Petit précis de bien-être chrétien

Petit précis de bien-être chrétien

Si les monastères et maisons de retraite affichent complet et ce, depuis plusieurs décennies déjà, c’est parce que le jeûne, le silence, le rythme des prières monacales, le lien à la nature environnante, l’apport spirituel de maîtres en la matière, nourrissent une part de l’humain que la vie professionnelle et familiale ne comble pas. Les programmes de « bien-être » chrétien se développent sans complexe, aussi hors couvent. Tour d’horizon.

Par Thierry Schelling | Photos : Unsplash, Vatican News, DR

Des siècles de culpabilisation à trop prendre soin de soi, de son corps et de son intérieur (âme-esprit) sont progressivement remplacés par une ère décomplexée du « cocooning personnel » au nom de sa foi chrétienne ! A l’heure du burnout d’agentes et agents pastoraux, d’évêques même, il est plus que conseillé de se concentrer sur le troisième volet du Commandement du Christ, « le seul que je vous laisse : Aime Dieu et ton prochain comme toi-même1 ».

Le complexe « Mère Teresa »

Un interview des années 80 de la Sainte de Calcutta m’avait interpellé. A la question du journaliste : « Quand vous reposez-vous ? », elle avait répondu du tac au tac : « Mais vous n’y pensez pas ! Tout pour Jésus ! Et on aura l’éternité pour se reposer ! » 

Peut-être plus poignant dans les Ordres religieux, ce leitmotiv « tout pour Jésus » a souvent entraîné un « déni de soi » au profit des autres, des pauvres surtout, qui réclamaient l’urgence de l’attention caritative. Mais à quel prix ?

Et voilà que le XXIe siècle voit éclater au grand jour la pédophilie et autres abus de la part de consacré.e.s, révélant par là que le « prendre soin de soi » eût été une pas si mauvaise idée dans le fond… Mais devant les dégâts de ce pseudo-altruisme pervers et mortifère se cachait en fait un narcissisme immature qui, pour perdurer, n’avait qu’un refrain : sauvons l’institution coûte que coûte et tant pis pour les ravages à autrui et à soi-même ! 

Un commandement nouveau

Or, « toute la loi et les prophètes » reposent sur ce commandement du Christ : « Aime Dieu et ton prochain comme toi-même. » 

Les deux premiers volets ont été déployés et concrétisés au gré de l’histoire humaine et chrétienne, au détriment du troisième.

En effet, dès l’aube de l’humanité, un dieu créateur de par ses manifestations climatiques (tonnerre, soleil…) pousse l’humain à révérer une force supranaturelle ; la mort des coreligionnaires interroge sur le lien entre cette puissance, la vie et la mort : « Aime Dieu. »

Puis le christianisme officiel (après le IVe siècle) déploie un remarquable essor du soin à l’autre : la personne étrangère, malade, seule, orpheline, illettrée – et avec quelle fierté. D’avoir éduqué des filles là où elles n’étaient que bonnes à marier, doté des langues de signes pour être imprimées et enseignées, construit des asiles pour malades, mourants, pestiférés, lépreux, accueilli des itinérants et voyageurs, mille et une incarnations de cet amour du prochain : « Aime ton prochain. »

« Aime ton prochain », ou le soin à la personne étrangère, malade ou seule. Ici, les Sœurs Hospitalières de Sainte-Marthe.

Et quid du « comme toi-même » ? Anecdotiquement n’est-il pas étrange que l’histoire du costume ecclésiastique, liturgique ou de rue, ait évolué vers une nécessité à cacher les formes, tout en rehaussant par les ors et le chatoiement d’étoffe l’élite ecclésiastique, mais en gardant pour les deux sexes la tunique longue asexuée (aube, soutane) ? Le Concile Vatican II a rendu la liberté aux prêtres, religieux et religieuses, de se vêtir sobrement, mais moins ostensiblement uniforme2… Est-ce à dire que l’apparence corporelle ne dérangerait plus ?

