Les vocations religieuses et sacerdotales dans les pays occidentaux sont en baisse constante. S’il n’est pas facile de discerner les causes d’une telle situation, il est important de ne pas tomber dans des considérations simplistes et de rechercher les origines de la dévalorisation d’un idéal si apprécié et si recherché dans la vie de l’Eglise.
Par Calixte Dubosson | Photos : Bernard Hallet/cath.ch, DR
A la question de la baisse des vocations un peu partout en Suisse, le regretté Mgr Genoud *, a eu cette réponse surprenante : « Pour le nombre de pratiquants, il y a encore assez de prêtres. » Il ajoutait que les paroisses doivent devenir mères pour engendrer les pères dont elles ont besoin. Il faut qu’elles manifestent le désir d’une présence sacerdotale et religieuse, il importe qu’elles disent si oui ou non elles ont besoin d’un berger pour les conduire. Cette constatation plutôt réaliste n’empêche pas une réflexion sur la baisse des vocations religieuses et sacerdotales en Europe.
Un constat
Le nombre réduit de vocations dans la vie religieuse a des motivations de divers ordres. Motivations sociologiques tout d’abord : la diminution des naissances et le fait qu’il est toujours plus rare de trouver des familles nombreuses. Des études ont montré que nombre de vocations à la vie presbytérale et religieuse sont issues de familles ayant beaucoup d’enfants. Il est évident que sur un taux de naissance en Suisse qui frôle le 1.5 % par famille, on ne voit pas comment égaler le flux des générations précédentes.
Le moine italien Enzo Bianchi y voit aussi une dimension économique avec l’amélioration spectaculaire des conditions de vie. « Au niveau économique, dit-il, l’aisance généralisée a transformé radicalement le panorama par rapport aux années d’après-guerre qui ont vu naître de nombreuses vocations presbytérales et religieuses dans un contexte de pauvreté et de besoin. » Le confort actuel ne permettrait pas d’entendre l’appel de Dieu, car une société qui a tout ce qui lui faut au niveau matériel ne favorise pas ou moins le besoin de donner sa vie pour Dieu.
Enjeux de la vocation
« Dans le vaste panorama des possibilités infinies du monde moderne (professions de tout ordre, expériences de vie volontairement limitées dans le temps, voyages), la difficulté est grande pour les jeunes de choisir et de concevoir qu’un choix soit définitif, ainsi que celle de persévérer et vivre une fidélité » m’a confié un confrère dans le sacerdoce. On peut aussi relever par ailleurs leur appréhension devant la nécessité d’une ascèse et de renoncements à tant de choses passionnantes que nous propose le monde actuel.
Il y a également l’exigence du célibat et de la chasteté qui est très difficile à vivre dans une société hypersexualisée. Même si beaucoup de catholiques pensent qu’il serait bon que le futur prêtre puisse choisir entre le mariage et le célibat et que cette option freinerait la chute inexorable des vocations, il n’en reste pas moins que la vraie raison du célibat et de la chasteté est mystique et non disciplinaire. Elle reste toujours valable : les représentants visibles du Christ invisible sont appelés à pratiquer son genre de vie.
Le message faussé
Impossible de ne pas évoquer la triste réalité des révélations d’abus sexuels ou psychologiques de la part du clergé qui impacte sérieusement et gravement le désir des jeunes de se lancer dans l’aventure du sacerdoce ou de la vie religieuse. Ce phénomène malheureux et sa médiatisation ne peuvent qu’instaurer une méfiance et un rejet inévitables. Un ami prêtre m’a confié que, dans le contexte actuel, une vocation religieuse tient carrément du miracle. A tel point qu’une mère de famille très engagée dans la pastorale de son diocèse et mère de nombreux enfants a confié à son amie : « Auparavant, je priais intensément pour que Dieu choisisse un de mes enfants pour une vie consacrée, mais depuis l’affaire des chanoines abuseurs révélée dernièrement dans la presse, je prie désormais pour que mes enfants ne choisissent pas cette voie. »
Des parents, parlons-en justement. Peu d’entre eux songent à une vocation consacrée pour leurs enfants. Jean-Marie et Geneviève Thouvenot, parents d’un prêtre du diocèse de Lyon n’y avaient pas pensé avant. « C’est comme les autoroutes. Il en faut, mais pas dans notre jardin ! »
Mais ne dit-on pas qu’une vocation peut naître, s’enrichir et se fortifier d’abord dans le terreau familial ?
