Nos chrétiens d’Orient

Nos chrétiens d’Orient

Par l’actualité proche-orientale, on connaît désormais les Chaldéens, les Assyriens ou les Coptes. Médias et littérature ont prédit leur mort puis leur résurrection… Partagés entre terres d’origine et diasporas, ils se sont aussi installés dans le paysage romand, discrètement. Enquête.

Par Thierry Schelling
Photos: Ciric, DR, Jean-Claude GadmerNejeb et Ephraim sont Syriens et syriaques catholiques. Depuis bientôt trente ans dans l’Ouest lausannois, ils y ont créé foyer et amitiés, de par les liens professionnels et sociaux nourris de leurs affabilité et serviabilité notoires. « J’adore vivre ici, au calme », confie Ephraim. Leur accueil culinaire respire le pays : fetté, kebbé, kousa abondent. « J’adore la raclette !, lance-t-elle entre deux effluves du four. On vient volontiers à la messe le samedi soir, à 18h. Aucun problème pour nous que ce ne soit ni en arabe ni notre rite. L’important, c’est de nourrir sa foi, non ? »

Histoire récente

Orthodoxes ou catholiques principalement (cf. encart), les chrétiens orientaux vivant en Suisse sont plus nombreux dans les agglomérations alémaniques – Zurich, Bâle, Saint-Gall… – qu’en Romandie où les centres importants s’égrènent de Genève à Montreux. C’est au milieu du XIXe siècle que s’implantent les premiers édifices et communautés orthodoxes byzantins 1 – russes, dans ce cas – à Genève et Vevey, mais également les Arméniens (Genève). Les années 60-70 voient arriver d’autres orthodoxes de Roumanie, Serbie, Grèce ; les années 80-90 sont celles des orthodoxes-orientaux : coptes, syriaques, mais aussi les maronites. Dès les années 2000, ce sont les Ethiopiens-Erythréens et les Indiens qui émigrent à leur tour en Europe et jusqu’aux Amériques.

1 On distingue deux « types » d’Eglises orientales : les orthodoxes-byzantines liées aux grands patriarcats de l’orthodoxie – Alexandrie, Constantinople, Moscou – et distincts de Rome depuis 1051, et les orientales-orthodoxes qui se sont séparées avant le XIe siècle, soit Assyrie, Arménie, Ethiopie, coptes d’Egypte ou syriaques de Syrie. Sans oublier l’Inde et son kaléidoscope ecclésiastique, mais de plus récente fondation : dès le XVe siècle !

Service

Maroun Tarabay, prêtre maronite et heureux grand-père du petit Martin !
Maroun Tarabay, prêtre maronite et heureux grand-père du petit Martin !

Maroun Tarabay, l’un des prêtres maronites opérant dans le diocèse de Lausanne-Genève-Fribourg depuis 1987, est engagé tant au service de sa communauté arabe que du catéchuménat d’adultes vaudois. Il analyse l’actuelle communauté libanaise ainsi : « L’intégration des Libanais dans le tissu social helvétique, leur apport économique et culturel, sont des qualités notoires. [Mais] leur assimilation ambiante au point de perdre leurs racines culturelles et cultuelles m’interpelle. »

Dilemme

Préserver traditions, rites et langues anciennes, certes « constructeurs d’identités », est à la fois un devoir et… un frein : l’acculturation est tout autant de mise pour un Erythréen de rite geez débarquant à Zurich qu’elle l’a été… pour un Gruyérien catholique descendu à Genève dans les années 60 ! Puisque l’émigration orientale-chrétienne est inéluctable, il convient de lui donner une structure stable en diaspora. Un seul exemple, plutôt inattendu : en 2016, le Saint-Siège a érigé à Preston une éparchie (diocèse) pour les syro-malabars 2 vivant en Grande-Bretagne ! De même pour des centres spirituels et intellectuels que sont monastères et instituts d’étude: le Centre orthodoxe de Chambésy (Patriarcat de Constantinople) en 1966, le monastère syriaque de Mor Augin (Saint-Eugène) à Arth Goldau en 1996… 

