Il est dix foi(s)

Cette année, les Rendez-vous Cinéma IL EST UNE FOI de l’Eglise catholique romaine de Genève fêtent dix ans d’existence. Pour célébrer cet anniversaire, le festival invite les spectateurs à explorer le thème de la beauté, du 30 avril au 4 mai, aux Cinémas du Grütli.

Andrej Tarkovski rendra hommage à son père lors d’un spectacle multimodal unique en son genre.

Par Myriam Bettens | Photos : DR

« La beauté comme principe de vie exclut toute utilisation de celle-ci comme outil de tromperie ou de domination. Car ceci est la laideur même, le mal », écrit François Cheng dans Cinq méditations sur la Beauté. Beauté et vérité sont donc intimement liées et contiennent, en germe, un chemin spirituel authentique. Elle renvoie donc autant à une réalité physique qu’à un ailleurs qui la transcende. Or, les réflexions sur la beauté peuvent sembler un exercice difficile à accomplir, car la dimension subjective passe pour être la règle.

Les Rendez-vous Cinéma IL EST UNE FOI de l’Eglise catholique romaine à Genève tenteront de l’explorer dans sa dimension physique, mais aussi immatérielle, afin de mieux comprendre les défis liés à sa quête. « La question est cruciale, tant la beauté est liée avec le désir et le goût de vivre. »

La beauté comme principe de vie

« Dans un monde où le beau est souvent réduit à l’aspect esthétique, à la surface et à l’apparence, la 10e édition des Rendez-vous Cinéma de l’ECR braque le projecteur sur l’expérience spirituelle qui jaillit de la rencontre avec la Beauté. » Vingt films et dix débats au programme de cette 10e édition, déclinés sous plusieurs angles afin de mieux saisir comment s’incarne le concept souvent abstrait de beauté.

Une première escale mènera dans le monde de l’art, « véhicule par excellence de l’absolu », où il sera question de retranscription du sacré à travers la peinture d’icônes, de poésie ou encore de musique pouvant mener à la transcendance. Le parcours se poursuivra au travers de la beauté qui se révèle dans la nature avec la thématique du réenchantement du monde, à la capacité à être touché par l’harmonie et la simplicité du quotidien, en passant par le bouleversement occasionné par la rencontre solennelle avec le cycle de la vie et de la mort. D’autres expressions, parfois surprenantes, de la beauté sont à découvrir durant ce festival.

Un contenu éthique profond

La clôture de cette édition anniversaire se tiendra, le dimanche 4 mai, au Conservatoire de musique de Genève avec un spectacle multimodal d’Andrej Tarkovsky « d’un contenu éthique profond ». Ce concert rendra hommage à son père, le cinéaste russe Andreï Tarkovsky. La performance du Duo Gazzana alternera entre lectures, avec l’acteur Samuel Labarthe comme récitant, et pièces musicales inspirées des films du metteur en scène disparu. Des projections vidéo comprenant des scènes des films Andreï Tarkovsky ainsi que des images inédites et des documents issus des archives familiales
feront partie intégrante de la représentation.

La beauté s’affiche

L’affiche de cette 10e édition a choisi l’artichaut pour représenter la beauté intérieure, « comme le cœur d’un artichaut. Elle demande d’aller au-delà des premières impressions pour découvrir ce qui se cache sous la surface ». Représenté en porcelaine blanche pour ajouter une dimension de pureté et de finesse, le rebord des feuilles est souligné d’un liseré doré pour rappeler l’art du kintsugi japonais. Cette technique consiste à réparer les pièces en céramique brisées en appliquant de l’or sur les cassures de l’objet. Cet art illustre que « la fragilité et les cicatrices font partie de l’histoire d’un objet » et que « la beauté ne réside pas seulement dans la perfection ». Plus d’informations sur ilestunefoi.ch

Depuis le banc du fond

Aujourd’hui, une paroissienne nous ouvre son cœur et nous offre son témoignage. Merci Claudine!

Propos recueillis par François Riondel 
Photo : DR

« Guide-moi sur les chemins de ta verité » (Ps 24)

Oui, Seigneur, avec toi je choisis de marcher au désert de ces 40 jours de Carême pour te rencontrer au plus intime de moi-même et y découvrir, à la Lumière de ton Esprit, de quelle manière nouvelle tu veux me faire vivre avec toi, le « Car-Aime » de chaque jour dès le matin de Pâques.
40 jours au désert de nos chemins de Carême une fois l’an… Oui, mais… nos années de vie sont aussi parfois traversées par de longs déserts, à l’image des
« 40 ans au désert des Hébreux ». En partage, en voici l’un d’eux qu’il m’a été demandé de traverser, dans le silence de Dieu, pour renaître à la Vie, et fêter « ma » Pâque au sortir du désert.

D’un « pourquoi », à un « pour quoi »

A peine sortie de l’adolescence (je porte depuis peu le titre de senior), alors que je venais de franchir la porte de l’église au terme de la messe de sépulture de papa, il m’a été dit une parole que je n’oublierai jamais : « Oh que Dieu doit t’aimer pour te reprendre ton papa ! »

Ce fut un « tournant » dans ma vie et le premier jour d’un long chemin pour tenter de comprendre comment il pouvait en être ainsi. 

Il y avait bien dans mon « éducation religieuse » une coloration dite « janséniste » pour « Dieu-Père », mais dans mon cœur, une certitude reçue : son Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, Lui n’était et ne pouvait être qu’Amour. Alors pourquoi « Dieu Père »… qui m’a-t-on dit m’aimait… avait-il voulu me reprendre papa ?

