Tiré du magazine paroissial L’Essentiel, UP La Seymaz et UP Champel / Eaux-Vives, Saint-Paul / Saint-Dominique (GE), juin-juillet-août 2021
Spiritualité, le mot sonne bien par les temps actuels de course à la sobriété, autre mot qui sonne bien. Spiritualité plus sobriété égal bonheur assuré ? A voir… Rencontre avec Jean-Marie Gueullette, dominicain, théologien à l’Université catholique de Lyon à l’occasion d’un zoom organisé par la Faculté de théologie de l’UNIGE.
PROPOS RECUEILLIS PAR PASCAL GONDRAND
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La spiritualité connaît un succès grandissant dans nos sociétés sécularisées et hyperconnectées, a relevé Jean-Marie Gueullette, et cette popularité croissante s’accompagne d’un élargissement du champ sémantique du terme spiritualité, a-t-il souligné. Ce terme est en effet employé tant dans le domaine religieux que dans une culture laïque prônant le bien-être intérieur.
Quelle pourrait être sa définition et quelle est la spécificité de la spiritualité d’origine chrétienne par rapport au syncrétisme spirituel observé à l’époque contemporaine ?
La morale c’est affreux, mais l’éthique c’est très bien, la religion c’est affreux mais la spiritualité c’est très bien ?
C’est une question extrêmement difficile, voire la question impossible, a d’entrée de jeu fait valoir le dominicain. Ce terme de spiritualité connaît en effet un usage de plus en plus inflationniste. Tout le monde a ce mot à la bouche ! Et il n’est pas sûr qu’on sache très bien de quoi l’on parle quand il s’agit de spiritualité. Si celui-ci connaît un champ sémantique grandissant et de plus en plus élargi, il conviendrait alors de définir à partir de quelle origine, car le terme même de spiritualité n’est pas si traditionnel que cela dans le vocabulaire chrétien, et surtout dans la distinction qui semble tellement naturelle aujourd’hui, entre spiritualité et religion. « Pour imager cette réflexion, on pourrait dire que la morale c’est affreux, mais que l’éthique c’est très bien et que la religion c’est affreux mais que la spiritualité c’est très bien », a-t-il lancé comme une boutade !
Combien de fois a-t-il été interrogé par des journalistes sur le thème de la spiritualité alors que, à l’évidence, ils voulaient parler de religion, il n’a pas compté. « Mais on a l’impression que cela va leur brûler la langue de prononcer le mot religion. Ils remplacent alors cet horrible mot par spiritualité. »
Souffrir, ça fait du bien ?
Jean-Marie Gueullette se déclare extrêmement prudent. « Faire une telle affirmation dans le sens où le silence et la solitude, pour beaucoup de personnes aujourd’hui, sont subis et sont la source d’une immense souffrance, d’une forme de déshumanisation, est périlleux. Il serait presque indécent de dire quelle chance nous avons d’être plongés dans le silence. On retrouverait un bon vieux discours selon lequel, l’épreuve, ça fait du bien, plus vous souffrez, plus vous avancez dans la sainteté. Non, le silence et la solitude ne sont pas nécessairement producteurs de sens ni même condition de recherche de sens. Ils peuvent être vécus comme une épreuve complètement destructrice. Le silence imposé par le confinement est une épreuve surprenante pour nous qui n’avons pas vécu dans des sociétés totalitaires et qui n’avons pas connu la diminution imposée de nos libertés. Il s’agit plutôt d’une rude expérience qui n’est pas nécessairement porteuse d’un sens spirituel. Si l’humanité n’était pas en train de se faire un grand trip spirituel mondial depuis un an, ça se saurait. La seule chose que l’on pourrait dire en tant que chrétien, c’est que ces conditions exceptionnelles, tant de solitude que de silence, peuvent être vécues comme un kairos (occasion), c’est-à-dire comme un moment favorable et les considérer comme une occasion qui nous est donnée d’arrêter les machines.
Vie intérieure et vie active, vie spirituelle et vie sociale. Quel équilibre ?
« Il ne peut y avoir de vie spirituelle si l’on est constamment dans l’activité. Il nous faut un sabbat, des moments pendant lesquels on s’arrête. Une des bonnes définitions de la prière c’est de ne rien faire. Ne rien faire avec Dieu, ne rien faire pour Dieu, ce qui est encore plus difficile… Et du côté des traditions chrétiennes, on ne peut trouver un équilibre et une fécondité mutuelle entre ce qui est de l’ordre de l’activité dans le monde et ce qui est de l’ordre d’une vie intérieure si nous ne situons pas cela clairement dans une forme de rythme. Se dire, par exemple, je prierai quand j’aurai le temps ou je penserai aux pauvres quand j’aurai le temps, ne mène à rien car on ne fera ni l’un ni l’autre. Là encore, pour avoir une vie spirituelle, commençons par consacrer dix minutes chaque jour à Dieu. C’est d’ailleurs le conseil que les Pères du désert donnaient à leurs disciples. Le développement d’une vie spirituelle passe nécessairement par une certaine discipline et une organisation du temps. Et cela, « progressivement », comme le préconisait un trappiste dans un monastère cistercien en France, qui, dans les locaux du noviciat, avait écrit en gros sur le mur : « PRO-GRES-SI-VE-MENT ! » »