Dieu ne joue pas aux dés

Dieu ne joue pas aux dés

Souvent présentées comme inconciliables, la science et la foi ont pour tâche commune d’éclairer notre compréhension du monde. Plutôt que de l’expliquer définitivement, l’une et l’autre s’attellent à guider l’Homme à mesure qu’il explore ses limites.

PAR MYRIAM BETTENS | PHOTOS : FLICKR, PIXABAY, PXHERE, DR

« Pour être scientifique et croyant, il faut faire du bricolage ! » lance Jean-François Bert lorsqu’on l’interroge sur la possibilité d’un mariage heureux entre science et foi. Chargé de cours à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), il propose à ses étudiants d’examiner minutieusement les rapports, souvent conflictuels, entre la recherche scientifique et la religion. Mais de fait, il demeure fermement convaincu qu’il n’est pas de bon augure de chercher à allier l’une et l’autre. Cette position, dite concordiste, lui paraît même dangereuse. « Cette tentative de concordisme élimine la frontière entre science et religion et pour un lecteur non averti, on ne sait plus très bien de quelle vérité on parle », car pour le sociologue « ce débat demeure fondamentalement centré sur la question de la vérité. Finalement, qui possède la légitimité et le pouvoir d’énoncer une vérité sur le monde ou le vivant ? ». Il est donc plus que nécessaire de trouver comment « répartir les modes de questionnement sur le monde ». Dont l’une des plus célèbres répartitions propose : à la religion le champ du « pourquoi » et à la science celui du « comment ».

Avoir réponse à tout

Roland Benz articule sa réflexion de la même manière, « la vérité scientifique et la vérité théologique existent bel et bien. Par contre, elles ne sont pas sur le même registre de langage. Chacun de ces deux domaines d’étude doit garder son rapport spécifique à la vérité ». Le pasteur retraité de l’Eglise protestante de Genève et lui-même ancien professeur de physique au collège (gymnase) ne cache pas son ironie face aux thèses créationnistes. « Elles font des récits de la Genèse des textes scientifiques. Comme si on pouvait décrire la complexité du monde en une seule page ! Ces textes ne donnent aucune information scientifique. Leur fonction est de nous inviter à recevoir le monde comme don d’un Autre, un monde ordonné et dédivinisé. » Par ailleurs, Lydia Jaeger, directrice des études à l’Institut biblique de Nogent, affirme que du côté scientifique il est essentiel « de reconnaître les limites de la science ainsi qu’une méthodologie différente d’avec la théologie ». La physicienne et théologienne soutient qu’« une grande partie du conflit émerge lorsqu’on attend de la science une réponse à tout ».

Une vérité vers laquelle tendre

Astrophysicien retraité, Pierre North va même encore plus loin. Il allègue que la science, pour elle-même, peut devenir une religion. Ses ardents défenseurs lui attribuent « une valeur métaphysique ». Mais « pour dire les choses franchement, la controverse n’a pas d’objet. La société en a fait un sujet de débat pour des raisons idéologiques ». Il est trop dérangeant pour certains d’accepter une possible cohabitation entre la rationalité de la science et l’apparente irrationalité de la foi. D’ailleurs, Pierre North s’insurge : « Dans n’importe quel métier, lorsqu’on se dit croyant, on tâche de pratiquer avec conscience et éthique, mais on ne demande pas à un vendeur de voitures si sa profession est compatible avec sa foi ! » Raphael Märki note tout de même que la science postule l’hypothèse d’un absolu et donc d’une vérité vers laquelle tendre. Ce physicien des hautes énergies nuance néanmoins : « Nous ne connaîtrons jamais complètement cette vérité. » Georges Meynet abonde dans le même sens. L’astrophysicien à l’Observatoire de Sauverny reprend l’analogie attribuée à Albert Einstein à son compte. Celle-ci définit « l’accumulation des connaissances comme une surface circulaire qui s’étend avec le temps et dont le rayon représente l’interface entre le connu et l’inconnu. Cela signifie que lorsque la connaissance s’agrandit, l’interface avec l’inconnu augmente d’autant ». Il faut donc rester humble et « accepter une limite qu’on ne pourra pas dépasser, tout en laissant place à l’inconnu et au mystère ».

Et dans les faits ?

Les scientifiques voient-ils un conflit entre la science et la foi ? Quels facteurs culturels façonnent les attitudes des scientifiques à l’égard de la religion ? Les scientifiques peuvent-ils contribuer à nous montrer une façon d’établir une collaboration entre les communautés scientifiques et religieuses, si tant est que de telles collaborations soient possibles ?

Pour répondre à ces questions, les auteurs de Secularity and Science : What Scientists Around the World Really Think About Religion (2019) ont réalisé une étude internationale d’envergure sur les attitudes des scientifiques à l’égard de la religion, en interrogeant plus de 20’000 scientifiques et en menant des entretiens approfondis avec plus de 600 d’entre eux. A partir des données récoltées, les auteurs essaient d’esquisser la relation qu’entretiennent des scientifiques du monde entier avec la foi. Le livre s’articule sur quatre axes de réflexion : les scientifiques religieux sont plus nombreux qu’on ne le pense ; la religion et la science se chevauchent dans le travail scientifique ; les scientifiques – même athées – voient de la spiritualité dans la science ; et enfin, l’idée que la religion et la science doivent s’opposer est principalement une invention de l’Occident.

Des lieux pour réfléchir et dialoguer

Plusieurs groupes de scientifiques chrétiens existent en francophonie. Sous l’impulsion des Groupes bibliques universitaires (GBU) un Réseau des scientifiques évangéliques a été lancé pour offrir aux chrétiens à profil scientifique un lieu de réflexion. Ce rassemblement profes­sionnel et étudiant poursuit notamment l’objectif de rendre disponible au public une réflexion rigoureuse sur les interactions possibles entre science et foi. Pour ce faire, le réseau organise, au moins une fois par an, un colloque réunissant scientifiques et théologiens pour débattre d’une question spécifique. Depuis une dizaine d’années, une branche romande de ce même réseau s’est aussi développée. Elle a été créée par le professeur émérite
de l’UNIL, Peter Clarke, un neuroscientifique reconnu, décédé des suites d’un cancer en 2015. L’autre réseau francophone a été fondé en 2001 pour susciter la réflexion entre scientifiques, philosophes et théologiens. Les membres du groupe Blaise Pascal (Sciences, Cultures et Foi) sont actifs dans l’enseignement et la recherche des domaines scientifiques, philosophiques ou théologiques en francophonie (Universités, Grandes Ecoles, CNRS, INSERM).