Si tel était bien le cas, alors je ne poursuivrais pas ce chemin de foi ! Mais si ce que je vivais au plus profond de moi était Vérité, alors je demandais à Jésus de me le montrer et… je l’avoue : de me le prouver, pour tenter de survivre à ce tsunami de détresse / tristesse venu frapper notre famille. Vous l’aurez compris, il ne m’était plus possible d’entendre : « Dieu notre Père. »

Seul Jésus-Christ était une Vérité audible pour moi et, dans ma vie, pouvait être un chemin de survie.

Jour après jour, petite pierre après petite pierre déposée sur ma route, notre Seigneur m’a répondu avec une infinie délicatesse – patience habillée de tendresse – me présentant des « êtres de lumière », principalement trois prêtres répondant chacun au prénom de Jean, qui ont su m’accompagner à l’image et au nom de Jésus. L’un deux ne m’a-t-il pas dit au début de ma recherche : pendant 3 ans de vie publique, Jésus a « tourné en rond » autour d’un lac (périmètre restreint), mais sans jamais croiser quelqu’un sans le Regarder ET l’Aimer dans son unicité. Je n’ai jamais oublié !

Notre Seigneur n’a jamais lâché ma main, marchant à mon rythme à mes côtés, sans oublier de me porter peut-être plus souvent qu’à mon tour. Avec le plus précieux des cadeaux : oui aujourd’hui c’est en Vérité que je peux dire « Abba, Père » !

Pour tenter de vivre dans Sa Vérité qui n’est qu’Amour… 

Dans l’infiniment petit de mon quotidien, je tente de « juste aimer », mais là, c’est encore à partir « de moi » ; alors je demande à notre Seigneur « d’aimer juste », c’est-à-dire de passer par Lui, par son Cœur pour le laisser rejoindre et aimer ceux qu’Il me donne au hasard de mes pas, mettant à sa disposition simplement mes yeux, mes mains, mes oreilles… 

Mère Teresa nous dit que ce n’est pas ce que l’on fait qui compte, mais bien la dose d’amour que nous y mettons, à l’image d’ailleurs de Thérèse de Lisieux qui ramassait, avec amour, même une toute petite aiguille.

Et à l’aube du matin de Pâques…

Parvenus au terme de nos 40 jours de Carême, nous recevrons chacun / e comme Marie-Madeleine, le privilège et la grâce, de nous entendre appelés / es par notre prénom. Avant qu’il en soit ainsi, au jour de notre « Entrée dans la Vie », où notre Seigneur nous tendra les bras et nous accueillera en prononçant notre prénom avec une infinie tendresse.

Dire «oui» plutôt que «non»

Par Pierre Guillemin
Photo : DR

Le wokisme désigne le fait d’être conscient des questions de justice sociale, raciale et environnementale et de les dénoncer.

On serait donc tenté de voir dans le wokisme une prolongation de la foi chrétienne qui appelle à l’amour du prochain sans distinction. Pourtant, des divergences sont bien présentes : les thèmes du genre, du mariage, de l’avortement, des traditions et donc du dogme et des règles qui régissent la vie chrétienne, de la justice et de la place de la rédemption et du pardon, et l’universalité de la foi chrétienne face aux luttes de pouvoir de minorités sont des éléments forts d’opposition entre christianisme et wokisme.

Surtout, la foi chrétienne nous invite à dire « oui » plutôt qu’à dire « non », elle nous pousse à ouvrir les bras plutôt qu’à les refermer. Ainsi, c’est certainement là la grande divergence, la tendance systématique qui caractérise le wokisme dans sa quête de justice finit par fermer les portes du dialogue nécessaire à l’amour de son prochain. 

N’oublions pas que la foi chrétienne n’est pas aveugle à l’injustice. Grégoire de Nysse (335-395) déclarait : « Si Dieu n’asservit pas ce qui est libre, qui peut établir au-dessus de Dieu sa propre domination ? »

Le crépuscule des dieux

Woke, voilà un terme en vogue ! Utilisé à toutes les sauces, on ne parvient toutefois pas si bien à le définir, si ce n’est qu’il a une connotation plutôt péjorative. A bien y regarder, il ressemble étrangement à un puritanisme… sans théologie.

Par Myriam Bettens | Photos : AdobeStock, Unsplash, DR

Force est de constater que si ce mot n’est pas celui de l’année, il est au moins celui de ces dernières années. Le terme woke désigne en anglais le fait d’être éveillé, conscient et en alerte face aux inégalités. Plus que toute autre occurrence issue du vocabulaire identitaire, ce terme décrit bien les affrontements politiques et culturels entre une gauche « progressiste » et une droite « conservatrice ». Outre l’aspect politique patent que ce terme revêt, les détracteurs de la « culture woke » – à la fois pour dénoncer et mettre en garde contre son importation sous nos cieux – ont tendance à recourir au lexique religieux dans leur critique. De la simple comparaison jusqu’à, parfois, l’assimilation.

La paresse intellectuelle comme vertu

L’utilisation de l’analogie religieuse comme outil d’analyse de faits sociaux dans le registre des sciences humaines et sociales n’est pas nouvelle. Déjà en 1941, le philosophe et sociologue français Raymond Aron proposait l’expression de « religion séculière »1. Mais on peut se demander si, ici, l’analogie religieuse est propre à nous aider à saisir le phénomène du wokisme en lui-même. Or, dans un essai sur les limites de l’analogie religieuse2, la sociologue française Nathalie Heinich pointait le risque d’un tel procédé, qui, « par un effet d’aspiration, tire vers « le religieux » tout ce qui, de près ou de loin, y ressemble, sans que ne soit jamais discutée la pertinence d’une telle assimilation ».

