Tiré du magazine paroissial L’Essentiel, UP Sainte-Claire (FR), décembre 2020 – janvier-février 2021
Propos recueillis par Manuela Ackermann | Photo: Dominique Pasquier
Conteur et éleveur de vaches et de brebis, Dominique Pasquier rêvait depuis toujours de partir en estive, ce qu’il fait depuis cinq étés en France, puis en Suisse. Il nous raconte :J’ai vécu ma première estive en 2016 dans les Pyrénées, une région où le mouton est roi, comme la vache en Gruyère. D’ailleurs, les moutons paissent d’abord la bonne herbe avant les vaches. C’est un endroit et des gens que j’ai beaucoup aimés. Je m’étais retrouvé avec un vieux berger de 69 ans, physiquement diminué, mais il trayait tous les matins 250 brebis à la main pendant plus de quatre heures ! Cela m’avait impressionné.
A l’ancienne
Pendant l’été, le temps ne compte pas, tout est fait à l’ancienne. Ce berger, Marcel, avait passé ses 57 estives tout seul. Pour la première fois, il était accompagné. Je le trouvais rude avec les bêtes mais je me suis très vite rendu compte à quel point il était rude avec lui-même. Toute sa richesse tenait dans trois cartons à bananes, ça paraît d’un autre temps. Une belle leçon d’humilité, de passion.
Ce qui me plaît beaucoup dans cette activité, c’est de passer huit heures par jour avec les moutons : partir le matin avec le troupeau, jusqu’à la chôme de midi vers un point d’eau, puis marcher jusqu’au soir pour les rassembler dans un parc de nuit. C’est une vie rythmée par les horaires, c’est chaque jour différent par le temps, le comportement des brebis. Il faut les conduire sur toutes les zones du pâturage, les moutons doivent profiter de l’herbe. La gestion de l’herbage est importante pour éviter de ruiner un endroit ni le laisser embroussaillé.
Les chiens sont d’une grande aide. Avec eux une relation incroyable se crée, ce sont des compagnons de vie, on est ensemble 24h sur 24. Sur tout le flanc ouest du pic Chaussy, cette dernière année, ou la Dent de Jaman les étés précédents, j’ai eu l’impression de me sentir particulièrement petit. Cette montagne et cette nature sont plutôt indifférentes à l’homme. Les plus pénibles sont les journées de brouillard où on ne voit plus que vingt bêtes et on croise les doigts le soir pour en retrouver 550.
Le temps de ruminer
Le moment le plus paisible c’est le matin, lorsque les moutons s’étalent gentiment pour pâturer et que la vue porte jusque sur le lac Léman d’un côté et les Alpes bernoises de l’autre. J’ai eu le temps de ruminer des contes dans ma tête, c’est une activité assez prenante et contemplative, je me déconnecte d’énormément de choses, c’est proche de l’expérience mystique. Ces alpages dégagent une belle énergie et en rentrant j’avais de nouveau plus d’imagination et de créativité. Etre berger, c’est le meilleur moyen de décrocher de ce mouvement dans lequel on est entraîné, sans se marginaliser grâce à son utilité.
Beaucoup de gens aiment cette figure du berger, qui les fait rêver. « J’ai vécu des rencontres extraordinaires empreintes d’émotions, de grands moments hors du temps et insolites, comme un grimpeur âgé qui jouait « Jésus que ma joie demeure » de Bach à la flûte, avant d’attaquer la via ferrata. »