Et aujourd’hui, où es-tu?

Et aujourd’hui, où es-tu?
Tiré du magazine paroissial L’Essentiel, paroisse catholique de langue française de Berne, septembre 2020

Par Isabelle Perrenoud | Photo: RP

Désertées, les rues se terrent, les avenues se taisent : le monde s’est mis entre parenthèses. Sans tergiverser. Dans l’urgence et par obligation. Dans le désarroi et la consternation.

Basilique de la Trinité, Berne

Mal à l’aise, confiné, à l’étroit, il se replie, retient son souffle. Il étouffe. Pourtant, il se soumet. Du mieux qu’il peut. Il se protège. Son avenir est en jeu. La peur de la mort l’oppresse, effrayante ; et puis celle du manque, plus lancinante. 

Alors qu’il se nourrissait de bruit et s’abreuvait de tumulte, le voilà condamné au silence ; alors qu’il s’adonnait à la consommation à outrance, il se voit contraint à l’abstinence. Du jour au lendemain, il n’a plus rien à se mettre sous la dent. Plus possible d’assouvir son besoin de croissance. Ses envies traînent la patte, ses désirs font la manche, ses rêves d’expansion se heurtent à des barrières sans repères. Quelle galère ! Pas même de quoi tromper l’angoisse du vide qui, grandissante, l’étreint. Ne lui reste, pour seule distraction, que le râle de sa propre respiration : un son rauque, une longue plainte, un gémissement. Funestes parenthèses. Rien ne va plus ! Où est l’issue ? 

Le monde tremble, pâlit, serre d’un cran sa ceinture. Il a faim d’activités et de mouvement ; il a soif d’antan. Il regarde ses projets qui, brisés, gisent à terre. Plus que des miettes. Et des pertes. Abasourdi, le ventre creux, sevré de profits, il s’ennuie, dépérit. Deux mois suffisent pour mettre en lambeaux son économie. Pauvre de lui ! Il végète. Et parce que l’ennemi le guette, à peine ose-t-il encore un œil par la fenêtre. Ruines et désolation ! Il tire les rideaux : le spectacle est terminé. 

Où étais-tu, à ce moment-là ? Où étais-tu quand le dimanche ne t’invitait plus à communier au pied de l’autel ? Où étais-tu quand l’ambon, planté sans voix au milieu d’un chœur désert, attendait en vain l’arrivée des fidèles ? Où étais-tu quand tes pas solitaires ne pouvaient plus rejoindre l’élan communautaire ? Et quand les cloches ne sonnaient que pour éveiller le souvenir douloureux d’un peuple dispersé, où étais-tu ? 

Tu n’avais eu d’autre choix que de te retirer dans ta chambre. Tu avais fermé la porte sur toi et priais ton Père, qui est là, dans le secret. Sans bruit, tu Lui as dit : « Me voici ! » Comme tu étais, Il t’a accueilli. Il t’a vu et te l’a rendu : tout à coup, tu as perçu que là, dans le mystère de ton cœur, tu n’étais nulle part ailleurs que dans la maison de Dieu. Quand tu as ouvert les yeux, quelque chose avait changé. Mais quoi ? Du silence, la réponse est venue : à ce moment-là, tu as su que partout – partout ! – tu n’es jamais que dans la demeure de Dieu. 

Tu as soulevé le rideau, osé un œil par la fenêtre. Tout ruisselait de beauté et de vie. Dans le souci de ne rien profaner, le pas aussi respectueux qu’à l’approche du tabernacle, tu as poussé la porte de ta chambre. Tu as traversé la rue, longé l’avenue. En chaque lieu, en chaque souffle, dedans comme dehors, en ton chez-toi comme sous l’immensité du ciel, tu as compris que tu n’étais jamais que chez Lui. 

Et aujourd’hui, où es-tu ?

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