Pour reprendre ses termes, « l’effet d’aspiration » produit une certaine paresse intellectuelle. Dans ce cas précis, le wokisme n’est plus analysé pour lui-même, mais uniquement par le prisme du religieux. Cette comparaison induit aussi un transfert des attributs de la religion – renvoyant l’image d’un christianisme dans sa version la plus fondamentaliste – au mouvement woke. L’intolérance, le refus du dialogue, le fanatisme ou encore le dogmatisme deviennent alors des qualificatifs de la culture woke. En outre, cette analogie a pour conséquence d’inciter à penser qu’il existe une unité, une vision, voire un programme au sein du wokisme, alors qu’il demeure tout au plus un mouvement.

Dans sa diversité, le wokisme demeure tout au plus un mouvement.

Une rhétorique de saturation

Ce qui devrait rester un outil au service d’une démonstration en devient la fin et « le problème avec l’analogie religieuse n’est pas qu’elle soit fausse, mais bien qu’elle ne soit jamais fausse »3. Les caractéristiques apparentées au religieux de la culture woke – moins pour comparer que pour dénoncer – et son assimilation à une nouvelle religion sont toujours opérées sur le mode de l’évidence. L’exemple le plus emblématique se trouve dans La religion woke 4 de Jean-François Braunstein. Les militants « prêchent », leurs actions sont « des rites » et ils sont conduits par un ensemble de « textes sacrés » regroupés en « missels ». C’est ce procédé rhétorique de saturation du texte au moyen du lexique religieux qui finit par conférer à la culture woke sa dimension religieuse ! Par contre, aucune trace du pourquoi le wokisme serait une religion. Le Mystère se trouve peut-être là… 

Il est vrai que la sémantique invite à franchir le pas par son appellation même. Le terme woke [ndlr. éveillé] évoque les vagues de Réveil religieux qui ont marqué toute l’histoire des Etats-Unis depuis le XVIIIe siècle. Si l’éveil peut être une caractéristique de la religion, celle-ci n’en a pas l’exclusivité. Rappelons le philosophe Kant se félicitant d’avoir été « réveillé de son sommeil dogmatique » par son homologue écossais Hume, ou encore les thèses conspirationnistes reprenant à leur compte la thématique de l’éveil. Si un rapprochement semble tout à fait légitime, une assimilation ne l’est en revanche pas.

La couverture du numéro de mai 2019 du magazine Valeurs actuelles, assimilant les revendications féministes à une « inquisition ».

Une « quasi-religion » civile

Dans une longue analyse5 réalisée pour l’Institut Religioscope de Fribourg, l’historien Olivier Moos avance qu’« un certain nombre d’auteurs ont utilisé le modèle du Great Awakening [ndlr. Grand Réveil] pour analyser le phénomène woke à la manière d’un surgissement culturel et révolutionnaire, comme l’émergence d’une nouvelle « religion civile », ou encore la manifestation d’un post-protestantisme débarrassé de sa théologie ». Il souligne que « le wokisme fonctionne à la manière d’un système de croyances, mais n’est pas pour autant une religion. […] Une partie des idées et des attitudes adoptées par les militances progressistes reproduisent des croyances et des comportements que l’on observe plus couramment dans certains groupes religieux fondamentalistes ». 

Il cite l’obsession de la pureté et du péché, la certitude de jouir d’une infaillibilité morale, la condamnation de l’hérésie ou encore l’autorité indiscutable des écritures. Le wokisme, tout comme les systèmes religieux, offre à ses adeptes un système interprétatif de la société, avec ses normes, ses valeurs et ses dogmes. « Ayant émergé dans un univers culturel profondément influencé par le protestantisme, il n’est pas surprenant que de nombreuses valeurs et pratiques woke puissent reproduire, inconsciemment, des éléments de cet héritage. Cependant, les intellectuels de cette mouvance revendiquent de produire du savoir et de l’expertise, et non du spirituel. » En d’autres termes, il manque au wokisme sa dimension proprement métaphysique. 

Eveil et crépuscule

Le chercheur fribourgeois reconnaît que « tant les comportements des activismes qu’une partie du corpus de la Social Justice prêtent aisément le flanc à une analogie religieuse » en transférant la sensibilité morale du protestantisme dans le champ politique « alors que le cadrage métaphysique s’est étiolé ». Cela a « entraîné non seulement une moralisation de la politique, mais aussi une érosion de la frontière entre cette dernière et le religieux ». Il déplore l’absence de « garde-fous théologiques » dans ce mouvement. A l’image d’un « corpus théologique, qui se serait construit à travers des siècles d’affinage et de conciles, procurant ainsi un cadre normatif à des notions de justice, de péché ou de rédemption. Ces idées, libérées de leur cadre et réintroduites dans une religiosité révolutionnaire, risquent l’emballement ». Le Royaume des Cieux ne demeurerait alors plus que l’ambition d’établir en ce monde une société parfaitement égalitaire, « quels qu’en soient les coûts ».

