Monnayer l’éthique

Thomas Wallimann-Sasaki dirige l’instiut ethik22 et préside la Commission Justice et Paix de la Conférence des évêques suisses.

Depuis cette année, l’institut d’éthique sociale ethik22 ne touche plus de subventions de l’Eglise. Entre centralisation de la réflexion éthique au sein de commissions ecclésiales et économicité, l’institut zurichois travaille sur un nouveau modèle économique, qui ne trahisse pas ses valeurs. Entretien avec Thomas Wallimann-Sasaki.

Pour le théologien, les gens interprètent trop l’éthique comme une voix moralisatrice.

Par Myriam Bettens | Photos : Jean-Claude Gadmer

Depuis le début de l’année, vous devez vous passer des subventions de l’Eglise. Cela s’apparente-t-il à un désaveu de votre travail ?
Oui et non… Il y a toujours eu le souhait de centraliser le travail d’éthique sociale. Mais en Suisse, l’Eglise, c’est comme en politique, il faut composer avec la pluralité. Or, la population, comme les fidèles, sont toujours sur la réserve lorsqu’il s’agit de trop centraliser. De ce point de vue, je reste convaincu qu’il est bon d’avoir des institutions comme Justice et Paix représentant la voix officielle de l’Eglise, mais aussi des organes indépendants comme le mien, qui portent la voix du peuple et jouent un rôle différent des commissions purement ecclésiales.

Est-ce une manière de sous-entendre que le travail de réflexion éthique ne peut pas être mené à bien par des partenaires laïcs ?
Pas du tout. Je parlerais plutôt d’une tendance de type New Church Management à la mode, qui prône l’optimisation. Derrière cette idée, il y a la compréhension que la centralisation coûte moins cher et demeure plus efficace. Alors qu’objectivement, les postes d’ethik22 « perdus » n’ont pas été remplacés !

Paradoxalement, les gens d’Eglise n’ont apparemment pas idée de la manière dont la doctrine sociale de l’Eglise peut être efficace…
En effet, lorsqu’il s’agit de comprendre la société et le rôle que l’Eglise peut y jouer, nous faisons face à un vrai manque. D’une part, elle ne possède pas les outils pour discuter et analyser les problématiques éthiques et d’autre part, elle se sent pressée de dire quelque chose sans pour autant disposer du langage pour traduire sa pensée. Pourtant, je connais de nombreux prêtres et théologiens formés en éthique, mais leurs compétences ne sont pas exploitées…

A leur décharge, le travail de réflexion éthique, notamment sous l’angle chrétien, est peu perceptible pour le public…
Oui, les gens interprètent malheureusement trop souvent l’éthique comme étant une voix moralisante. Toutefois, ils perçoivent aussi ce sentiment qu’ils ont, surtout dans l’estomac, lorsqu’ils sont face à un dilemme éthique. Les entrailles savent « dire » si ce que l’on s’apprête à faire est en phase avec nos valeurs ou pas. L’éthique en soi, n’est que l’outil servant à mettre en forme le processus de pensée que l’on ressent déjà sans pouvoir l’expliquer.

En même temps, le processus de réflexion éthique est de plus en plus sollicité et souhaité par la société civile. Est-il facile de monnayer des « services éthiques » ?
L’essence de l’éthique sociale chrétienne est d’être critique et toutes les entreprises n’apprécient pas cela, même de manière constructive (rires).En outre, certaines firmes utilisent l’éthique à des fins marketing et préfèrent économiser sur le « non-nécessaire » dans les temps d’insécurité actuels. Toutefois, s’adjoindre un partenaire pour discuter les défis et décisions délicates qu’impliquent le monde du business et le leadership rend les entreprises plus enracinées dans ses valeurs, car l’éthique offre un réel espace pour repenser les structures sur lesquelles on bâtit.

Dilemmes éthiques sous la loupe

ethik22 est un institut d’éthique sociale créé en 2017 sous l’impulsion du Mouvement suisse des travailleurs catholiques (KAB). Les prestations de l’association s’articulent autour de plusieurs axes : les recommandations lors de votations fédérales, la formation avec des conférences et des ateliers, une émission de radio hebdomadaire et un service de consultations. Ce dernier conseille des entités, en majorité non ecclésiastiques, sur la meilleure manière d’intégrer leurs valeurs dans l’élaboration de chartes éthiques. L’institut a notamment collaboré avec le Tribunal fédéral dans ce sens. Plus d’informations : ethik22.ch

Bio express

Thomas Wallimann-Sasaki est théologien. Il a obtenu son doctorat à Lucerne en 1999. Depuis cette même année, il dirige l’Institut social du KAB, devenu ethik22. Il enseigne aussi l’éthique à la Haute école de Lucerne et à la KV Business School de Zurich. En 2014, il a été élu au Conseil cantonal de Nidwald et président de la Commission Justice et Paix de la Conférence des évêques suisses.

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