Crise des vocations ou crise de la foi ?
La vocation est pour moi liée à la foi. Avant de réclamer des prêtres, des religieux, des religieuses, il faut demander au Seigneur, des croyants qui deviendront par la suite capables de faire le grand saut de la vocation. Aimer le Christ et le faire aimer doit être la préoccupation principale de tout chrétien, des parents jusqu’aux responsables d’Eglise. Une foi sincère et rayonnante est donc nécessaire. Pourtant, Jésus a posé la question : « Quand le fils de l’homme reviendra, trouvera-t-il la foi sur la Terre ? » Notre monde occidental a-t-il perdu la foi ? Alain Houziaux, pasteur de l’Eglise protestante unie de France affirme : « Le plus souvent, on « perd la foi » quand on ne l’a jamais vraiment eue. On a fréquenté l’instruction religieuse, on a fait sa première communion, on a été enfant de chœur, éventuellement on a même eu quelques élans mystiques. Mais, par la suite, la foi est devenue une forme d’adhésion à une tradition et à une éducation. Adhérer à une religion et avoir la foi, ce sont deux choses très différentes. »
Depuis des millénaires, beaucoup de gens demandaient à Dieu ce que désormais ils peuvent, en partie, se procurer par eux-mêmes. Ils ne voient plus ce qu’une foi et une pratique religieuse apportent. Sans doute aspirent-ils, dans leurs attentes profondes, à passer d’une relation d’utilité à une relation de gratuité et d’amour avec le Dieu de l’Evangile. Mais ce passage est loin d’être réalisé. Le but de la catéchèse pour les enfants, c’est précisément de nourrir une relation d’amour avec le Christ qui a commencé au baptême.
Comment dépasser la crise ?
C’est une tâche difficile. Si nous n’avons pas prise sur la mutation de la civilisation, nous pouvons tout de même agir en Eglise pour enrayer certaines causes internes de la crise. Que toute l’Eglise soit convaincue que les prêtres sont et seront irremplaçables. Il ne peut y avoir d’Eglise, telle que le Christ la veut, sans ministres ordonnés (prêtres et évêques) qui la rattachent, elle qui est le Corps du Seigneur, à la Tête. Contrairement au slogan nocif des années 80 qui a causé beaucoup de tort, nous n’allons pas « vers une Eglise sans prêtres ». Que toute l’Eglise retrouve confiance, sans être ni culpabilisée ni prétentieuse. Aucune personne, aucune institution ne peut se réaliser sans confiance. La nôtre s’appuie non sur nous-mêmes, mais sur la vitalité du Christ Ressuscité et sur son Père, dans l’Esprit d’Amour. C’est le développement chez beaucoup de catholiques d’une authentique vie spirituelle, au sens fort, qui permet d’être et d’agir dans cette confiance reçue de Dieu.
Concrètement, nous pouvons :
Prier, car le Saint-Esprit n’a déserté ni l’Eglise ni notre monde. Malgré tous les obstacles actuels, des jeunes sont capables de répondre à son appel avec dynamisme, générosité et joie. Des réseaux de prière pour les vocations existent (cf. encadré).
Soutenir les jeunes qui s’interrogent sur une possible vocation. A l’heure actuelle, il faut beaucoup plus de temps pour choisir sa voie et mûrir une décision ferme. Sans doute, nous faut-il prendre des initiatives variées pour accompagner, de manière personnalisée, les jeunes qui se demandent comment discerner un éventuel appel de Dieu.
Parler, car tout ce qui est humain passe par la parole et ce qui ne se parle pas finit par dépérir. Il est important d’oser parler des vocations et de proposer aux jeunes d’y répondre, dans le respect de la liberté de conscience, bien entendu.
Encourager les vocations par la prière
En Suisse romande, nous avons la grâce de compter plus d’une quinzaine de communautés religieuses contemplatives et monastiques. Ces hommes et ces femmes prient aussi pour la vocation de tous les baptisés. Au sein du Centre romand des vocations, une délégation assure l’édition d’un petit fascicule trimestriel, qui s’appelait autrefois le « Monastère invisible » et qui se nomme désormais « Kairos ». Son but : encourager la prière pour les vocations et nourrir la réflexion autour de l’engagement en Eglise. Kairos est également un lien entre toutes les personnes qui, dans les paroisses, portent devant Dieu la prière pour les vocations.