1 Raymond Aron, L’avenir des religions séculières, in Raymond Aron, Une histoire du XXe siècle. Une anthologie, Paris, Plon, 1996.
2 Nathalie Heinich, Des limites de l’analogie religieuse, Archives de sciences sociales des religions, n° 158, 2012, pp. 157-177.
3 Eric Maigret, Du mythe au culte… ou de Charybde en Scylla ? Le problème de l’importation des concepts religieux dans l’étude des publics des médias, in Philippe Le Guern (dir.), Les cultes médiatiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, pp. 97-110.
4 Jean-François Braunstein, La religion woke, Paris, Grasset, 2022.
5 Olivier Moos, The Great Awokening : réveil militant, justice sociale et religion, sur www.religion.info/2020/12/31/great-awokening-reveil-militant-justice-sociale-et-religion

Le militantisme en faveur de la justice sociale était historiquement porté par les communautés religieuses avant d’être recyclé par le giron politique.

Croire – donner son cœur

Par l’abbé Paul Martone
Photo : unsplash

Dans un ancien catéchisme, à la question de savoir ce que signifie « croire », on peut lire : « Croire, c’est tenir fermement pour vrai ce que Dieu nous a révélé et ce que l’Eglise nous apprend à croire. » Cette réponse est loin d’être fausse aujourd’hui encore, seulement, une telle foi est-elle utile et solide ? Je pense que croire est plus que tenir fermement quelque chose pour vrai, même si je n’en suis pas moi-même convaincu à 100 %.

Lorsque je crois quelqu’un, je lui donne mon cœur, car le mot latin « credere » (croire) est dérivé de « cor dare » (donner son cœur). Il en résulte que la foi est d’abord une relation personnelle. Je fais confiance à quelqu’un que j’aime. C’est la foi en un Toi que nous appelons Dieu. La foi n’est donc pas d’abord l’adhésion à des vérités de foi, mais une relation personnelle et confiante avec Dieu. Le pape Benoît a dit à juste titre dans une homélie : « Ce en quoi nous croyons est important, mais celui en qui nous croyons est encore plus important. » Si je crois en Dieu, je peux lui confier toute ma vie. Je peux lui donner mon cœur, car Dieu n’a pas seulement ouvert son propre cœur pour nous depuis longtemps, mais il nous l’a offert. Je peux compter sur lui face à toutes les épreuves, entre ses mains mon cœur est bien gardé. Dieu, je crois et c’est pourquoi je te donne mon cœur.

Credo: tu ne crois pas si bien dire!

« Dis-moi comment tu crois, je te dirai qui est ton Dieu. » Une façon d’inviter la foule de demandeurs de sacrements – appelés catéchumènes – à exprimer leur propre credo tout en décortiquant les deux officiels, celui de Nicée-Constantinople et le Symbole des Apôtres. Et leur relecture ne corrobore pas toujours la doctrine officielle. Mais les comprend-on vraiment bien dans le détail ?

Par Thierry Schelling | Photos : DR

Ils seraient 150 credo parmi les Eglises historiques mais c’est le Grand 1 Credo appelé « de Nicée-Constantinople » dont toutes fêtent, en 2025, les 1700 ans de profession solennelle. Cette pluralité a toujours été de mise dans l’histoire de l’Eglise et les Ecritures nous révèlent des traits étonnants sur les premières professions de foi !

Evangiles

Dans les Evangiles, les premiers à croire en Jésus comme Fils de Dieu sont… les mauvais esprits ! (cf. Mc 1, 24 ; Lc 4, 34) Intéressant. Chez Matthieu, le diable se joue même de cette appellation : « Si tu es Fils de Dieu. » (cf. Mt 4, 3.5) Jésus et Satan à part égale ?

Puis arrivent ce que d’aucuns appellent « les païens » et, parmi eux, les pires ennemis des Juifs de l’époque : les Romains ! « Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu », dit le centurion au pied de la Croix (cf. Mt 27, 54). Un Romain, donc, comme ce centenier au serviteur malade (cf. Mt 8 5ss). Pareil pour les Samaritains qui tiennent une bonne place dans l’art de professer leur foi en Jésus Messie et Fils de Dieu (cf. le splendide dialogue entre Jésus et la Samaritaine, ch. 4 de Jean).

Enfin, pour en rajouter une couche, les nombreux malades guéris par Jésus l’invoquent comme « Seigneur » : lépreux, épileptiques, possédés et… des femmes connotées « pécheresses » (cf. Lc 7, 36ss) ou étrangères (Syro-phénicienne, cf. Mc 7, 24-30).

En résumé, les premiers à professer la divinité du Christ ne sont pas ses disciples ni ses pères (sa famille le traite de fou !) ni ses pairs (Barabbas est préféré au « roi des Juifs »…), mais des parias dont le credo est repris dans les Ecritures !

Paul

Quelques années avant la parution des évangiles, Paul a déjà réfléchi, mûri, réécrit pour ainsi dire son credo juif à l’aune de l’événement Jésus-Christ. Cela nous vaut de splendides pages dans ses Lettres où il décline Jésus en de multiples articles de foi : nouvel Adam ; unique médiateur entre Dieu et les hommes sans égard de leurs origines, langues, cultures ; image du Dieu invisible, etc. Sans parler de la Lettre aux Hébreux qui explicite le passage du Messie juif au Sauveur universel.