Sain(t) égocentrisme

« Aime Dieu, ton prochain comme toi-même », un commandement désormais décliné en entier dès la moitié du XXe siècle : se multiplient petit à petit des propositions pastorales, et souvent en paroisse, où l’on prône et encourage le bien-être au nom de sa foi : café-deuils, semaines de jeûne, systèmes d’étude de la personnalité3 au sein des lieux de formation pour le travail en Eglise, espaces de prière et de silence ouverts au tout-venant4, cours de zen, de yoga chrétien où les mantras sont remplacés par des psaumes…

La question du discernement pour soi à l’aide d’outils ignatiens revient fort : se marier, déménager, divorcer, avoir un enfant et voilà que Monsieur le curé se retrouve face à toutes sortes de demandes de fidèles lambda pour devenir heureux… 

A une catéchèse faite d’enseignements et d’ouvertures sur le monde s’associent désormais des temps où le soi est soigné à commencer : l’art-thérapie, le LandArt5 pour petits et grands permettant une rencontre de Dieu au moyen de la beauté artistique (peinture, sculpture, dessin).

L’art-thérapie, par exemple à travers l’écriture d’une icône, permet de rencontrer Dieu au moyen de la beauté artistique.

Il existe aussi des ateliers de « journal créatif » ou comment écrire son propre (et cinquième) « évangile », c’est-à-dire apprendre à narrer les étapes de son existence en écho à celles du Christ conduisant, souvent, à l’apaisement intérieur.

Pour et contre

Après une visite des églises chrétiennes sur la Rive gauche de Genève, une maman me questionne : « Mais aujourd’hui, ce que vous avez proposé à mon fils, ça compte comme catéchisme ? » La visite avait nécessité de marcher bien 10’000 pas en serpentant dans les ruelles de la Vieille-Ville à partir des contreforts eaux-viviens – un effort physique pour parcourir les distances entre les édifices religieux faisait aussi partie du jeu. « Oui, Madame, si tant est que vous teniez un carnet du lait de sa catéchèse ! »

Offrir, exiger parfois, le silence dans une retraite d’ados est un challenge… qui porte du fruit, parfois à l’étonnement des organisateurs : « J’aimerais bien continuer à m’offrir des plages de silence au quotidien », conclut une confirmande, enthousiaste à ce qu’elle qualifie de « sa vie interne » après cet exercice (évidemment sans téléphone portable !).

La relation à Dieu est améliorée lorsqu’on a pris le temps de regarder en soi-même et de relire sa vie.

A tous les cheminants adultes qui demandent les sacrements d’initiation, je les renvoie à eux-mêmes avec l’Evangile de Marc à lire, en suggérant d’écrire à leur tour leur Evangile, puis, plus tard, leur Credo, en prenant soin de relire leur vie en couchant sur papier ses étapes, rencontres, joies et douleurs. Le « produit final » est saisissant d’introspection, de moments de confession, de vérité, d’authenticité. 

Et leur relation à Dieu n’en est qu’améliorée, car comme l’a dit une cheminante au groupe de catéchumènes, « une fois que j’ai désencombré mon dedans en posant devant mes yeux ses méandres de croissance, je vois mieux Dieu, je prie mieux Dieu, j’ai de la place pour L’aimer… », des larmes apaisées coulant sur ses joues.

A revers, les critiques ne sont pas légion, mais existent : « Nos jeunes n’apprennent plus rien, ils sont ignares, comment voulez-vous qu’ils pratiquent ? » me lance un octogénaire venu récupérer son (il est vrai un peu trublion de) petit-fils. « Avec vos histoires de prière en groupe dans le silence, quelle perte de temps ! » Oui, prendre soin de soi est la clef pour aimer Dieu et son prochain, malgré tout…

1 Mt 22, 39 ; Mc 12, 30-31 ; Lc 10, 27 (à noter que là, ce n’est pas Jésus mais un docteur de la Loi qui le dit).
2 Un bémol quant aux Ordres fondés après, et souvent en réaction, au Concile Vatican II qui arborent bures, pèlerines, coules effaçant la silhouette… Bis et repetita ? 
3 Comme l’Ennéagramme, Myers-Briggs, l’évangélisation des profondeurs, eutonie…
4 Les maisons d’Eglise en France, comme à La Défense à Paris, l’Espace Maurice-Zundel à Lausanne…
5 Création d’œuvres d’art dans le paysage naturel avec des objets trouvés sur place.

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