Prendre de la hauteur

Prendre de la hauteur

Franchir un col : angoisse ou ressourcement ? A la belle saison, beaucoup empruntent une route alpine, parfois dans les embouteillages. Qu’en est-il des personnes qui ont choisi de prendre de la hauteur pour s’y arrêter ? Halte aux hospices du Grand-Saint-Bernard et du Simplon ; l’hospitalité pour tous reste de mise.

Par Pascal Ortelli
Photos: Congrégation du Grand-Saint-Bernard, Antoine Salina, Astrid Belperroud
« Ici le Christ est adoré et nourri ! » La devise pluriséculaire des chanoines du Grand-Saint-Bernard exprime aujourd’hui encore leur volonté d’accueillir inconditionnellement l’hôte et le pèlerin. S’il vous plaît, ne parlez pas de touristes et encore moins de clients : ce sont bien les seuls mots mis à l’index là-haut. Car « même si on y vient en touriste, on en repart en pèlerin », comme le rappelle le chanoine Frédéric Gaillard. Pas besoin de montrer patte blanche à la porte d’entrée, qui d’ailleurs au Grand-Saint-Bernard n’a même pas de serrure !

Au centre le prieur Jean-Michel Lonfat, entouré à gauche de Frédéric Gaillard et à droite par Raphaël Duchoud et Anne-Marie Maillard.
Au centre le prieur Jean-Michel Lonfat, entouré à gauche de Frédéric Gaillard et à droite par Raphaël Duchoud et Anne-Marie Maillard.

Libre pour progresser à son rythme

« Ici, relève Justine Luisier qui y a travaillé, il y a une qualité d’accueil que je n’ai retrouvée nulle part ailleurs. Tu te sens comme à la maison, respecté dans ta foi et libre de vivre comme tu le souhaites. » Ce sentiment de liberté interroge, alors que le lieu est plus confiné que l’hospice du Simplon. Justine le connaît bien aussi, puisqu’elle anime les camps-réflexions organisés par l’aumônerie du Collège de l’Abbaye de Saint-Maurice.

Le Simplon parle par lui-même aux jeunes. Beaucoup y vivent leurs premières expériences en hospice. Les élèves y font peut-être l’expérience d’une rencontre avec un grand R, soutenue par la discrète présence des chanoines. S’ils sont bien là, ils ne se font pas envahissants, ce qui est apprécié des élèves qui se sentent respectés dans leur cheminement. 

La vie en hospice, entre confirmands et familles

Même constat pour Astrid Belperroud, animatrice pastorale à l’UP Renens-Bussigny. Elle y emmène les confirmands qu’elle prépare. Là, ils y découvrent… le credo qu’ils connaissent peu, alors qu’à cet âge, il importe de donner du sens à ce à quoi l’on croit. La vie en hospice y contribue. C’est faire une expérience hors de son quotidien, prendre du temps pour rencontrer Dieu et renforcer les liens de camaraderie. Cette halte sur les hauteurs représente « une aide précieuse sur le chemin de la confirmation ». Il se vit là, à coup sûr, quelque chose du rite de passage. Aux retrouvailles, on se remémore volontiers les souvenirs d’une sortie neige, d’une veillée ou d’une nuit agitée.

L’hospice du Simplon offre aussi la possibilité pour les familles de vivre un temps de vacances avec d’autres. Rachel et François Muheim y sont montés deux hivers avec leurs trois enfants, depuis Fribourg. Ils y ont particulièrement apprécié l’agencement des journées : le matin, les enfants sont pris en charge par une équipe d’animateurs, ce qui permet au couple de se retrouver et de se reposer. Si la dimension spirituelle est bien présente, elle n’est pas non plus écrasante. 

La volonté est d’accueillir tout le monde, sans distinction.
La volonté est d’accueillir tout le monde, sans distinction.

La spiritualité de la montagne : un appel prophétique

Au vu du nombre et de la diversité des groupes qui y séjournent, la mission des hospices semble aujourd’hui couler de source. Il n’en fut pas toujours ainsi. Avec la route carrossable et le tunnel, le passage du col ne représente plus un péril. La tâche des chanoines n’est plus dès lors d’accompagner physiquement les voyageurs avec les chiens, la soutane et les skis en bois, comme le veut l’image d’Epinal. Que faire des hospices ?

La Congrégation prend acte de cette évolution. Elle reconnaît très vite que la portion du monde qui lui est confiée pour l’évangélisation est celle « des voyageurs, des touristes, des alpinistes et des skieurs » (décret du chapitre général de 1959). C’est alors que retentit l’appel prophétique de Gratien Volluz, chanoine et guide de montagne, pionnier dans le développement d’une authentique spiritualité de la montagne avec les activités que nous connaissons aujourd’hui encore : pèlerinages alpins, vacances en famille au Simplon, randonnées spirituelles, camps montagne et prières… La montagne devient un terrain privilégié pour vivre une authentique expérience spirituelle.