Ce foisonnement permet-il aux Evangélistes de transmettre la foi en Jésus Fils de Dieu émise par des gens hors sérail aux générations futures sans un tri ? Comme le dit de lui Albert Schweitzer, « Paul est le protecteur de l’intelligence dans le christianisme ». Et cette intelligence est polymorphe et évolutive. C’est aussi un effet de la Pentecôte, cet éclatement de l’ethnocentrisme vers l’universalité transculturelle de la Bonne Nouvelle. D’où la pluralité des récits de déclamation de la nouvelle foi, peut-être…

Premiers credo

Si les credo abondent, les « hérésies » pullulent également, non sans raison : articuler intellectuellement, et avec les catégories philosophiques de l’époque, l’Incarnation du Dieu invisible en un homme bien visible, peut bien susciter des volumes théologiques à la qualité variable, qui résultent parfois même en des conflits déstabilisateurs d’une ville, d’une région… Et les politiques sont conscients du danger d’insécurité. Dès lors, un empereur, Constantin Ier, convoque le premier concile de l’Eglise, en 325, à Nicée, pour décider d’un dogme commun pour tous les chrétiens d’Occident comme d’Orient ; et c’est un autre empereur, Théodose, qui convoque à Constantinople en 381, le deuxième concile, pour compléter l’affirmation théologique sur l’Incarnation de Dieu en Jésus. L’orthodoxie au service de l’ordre, en quelque sorte. Et de nouveau l’aspect évolutif : on comprend de mieux en mieux, mais lentement…

C’est ainsi que le Credo dit de Nicée-Constantinople, devient l’unique credo fédérateur des Eglises officielles. Il est rappelé dans chaque concile qui suivra. Il servira d’outil d’excommunication des erronés qui s’entêtent à ne pas vouloir changer leurs opinions. Mais il permettra aussi aux catéchumènes de travailler et d’adhérer à une foi aux articles explicites. 

D’ailleurs, l’essor des chrétiens – favorisé par l’édit de Thessalonique (380) qui proclame le christianisme nicéen comme unique religion d’Etat – va diversifier le mode de confesser sa foi en inventant, par exemple, le questions-réponses (« Crois-tu en Dieu le Père… ? ») après le rejet du Menteur, pour le baptême. L’accent est mis sur la démarche personnelle : l’emploi du je va d’ailleurs même remplacer le « Nous croyons… » des origines dans le Grand Credo. 

L’autre credo, le court appelé Symbole des Apôtres et qui serait un produit de Rome du IIe siècle, n’en est pas pour autant ignoré ; il devient – après la séparation Catholiques-Orthodoxes (1054) – l’apanage de l’Occident papal, côte à côte avec Nicée-Constantinople… L’ère œcuménique (débutée fin du XIXe siècle) verra le Grand s’universaliser et être utilisé dans les contrées slaves et latines (portugaise, hispanophone, italienne…) alors que l’usage du Symbole va plutôt dominer dans la Francophonie et les terres germaniques et anglophones – allez savoir pourquoi.

Aggiornamento

Assez surprenant, les scissions ecclésiales – Occident et Orient, Réforme et Contre-Réforme, etc. – n’ont pas amoindri la primauté du Grand. Même si d’aucuns appellent à l’amender ou à le récrire 2. Tout comme le Notre Père a été modifié il y a quelques années, des expressions comme « consubstantiel », « engendré non pas créé », ou l’emploi de mots comme « personnes » ou « substance » pour la Trinité, appartiennent à une époque philosophique révolue aujourd’hui ; de fait, ces mots peuvent même prêter à confusion : trois personnes est-il égal à trois divinités du coup ?

Un exemple récent pour illustrer cela : Paul VI, le 30 juin 1968, prononce son credo du Peuple de Dieu pour clore la solennelle Année de la foi. Il rappelle à l’audience du mercredi 30 octobre de la même année, qu’il ne s’agit pas de modifier le Credo, mais de le récrire pour continuer à le rendre toujours plus accessible – l’esprit du concile Vatican II souffle encore…

En conclusion, un (ou deux) credo(s) officiel(s) a/ont été réalisé(s) grâce à la réflexion de dissidents théologiques et pastoraux. Si jadis on les éliminait, aujourd’hui, on a tout à gagner à les écouter : ces « hérétiques » ont une parcelle de vérité s’ils sont bienveillants dans leur démarche. Et qui possède la vérité pleine ? « Je suis la vérité », a dit le Christ, et pas « J’ai la vérité, la voici lyophilisée ! ». D’ailleurs, l’étymologie du mot « hérésie » est celle de « choix, préférence, inclination ». Oui, la foi est aussi une question d’inclination… Qui plus est, accueillir la part de mécréance en moi ne permet-il pas de… mieux croire ?

1 Dans le sens de « plus long » que le Symbole des Apôtres.
2 Cf. https://www.hoegger.org/article/commemorer-le-concile-de-nicee-le-debut-dun-nouveau-depart/ (consulté le 21 janvier 2025).

Constantin (à droite) a convoqué le concile de Nicée en 325. Théodose (à gauche) convoquera celui de Constantinople en 381.

Symbole des Apôtres

Je crois en Dieu, le Père tout-puissant,
Créateur du ciel et de la terre.
Et en Jésus Christ, son Fils unique, notre Seigneur ; 
qui a été conçu du Saint Esprit, est né de la Vierge Marie, 
a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli, est descendu aux enfers ;
le troisième jour est ressuscité des morts, est monté aux cieux,
est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant, d’où il viendra juger les vivants et les morts.
Je crois en l’Esprit Saint, à la sainte Eglise catholique, à la communion des saints,
à la rémission des péchés, à la résurrection de la chair, à la vie éternelle.
Amen.

