Synode 2023, quo vadis ?

Synode 2023, quo vadis ?

Depuis l’automne 2021, les Eglises locales ont entamé la phase locale du Synode voulu par le pape François : de bas en haut, des fidèles aux évêques. Et sur trois ans ! Inédite, cette entreprise ecclésiale fait des remous là où on ne l’attendait pas forcément… Mais le réalisme de la base ne fait pas défaut : à quoi bon tout ce raffut ?

PAR THIERRY SCHELLING | PHOTOS : VATICAN.NEWS, PIXABAY, CATH.CH, DR

Le site du Vatican arbore un logo qui mène au contenu sur le Synode en anglais, italien et espagnol. Les onglets sont clairs : Qu’est-ce que le Synode 21-23, Processus synodal, Ressources, Nouvelles, Contacts. Les moyens de communiquer sont assurés : le site est régulièrement mis à jour ; le processus est définitivement lancé…

Localement

Des quatre coins du monde catholique, les conférences épiscopales ont ouvert un processus approfondi de synodalité – de rencontres entre membres de l’Eglise, agent.e.s, paroissien.ne.s, « cadres », etc. –, s’attirant parfois les foudres de collègues soucieux de l’unité de l’Eglise devant les issues des débats : oui à un clergé marié, oui à l’ordination des femmes, oui à une bénédiction pour couples de même sexe, plus de présence féminine dans les instances décisionnelles ecclésiastiques, assez de cléricalisme… De quoi agiter non seulement les ouailles, mais également les médias. Et même le « petit monde du Vatican »1…

Même le Pape…

Le Pape lui-même, dans son petit Etat du Vatican, avance pas à pas : femmes nommées désormais systématiquement dans les Dicastères de la Curie – et bientôt des laïcs à leur tête 2 à parité avec des cardinaux. Grâce à la publication de la nouvelle constitution apostolique Praedicate Evangelium (mars 2022), qui a déplacé le curseur de façon ré-vo-lu-tion-nai-re (mais pas tout le monde a encore saisi !) : ce n’est plus l’ordination qui justifie la nomination à un poste de décision, mais la mission donnée par l’évêque local à un.e baptisé.e selon compétence ! Les prochains mois devraient voir l’arrivée de personnes à des postes curiaux comme jamais auparavant on avait même pu l’envisager… Comme dit, une réforme pas à pas.

Chi va piano…

C’est aussi cette lenteur du processus – inhérente à une telle envolée au niveau de l’Eglise catholique romaine qui est universelle – qui est revendiquée par les protagonistes, le Cardinal Grech en tête. Comme Secrétaire du Synode des évêques, il recommande de prendre le temps d’écouter et de s’écouter avant toute chose, et, le cas échéant, de reprendre l’exercice d’écoute pour arriver à un consensus – l’opposé du compromis comme on peut le voir dans nos démocraties.

En effet, une des incompréhensions entre le modus procedendi de l’Eglise et ce qu’en ont compris la plupart des médias, c’est bien la différence fondamentale, constitutive, de l’Eglise, qui ne fonctionne pas comme un Etat. Le synode n’est donc pas un parlement qui négocierait des lois, des amendements, des abrogations, voire des censures. Mais une assemblée – on dit ekklesia en grec, qui a donné Eglise – de croyant.e.s qui, au nom de leur baptême, vocation et ministère dans l’Eglise locale, se mettent toutes et tous à l’écoute de l’Esprit et les un.e.s des autres, pour discerner où le vent souffle… Et cela prend du temps.

… va lontano !

Ainsi donc, il est désormais clair qu’une majorité de fidèles en Suisse et ailleurs est pour le choix d’un prêtre de se marier, pour l’accession des femmes à l’ordination sacramentelle, pour la bénédiction religieuse des couples de même sexe, pour l’accès aux laïcs responsables de communautés ecclésiales à la présidence des mariages et des baptêmes (cela est déjà le cas dans le diocèse de Bâle par exemple), pour la jugulation du pouvoir du prêtre rendu parfois hors proportion…. Pourquoi les fidèles se tromperaient-ils systématiquement s’ils pratiquent la synodalité ? Car le Peuple de Dieu a ce sensus fidelium qui est proche de ce que l’on pourrait appeler bon sens renforcé par l’écoute de l’expérience des autres… Et les divers rapports des Eglises locales mis en ligne 3 sont rafraîchissants de pertinence, voire parfois d’une insistance certaine quant à des changements concrets.