Cependant, il ne s’agit pas juste de conserver, mais également de changer – un vrai challenge car on parle alors de mariages exogames, de passages aux Eglises évangéliques, voire de l’abandon de la pratique religieuse et ce, en toute liberté… 

2 Chrétiens catholiques d’affiliation chaldéenne originaires du Kerala.

(In)fidélités

Reconnaissable à sa magnifique parure blanc immaculé, Senbentu, vêtue de la zuria (robe brodée) et de son netsella (grand châle couvrant tête et corps), contraste dans la nef de Notre-Dame à Genève, à la messe de 10h : « Pour moi, le dimanche, c’est le jour du Seigneur, alors je m’habille comme au pays et je viens célébrer ! » A la question de savoir pourquoi elle ne rejoint pas une de ses communautés, la réponse fuse : « Trop de politique, pas assez de Dieu ! » On n’en apprendra pas plus d’elle. Son choix est clair et ses enfants l’accompagnent dans la liturgie en rite romain, bien sobre pour une Ethiopienne – « et courte, car à Addis, explique-t-elle, la qedassié (messe) dure 6 heures » !

Père Alexandru, prêtre de rite byzantin.
Père Alexandru, prêtre de rite byzantin.

L’Orient chrétien, même en Suisse, c’est aussi la réalité d’un clergé marié ! Alexandru Tudor, Diana et sa fille Petra Anastasia ont été nommés ensemble, pour ainsi dire, à Vevey en 2016 : « Je remercie votre épouse et votre fille qui sont partie prenante de votre engagement », lui signifiait Charles Morerod dans sa lettre de nomination. A la question de savoir comment on vit son sacerdoce en étant marié, le Père Alexandru répond : « Notre joie fondamentale est de vivre dans un pays libre selon notre foi et l’Evangile. Nous avons connu la dictature communiste par le passé en Roumanie… » Il n’est pas insensible non plus au contexte œcuménique du diocèse romand : « Pour nous qui sommes d’origine orthodoxe, c’est de pouvoir vivre à petite échelle ici en Suisse romande, dans notre diocèse, l’ouverture, la largeur, l’universalité de l’Eglise catholique, sa catholicité. C’est une chance et une bénédiction de pouvoir vivre cette dimension de l’Eglise qui n’est pas encore évidente pour tous les chrétiens. » La difficulté reste, selon ses mots, « pour moi et ma famille, de s’intégrer dans des structures […] bien en place selon des règles formelles pas toujours évangéliques, ni fraternelles. »

Pour Binoy Cherian, salésien et prêtre indien dans l’UP du Plateau (Genève), le fait d’être birituel – rite romain et rite syro-malabare – lui « est très facile » à vivre ! Car, précise-t-il, « la pluriculturalité est l’image parfaite de l’Eglise universelle contredite par des rites qui essayent de protéger l’ethnicité des peuples ». Et de conclure qu’à Genève, « la pluriculturalité est une réalité, je m’en suis rendu compte, et comme prêtre en UP et comme aumônier de l’Institut Florimont. D’ailleurs, on est unifié par la foi en Jésus-Christ » ! Diversité dans l’unité…

Les chrétiens d’Orient

On appelle « chrétiens d’Orient » les fidèles des Eglises locales comprises dans un arc de cercle allant de l’Ethiopie à l’Inde, et qui sont autocéphales, ou « autogérées » sur le modèle synodal ! Les rites portent le nom, pour certains, d’une grande ville de l’Empire romain : Alexandrie, Constantinople, Antioche ; pour d’autres, de peuples : Arméniens, chaldéens, coptes, ou d’une région : Malabar ou Malankar au Kerala, Inde. Ces rites sont plus anciens que celui de Rome et utilisent un amalgame de langues vernaculaires (arabe, russe, malayalam…) et anciennes (geez, copte, syriaque, grec…), ce qui donne à leurs célébrations un parfum d’ancienneté et d’audiblité… Comme le terme générique de « chrétiens » orientaux ne le sous-entend pas forcément, ils sont aussi de confession… protestante : luthérienne, réformée, évangélique et anglicane ![thb_image image= »3376″]

Wordpress Social Share Plugin powered by Ultimatelysocial
LinkedIn
Share
WhatsApp