Grand Credo : symbole de Nicée-Constantinople

Je crois en un seul Dieu, le Père tout puissant,
créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible,
Je crois en un seul Seigneur, Jésus Christ, le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles :
Il est Dieu, né de Dieu, lumière, née de la lumière, vrai Dieu, né du vrai Dieu
Engendré non pas créé, consubstantiel au Père ;
et par lui tout a été fait.
Pour nous les hommes, et pour notre salut, il descendit du ciel ;
Par l’Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie, et s’est fait homme.
Crucifié pour nous sous Ponce Pilate,
Il souffrit sa passion et fut mis au tombeau.
Il ressuscita le troisième jour, conformément aux Ecritures, et il monta au ciel ;
il est assis à la droite du Père.
Il reviendra dans la gloire, pour juger les vivants et les morts et son règne n’aura pas de fin.
Je crois en l’Esprit Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie ;
il procède du Père et du Fils.
Avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire;
il a parlé par les prophètes.
Je crois en l’Eglise, une, sainte, catholique et apostolique.
Je reconnais un seul baptême pour le pardon des péchés.
J’attends la résurrection des morts, et la vie du monde à venir.
Amen.

«Fais grandir notre foi» (Marc 9, 24)

Par François-Xavier Amherdt | Photo : DR

Les 1700 ans du Credo de Nicée pourraient nous donner l’impression que notre foi est bien assurée. Nous la proclamons tous les samedis-dimanches. Nous sommes ainsi portés par la Tradition de l’Eglise et par la communion des saints. Cela nous fait du bien. C’est l’une des belles raisons de participer à l’eucharistie dominicale.

Car malgré tout, nos convictions demeurent fragiles et soumises aux coups de boutoir de l’indifférence ambiante, de la routine communautaire, des doutes individuels. Nous pouvons dès lors nous appuyer sur le cheminement des apôtres qui, malgré la présence parmi eux du Fils de Dieu, ne manquent pas de continuer de s’indigner lorsque le Christ annonce par trois fois sa Passion.

Et nous sommes invités à nous placer à côté de ces personnages de l’Evangile qui s’approchent du Fils de l’homme, car ils mettent leur confiance en lui et en sa capacité de libérer l’être humain de toutes ses entraves.

Tel ce père qui, depuis la foule, interpelle le Maître et lui présente le cas de son fils (Marc 9, 14-29) : possédé par un esprit muet, celui-ci est jeté à terre, il écume et grince des dents, il devient raide quand le démon le saisit. Les disciples n’ont pas réussi à l’expulser et le Rabbi les rabroue à cause de leur incrédulité.

Lorsque le papa amène l’enfant captif de ce mal depuis l’enfance, il avance avec précaution : « Si tu peux nous venir en aide et nous prendre en pitié. » « Rien n’est impossible à celui qui croit », réplique Jésus. Et alors l’homme prononce cette phrase que nous sommes tous à même de prendre à notre compte : « Je crois, Seigneur, mais viens en aide à ma foi. »

C’est la seule chose que Dieu nous demande : l’humilité et la prière. Devant l’attitude respectueuse et croyante du père, le Fils de Dieu menace l’esprit impur, le fait sortir de l’enfant et relève le petit.

Notre foi chancelante suffit, pourvu qu’elle s’adresse à la Trinité sainte et qu’elle s’accompagne d’une supplication confiante. Elle est capable de ce fait de nous arracher au mal et de nous mettre debout. Chantons-le régulièrement : « Seigneur, nous croyons en toi, fais grandir ma foi. »

Des credo et des conciles

Paul VI, en 1968, a écrit son propre credo. Il n’est pas le seul Pape à avoir procédé de la sorte.

Par Thierry Schelling | Photo : DR

Conciles

Ce n’est pas le Pape ou le patriarche de Constantinople qui ont décidé du Credo chrétien, mais bien les Empereurs Constantin et Théodose, en convoquant les évêques d’alors à Nicée (325) et Constantinople (381). Affaire politique, donc ? Pas uniquement, mais aussi, tant le christianisme d’Etat – dès le IVe siècle – devient stabilisateur de paix dans les Empires d’Occident et d’Orient. Oui mais : pourquoi répéter cette charte voulue par des chefs d’Etat dans nos Eglises et jusqu’à aujourd’hui ?

Rome

Certes, le « Symbole des Apôtres » – le court – précède historiquement celui de Nicée-Constantinople – le Grand – qui ne va s’imposer en liturgie qu’à partir du Ve siècle et par la volonté du Patriarche… d’Antioche, coopté aussitôt par Alexandrie et Constantinople. Mais à Rome, « fa come i Romani », dit le proverbe, et le pape Vigile (535-555) remplace le Grand avec le court. Le « Symbole » se réfugie en Irlande chez les moines et 300 ans plus tard, sous Charlemagne, c’est le « grand » qui prédomine à nouveau sur le continent.

Benoît VIII

Comme on n’apprécie guère la disparité en liturgie occidentale, Teofilato de Tuscolo alias Benoît VIII, décrète que tous les diocèses d’Europe de l’ouest adoptent le Grand Credo, et chanté de surcroît, à la messe – avec le Filioque. Enfin à l’unisson, Orient et Occident professent la même foi – à quelques mots près.

D’un arbre à deux branches…

… à la forêt ! Avec la Réforme, la forme du Credo s’est ramifiée en plusieurs « Confessions » : d’Augsbourg, les 67 articles de Zwingli, les dix Thèses de Bâle, la Première Confession de Bâle, etc.

Et même Rome s’y est mise : Paul VI, en 1968, écrit son credo ; Jean-Paul II et Benoît XVI expliquèrent au cours des Catéchèses du mercredi le Credo en de multiples « capsules » théologiques pratiques car concises ; jusqu’au credo du pape François paru en 2020. Un magistère en développement, en somme…


Ancrés dans l’espérance

Chaque mois, L’Essentiel propose à un ou une représentant(e) d’un diocèse suisse de s’exprimer sur un sujet de son choix. Romuald Babey, représentant de l’évêque à Neuchâtel, est l’auteur de cette carte blanche.

