Réinventer l’hospitalité urbaine

Juliette Salzmann.

La cohésion sociale d’une ville est en partie déterminée par la place laissée à la diversité religieuse. Le projet ReligioCités du Centre intercantonal d’informations sur les croyances (CIC) explore les formes de solidarités qui constituent « l’hospitalité urbaine ». Entretien avec Juliette Salzmann, collaboratrice scientifique au CIC.

Par Myriam Bettens
Photos : J. Salzmann

Pourquoi le lien entre urbanité et religiosité a-t-il été négligé par les collectivités publiques et la recherche scientifique durant si longtemps ?
Les recherches ont longtemps considéré le religieux en ville à travers le prisme de la sécularisation, thèse menant à concevoir la ville comme un espace neutre du point de vue religieux. Or, cette neutralité confessionnelle de l’espace public n’existe pas vraiment. C’est précisément en milieu urbain que se trouve la plus grande diversité religieuse. A partir des années soixante, on assiste à une pluralisation croissante des croyances et pratiques en Suisse. Ce phénomène s’accompagne d’une privatisation et d’une individualisation de celles-ci, ce qui explique, en partie, la moindre considération de ces questions par les collectivités publiques.

De quelle(s) manière(s) le milieu urbain et la pratique religieuse s’influencent-ils mutuellement ?
L’accès à l’espace est l’une des conditions premières du déploiement de la pratique religieuse. Les Eglises historiques sont souvent propriétaires de leurs lieux de culte, ce qui n’est que rarement le cas des autres communautés plus minoritaires qui mobilisent alors des stratégies d’occupation de l’espace. Par exemple, elles investissent des espaces initialement prévus comme locaux d’habitation, commerciaux, industriels ou recourent à la sous-location de lieux de culte de communautés établies. Certaines communautés développent des projets immobiliers, ce qui permet de générer des revenus. Ce faisant, les communautés façonnent le milieu urbain autant qu’elles doivent s’y adapter, en ce sens, villes et pratiques religieuses sont intimement liées. De plus, les lieux de culte sont fondamentalement en interaction avec leur environnement direct. 

Dans l’idée d’hospitalité urbaine, comment l’environnement urbain accueille-t-il les pratiques religieuses ?
C’est un accueil ambigu, car bien que la plus grande partie de la diversité religieuse se concentre dans les zones urbaines, de nombreuses communautés ont des difficultés à accéder à l’espace pour établir un lieu de culte. Cet accès dépend de la volonté des communautés établies de partager le leur, du bon vouloir des régies immobilières, des prix très élevés du marché immobilier et de certains préjugés à l’encontre de communautés pouvant aussi constituer un frein supplémentaire. Par ailleurs, les lieux de culte jouent aussi un rôle dans l’hospitalité, dans la mesure où ils constituent de véritables lieux de vie. Les activités séculières se déployant autour de communautés religieuses nourrissent des formes de solidarité et participent à alimenter la vie des quartiers. 

Quel est l’impact d’une loi sur la laïcité de l’Etat, comme c’est le cas à Genève ?
Nous avons peu de recul sur les effets de cette nouvelle loi puisque son règlement d’application n’est entré en vigueur qu’en juin 2020. Mais elle souligne l’ambiguïté du processus de sécularisation. D’une part, en la considérant comme une donnée aboutie, et d’autre part, légiférer est le signe d’une volonté de l’affirmer comme une nécessité politique. Or, la compréhension de cette loi et du principe de laïcité n’est pas uniforme et cela conduit à générer un « tabou » autour des questions religieuses et spirituelles par peur d’enfreindre ce principe. Dès lors, la prise en considération du religieux dans la sphère publique dépend fortement des sensibilités, des convictions et des bonnes volontés individuelles.

Le café ouvert au public de l’Espace Lumen aux Pâquis à Genève, le 6 avril 2023.

Bio express

Juliette Salzmann est collaboratrice scientifique au Centre intercantonal d’informations sur les croyances (CIC). Elle est titulaire d’un bachelor et d’un master en sciences des religions de l’Université de Lausanne et collabore sur le projet ReligioCités : Religions et vie urbaine à Genève avec une équipe de chercheuses et chercheurs.

Le projet ReligioCités du Centre intercantonal d’informations sur les croyances (CIC)

Ce projet analyse le rôle du religieux et des solidarités locales à l’échelle de plusieurs quartiers genevois. Il encourage les échanges entre les communautés religieuses, le monde associatif et les habitants afin de favoriser la cohésion sociale. Ce projet est mené par le Centre intercantonal d’informations sur les croyances (CIC), une fondation privée d’utilité publique avec pour mission d’améliorer la connaissance de la diversité religieuse en Suisse à travers la sensibilisation et la formation. Plus d’informations sur www.cic-info.ch

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