Quand l’hospitalité se vit dans l’audace et l’adoration

L’hospitalité prend alors des formes nouvelles, tout en restant fidèle à son ingrédient de base : l’écoute. « Nous avons deux oreilles et une seule bouche », souligne malicieusement Frédéric Gaillard qui passe de nombreuses heures au téléphone, entre deux relevés météos. « Ça aussi, c’est de l’accueil ! » Pour Jean-Michel Lonfat, prieur de l’hospice du Grand-Saint-Bernard, l’un des rares prêtres à parler le langage des signes, l’accueil se vit aussi par l’accompagnement des personnes sourdes-malentendantes et aveugles-malvoyantes. Car, comme le rappelle le prévôt Jean-Michel Girard, la volonté de saint Bernard était d’accueillir tout le monde sans distinction. Ce service humain comporte un message : « Chaque personne est infiniment précieuse, quels que soient son origine, sa religion, sa condition sociale, sa raison de voyager et ses projets. » Si jusqu’en 1940, on offrait gratuitement un lit et une soupe à chaque hôte – même aux contrebandiers ! –, les chanoines ont aujourd’hui à cœur de poursuivre cette mission d’hospitalité pour tous. Le thé, symbole de bienvenue, est encore offert gratuitement.

Faire tourner la baraque

Si leur écoute et leur disponibilité sont sans pareil, le travail ne manque pas pour arriver à maintenir ces maisons ouvertes toute l’année. La communauté peut alors compter sur les précieux services de la maisonnée et de bénévoles. Clotilde Perraudin, une jeune du Val de Bagnes, a travaillé six mois au Grand-Saint-Bernard, dans ce lieu qu’elle connaissait déjà bien. La vie religieuse partagée, tout comme le regard bienveillant porté tant par la communauté que par les hôtes, lui a fait du bien, tout en renforçant son estime de soi. Elle, qui pourtant n’aimait pas faire le ménage, a trouvé que là, ça faisait sens pour… l’hospitalité qui se cultive jusque dans les fleurs. Le chanoine Raphaël Duchoud y entretient en effet une véritable pépinière, à plus de 2400 mètres d’altitude !

L’hospitalité s’incarne certes par des gestes très concrets. Toutefois, comme le relève Anne-Marie Maillard, oblate de la Congrégation, elle s’ancre avant tout dans une reconnaissance bien plus profonde, au risque sinon de ne pas tenir. « Ici comme ailleurs, nous ne pouvons pas accueillir en vérité ni aimer les autres si nous ne nous reconnaissons pas d’abord comme accueillis et aimés par le Seigneur. » Ainsi, prendre de la hauteur et vivre sur les cols, c’est peut-être d’abord reconnaître, consciemment ou non, un appel et… y répondre.

La Congrégation du Grand-Saint-Bernard fut fondée au XIe siècle.
La Congrégation du Grand-Saint-Bernard fut fondée au XIe siècle.

Prendre de la hauteur avec 82-4000 solidaires

But: rendre les sommets accessibles.
But: rendre les sommets accessibles.

Hugues Chardonnet, guide de montagne, diacre et médecin français, a parlé de son association 82-4000 solidaires lors du week-end pastoral des 17 et 18 février derniers à l’hospice du Grand-Saint-Bernard. Son association s’est donné pour mission de rendre les sommets accessibles aux personnes les plus démunies, car, de par les difficultés qu’elles ont surmontées sur leur chemin de vie, ce sont elles qui nous apprennent à vivre. « Ce qui anime nos nombreux bénévoles, c’est de voir redescendre les participants avec la banane. L’expérience de la beauté est nécessaire, tu aides ces personnes à construire leur vie autour d’une nouvelle passion. » (http://824000.org/)

Osons la bienveillance avec les pèlerinages alpins

Un temps de partage et de découverte, en portant un regard aimant, compréhensif et sans jugement sur soi et sur l’autre. Une marche de Ferret à l’hospice du Grand-Saint-Bernard pour rompre avec les rythmes effrénés du quotidien. Un pèlerinage qui a choisi une fois encore de favoriser les rencontres intergénérationnelles, en donnant une place privilégiée aux enfants et aux ados.

Plus d’infos sur les activités d’été au Grand-Saint-Bernard sous :
www.gsbernard.com/fr/agenda-fr

et pour les vacances chrétiennes en famille au Simplon sous :
gsbernard.ch/simplon/familles

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