Par Romuald Babey, représentant de l’évêque à Neuchâtel
Photos : cath.ch, unsplash

Dernièrement, je suis allé voir la pièce de théâtre La visite de la vieille dame de Friedrich Dürrenmatt, au théâtre populaire romand à La Chaux-de-Fonds. Vous avez peut-être lu cette pièce en allemand Der Besuch der alten Dame quand vous étiez au lycée ou vous ne la connaissez pas. La pièce se déroule au XXe siècle à Güllen, ville fictive en Suisse. Une vielle dame revient dans sa ville des années après l’avoir quittée. J’ai été frappé par l’absence de pardon de part et d’autre dans la pièce. La vengeance calculée occupe une place importante. On peut bien sûr comprendre la volonté de la vieille dame d’obtenir justice après avoir été abandonnée, enceinte, par son amant. Fallait-il néanmoins exiger des habitants de Güllen la mort d’un des leurs en contrepartie des millions et des millions de francs que la commune allait recevoir ?

Il n’y a pas d’espoir et encore moins d’espérance dont nous avons tant besoin.

« L’espérance, c’est quelqu’un qui t’attend », selon une définition du pape Benoît XVI.

En cette année du Jubilé, avec le slogan Pèlerins d’espérance, nous pouvons nous ancrer sur le Christ, notre espérance. Quand Jésus nous demande : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-Je ? » Et si nous pouvons répondre comme Pierre : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » (Mt 16, 15-16) alors nous sommes sûrs que Jésus peut être notre ancre dans toutes les situations de notre vie. S’ancrer en Christ donne du sens à notre vie et nous pourrons reconnaître que Jésus est la résurrection et la vie lorsqu’il nous pose la question comme à Marthe : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; […]. Crois-tu cela ? » (Jn 11, 25-26)

« Nous devons garder allumée la flamme de l’espérance qui nous a été donnée et tout faire pour que chacun retrouve la force et la certitude de regarder l’avenir avec un esprit ouvert, un cœur confiant et une intelligence clairvoyante. » 1

1 Lettre du pape François à Mgr Rino Fisichella (président du Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation) pour le Jubilé 2025, Rome, Saint Jean-de-Latran, 11 février 2022.

De belles célébrations pour la semaine de l’unité

Cette année marque le 1700e anniversaire du premier concile œcuménique chrétien, qui se tint à Nicée, près de Constantinople, en 325 après Jésus Christ. Cette commémoration nous offre
une occasion unique de réfléchir à la foi commune des chrétiens et de la célébrer, telle qu’elle est exprimée dans le Credo formulé lors de ce concile.

This post is only available to members.
S'abonner

Jeux, jeunes et humour – avril 2025

Par Marie-Claude Follonier

Mot de la Bible

Recevoir la bénédiction de quelqu’un pour quelque chose
Recevoir un acquiescement, une approbation

La bénédiction est la grâce, la faveur accordée par Dieu à l’humanité. Elle est gratuite et imméritée, fruit de sa générosité et signe de son amour. Si aujourd’hui, l’humanité est capable de bénir, c’est d’abord parce qu’elle est elle-même bénie d’être capable de reconnaître l’œuvre de Dieu ! En son sens déployé, « recevoir la bénédiction de quelqu’un pour quelque chose » signifie que l’on a reçu un assentiment, une autorisation. 

Je t’ai béni ! Cette expression peut avoir deux significations. Au sens premier elle veut dire que l’on donne son accord à quelqu’un. Au sens second, elle peut vouloir dire sa désapprobation, voire la malédiction légère que l’on appelle sur quelqu’un…

Par Véronique Benz

Humour

Toto arrive en classe et interroge l’institutrice : « Maîtresse, maîtresse est-ce que je peux être puni pour quelque chose que je n’ai pas fait ? » 

La maîtresse lui répond : « Mais bien sûr que non ! On ne va pas te punir pour quelque chose que tu n’as pas fait, voyons ! » 

Toto est soulagé : « Ouf, j’ai eu peur, parce que je n’ai vraiment pas fait mes devoirs ! »

Par Calixte Dubosson

La résilience spirituelle au garde à vous

En juin 2024, la Fribourgeoise Nida Errahmen Ajmi a concrétisé un rêve en accédant à la fonction de capitaine-aumônier. Elle devient ainsi la première femme de confession musulmane à occuper cette fonction dans l’armée suisse.

Par Myriam Bettens | Photos :Jean-Claude Gadmer

Aujourd’hui, vous êtes capitaine-aumônier, qu’est-ce qui vous a donné envie de rejoindre les rangs de l’armée, puis de l’aumônerie ?
Cela s’est fait en deux temps. J’ai d’abord rejoint l’armée en tant que soldat du train. Beaucoup de recrues éprouvent des tensions dues au travail d’adaptation qu’il faut fournir en début de service. Je les ai aussi ressenties, mais ne savais pas vers qui me tourner. Ma lieutenant a su me conseiller, puis j’ai découvert qu’il existait une aumônerie. En 2019, j’ai réalisé que je serais certainement plus utile dans les rangs de l’aumônerie, de par ma sensibilité au spirituel, le fait d’être Romande et femme. Malgré cela, j’ai dû attendre de pouvoir me former théologiquement, mais aussi une évolution structurelle de l’armée. La postulation n’était ouverte alors qu’aux aspirants des deux Eglises officielles. En plus, le seul insigne existant était la croix.