Le (bon) sens des fidèles

En effet, après Synode 72 et AD2000, beaucoup de fidèles ont été tellement désillusionnés que leur avis est désormais tranché… quand ils et elles le donnent encore : « De toute façon, à quoi ça sert, on me l’a demandé déjà deux fois… et rien n’a suivi, même pas au niveau œcuménique », raconte Germaine, Genevoise octogénaire, qui a perdu espoir de voir les choses changer officiellement. « Alors j’opère le changement à partir de mes choix : je vais au culte et j’amène mon mari, protestant, à la messe et nous communions en toute bonne foi ! »

Ce sensus fidelium, c’est vrai, peut être facilement « contaminé » par ce que des détracteurs de ce processus d’écoute réciproque ne manquent pas de relever : épouser les idées contemporaines et donc, vouer l’Eglise à sa perte, en vidant la vérité de l’Evangile enchâssé dans la Tradition pluriséculaire de « Notre Mère l’Eglise »… Mais ces idées du monde qui pénètrent jusqu’à l’âme de bien des fidèles n’est-ce pas la phase d’acculturation 4 que l’on repère dans l’Histoire de l’Eglise au contact de cultures nouvelles ? Encore faut-il connaître l’Histoire de l’Eglise… 5

Exemples de révolutions

Le grec a été supplanté par le latin dans l’Europe occidentale, qui lui-même a disparu lorsque la plèbe, le peuple, a donné naissance aux langues dites romanes. Le culte marial s’est proportionnellement développé au sein du peuple au fur et à mesure que le culte aux divinités féminines de la religion de l’Empire romain était banni, puis interdit, dès la fin du IVe siècle. Concepts théologiques – la Trinité, consubstantiation… – ou discipline ecclésiastique – célibat des prêtres, sacrement du mariage, règles entourant la communion… – formalisés par la « minorité dirigeante » (comprendre le clergé) ne sont-ils pas nés par interaction avec la culture philosophique et politique ambiante ? Pourquoi donc craint-on désormais d’« épouser » certaines idées du monde moderne ? La fracture entre Eglise et société est relevée dans maints comptes-rendus synodaux par des Eglises aussi distantes que celles de l’Australie, de l’Autriche ou du Brésil…

Matériel accessible à tou.t.es !

Force est de constater qu’après la phase locale, les catholiques suisses semblent être passés à autre chose. Même si, sur les sites des six diocèses helvétiques, les documents sont accessibles : une mine d’or pour sentire cum Ecclesia, sentir avec l’Eglise (expression de saint Ignace de Loyola), voire sentire Ecclesiam, sentir l’Eglise – pape François demandait au clergé de « sentir l’odeur des brebis » !

S’il est vrai que les prochaines phases – nationale, continentale, universelle – sont entre d’autres mains que les fidèles de la base, les synthèses locales sont disponibles, « travaillables » et pourquoi pas inspiratrices de changements locaux… Elles réclament par contre un exercice des plus louables : leur lecture, voire relecture, qui, selon Ignace, est un moyen plus profitable encore de comprendre l’Esprit de Dieu. Mais qui va les lire, voire les relire ? Il en va de notre responsabilité de baptisé.e.s consulté.e.s et désormais informé.e.s – mais qui prendra le temps pour cela ?

1 Pour paraphraser le célèbre film Le petit monde de Don Camillo…
2 Il y en a déjà un, Paolo Ruffini, préfet du dicastère de la communication, depuis 2018.
3 La liste s’est allongée tout au long de l’été : tapez « conférence épiscopale de… » et vous trouvez le rapport final.
4 La première phase de rencontre entre l’Evangile et ses hérauts, et une culture humaine, consiste à se comprendre mutuellement : on appelle cela « acculturation » qui, bien vécue, peut se transformer en « inculturation » où l’un ou l’autre des éléments de la culture rencontrée sont utilisés explicitement dans le contexte ecclésial (théologie, discipline, etc.).
5 Cf. L’Essentiel d’octobre 2021.

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