image 3), à droite du chœur, qui se distingue notamment par le regard des anges tourné, non pas vers Marie, mais vers les fidèles – détail si typique de l’amour de l’artiste pour « les gens ». Autre caractéristique propre à Severini qui n’est pas sans lien avec cette dernière : son attachement simple aux lieux dans lesquels il a vécu. Cette particularité se lit dans la mosaïque de la sainte Famille, à gauche du chœur, où le visiteur attentif saura reconnaître la cathédrale. 

Pour finir, au fond de la première chapelle, une statue plus récente qui se démarque totalement de l’unité d’ensemble du lieu : Notre Dame de Fatima, offerte par la communauté portugaise fréquentant les lieux. Dressée sur un sobre présentoir moderne, la représentation de la Vierge émeut par les nombreux bouquets de fleurs fraîches dont elle est entourée en permanence, témoignages des gestes tendres qui lui sont accordés.

Remerciements
Natalie Hervieux remercie Monique Pichonnaz Oggier pour ses généreuses et enthousiastes explications. La visite guidée dont elle a pu profiter est également ouverte au public. À bon entendeur ! Pour plus d’informations, contacter directement la spécialiste : 079 686 20 04, monique.po@pwnet.ch

Sources
LAUPER Aloys, De Saint-Pierre à Gambach, les tribulations d’un saint patron, in : Patrimoine fribourgeois no 18, L’église Saint-Pierre à Fribourg, octobre 2008, pp. 4-9.
STRUB Marcel, Les monuments d’art et d’histoire du canton de Fribourg, Tomme III, Éd. Birkäuser, Bâle, 1959. 
Samedi 22 février à 18h à l’église Saint-Pierre, office des vêpres chantées.

Dimanche 23 février à 10h, fête patronale de la chaire de saint Pierre, église Saint-Pierre, Fribourg. La messe sera suivie d’un apéritif.

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