Le règlement de l’armée stipule que la liberté de foi et de conscience est garantie, mais que son exercice ne doit pas interférer avec le reste. Qu’est-ce que cela implique concrètement ?
L’armée est une institution qui forme à la défense. Nous sommes en temps de paix, mais la crise peut arriver à tout moment, comme cela a été le cas avec le Covid. Pour cette raison, la mission doit primer sur tout le reste. En pratique, une recrue pour qui la participation à la messe est importante ne souhaitera peut-être pas être de garde le dimanche. Quant aux militaires musulmans, les questions peuvent porter sur la manière d’accomplir les cinq prières quotidiennes ou le Ramadan. Nous cherchons avec eux comment exercer leur foi sans entraver la bonne marche du service. Par ailleurs, lorsque certaines pratiques sont rigides au point de la mettre en péril, nous devons aussi questionner la « compatibilité » de la recrue avec le service militaire. C’est rare, mais cela arrive.

Le Conseil fédéral souhaite introduire une journée d’information obligatoire pour les femmes à l’armée. La démarche vise à faire progresser « l’égalité des chances »…
J’ai une certaine réserve par rapport à ce discours-là. La démarche est louable, mais ce n’est pas, à mon sens, par l’armée que l’égalité va progresser dans le monde civil. Pour cela, la Confédération devrait investir d’autres domaines, tels que la maternité et le marché de l’emploi. Le manque crée le besoin et, ce n’est pas un secret, l’armée est en recherche d’effectifs. Maintenant, ce n’est pas une mauvaise chose, car cela signifie qu’il faut faire de la place pour les femmes et leur fournir des services appropriés. Ensuite, le savoir-faire acquis à l’armée peut souvent s’exporter dans le civil.

Une étude publiée en octobre 2024 par la Confédération montre que les femmes souffrent encore de discrimination à l’armée. Comment changer cette « culture d’entreprise » ?
Rien d’étonnant dans ce rapport. L’institution militaire et ses structures sont formées de personnes qui viennent du civil en important leurs conceptions. Tant qu’il y aura de la discrimination dans le civil, il y en aura aussi à l’armée. Cependant, elle prône une politique de tolérance zéro à cet égard. Elle est efficace jusqu’à un certain point, car il subsiste malgré tout des tensions invisibles. C’est là que les aumôniers trouvent leur place. Par la foi qui les habite, ils peuvent apporter une certaine lumière et ce quelque chose permet d’apaiser, de déjouer l’invisible… par l’invisible.

Bio express

Nida Errahmen Ajmi a grandi à Fribourg. Suissesse d’origine tunisienne, elle est titulaire d’un Bachelor en sciences de l’information et de la communication de l’Université de Neuchâtel et d’un master en sciences des religions à l’Université de Fribourg. Responsable de la communication pour ATD Quart Monde, elle est aussi coordinatrice de la formation « Pratiquer l’accompagnement spirituel musulman dans les institutions publiques » et collabore avec le Centre Suisse Islam et Société (CSIS) sur un projet concernant la diversité et l’orientation des jeunes musulmans en Suisse.

Nida Errahmen Ajmi a grandi à Fribourg.

Statue de la Vierge à l’Enfant, église Notre-Dame de la Prévôté, Moutier, Jura

Il se dégage de la statue une forme de douceur et de simplicité.

Par Amandine Beffa | Photo : Jean-Claude Gadmer

L’église Notre-Dame de la Prévôté a été construite entre 1963 et 1967. C’est l’architecte bâlois Herman Baur qui est chargé de sa réalisation. Il a figuré parmi les sociétaires du Groupe Saint-Luc. Il n’est donc pas étonnant qu’il pense l’édifice comme une œuvre d’art totale. Le bâtiment n’est pas uniquement fonctionnel, mais sa construction a une portée symbolique. Elle indique la direction du ciel, invitant à s’élever, à dépasser le visible.

Sous la tribune d’orgue se trouve une statue de la Vierge Marie. Elle a été réalisée par le sculpteur tessinois Pierino Selmoni. Ce n’est pas la première collaboration de l’artiste avec Herman Baur. 

Contrairement à ce qui était parfois pratiqué au dix-neuvième siècle, la sculpture n’a pas été choisie sur catalogue. Elle a été pensée en lien avec l’architecture du lieu. Selmoni est sensible au dialogue entre matière et lumière. Le contraste des formes avec le reste de l’édifice n’est pas un hasard. Marie est tout en rondeur sous la tribune aux lignes si prononcées. La couleur chaude de la pierre ressort face au gris du béton. Il se dégage de la statue une forme de douceur et de simplicité. Des caractéristiques que nous attribuons généralement à la Mère de Dieu. Si l’œuvre est figurative, on décèle des influences cubistes. Le courant est marqué par des inspirations venues du continent africain. On peut penser à certaines sculptures de femmes. La maternité est un des thèmes de prédilection du sculpteur. 

Contrairement aux représentations auxquelles nous pouvons être habitués, l’Enfant n’est pas présenté face au visiteur. Il semble installé sur les genoux de sa mère, la tête relevée vers son visage. Nous ne sommes ni dans l’abstraction, ni dans le réel. L’espace des bras et du cœur est large, comme s’il y avait de la place pour plus d’un enfant. Comme s’il y avait de la place pour chacun de nous.


Wordpress Social Share Plugin powered by Ultimatelysocial
LinkedIn
Share
WhatsApp