L’araignée de Noël

Tiré du magazine paroissial L’Essentiel, secteur Vallée d’Illiez (VS), décembre 2020

Conte de Alix Noble Burnand / rapporté par Francine Premand

Il faut reconnaître que son restaurant était connu loin à la ronde, et qu’on venait y manger de partout. Il réussissait particulièrement bien les poulets farcis aux dattes et aux olives, sur lit de poireaux et relevés d’une petite sauce au vin doux. Il servait ça avec un vin du pays, râpeux à souhait. Donc, c’était une bonne affaire en temps normal. Mais ces jours, c’était la panique ! Il devait être au four et au moulin, on ne trouvait plus un poulet dans toute la région et son restaurant ne désemplissait pas. Si au moins il avait pu compter sur quelqu’un de sérieux pour l’aider. Mais vraiment, les esclaves n’étaient plus ce qu’ils avaient été… ! Il fallait tout le temps être derrière eux, les surveiller pour que tout soit fait correctement… La clientèle a droit à des égards… surtout celle qui paie bien. 

Il avait ce soir-là tout le gratin de la garnison qui avait réservé une table. Dix-sept personnes. 

Il avait décidé d’installer leur table dans une petite salle à l’écart… comme ça, ils ne dé-
rangeraient personne, et per­sonne ne serait choqué qu’il les reçoive chez lui. Pour gagner du temps, il avait préparé la table le soir d’avant. Il allait y aller, pour vérifier que tout était en ordre, quand un client ventripotent et furieux déboula en bas des escaliers en clamant que c’était une honte, qu’il n’avait jamais vu ça dans un hôtel de cette catégorie.

Il courut dans la chambre du client furieux et découvrit, en effet, qu’une magnifique araignée bien velue avait élu domicile sur l’oreiller et commençait à lancer ses fils pour tisser sa toile. Le restaurateur, furieux, se mit à chasser l’animal à coups de torchon vengeur, dans toute la pièce. L’araignée fila le plus vite possible et disparut par une fente du parquet.

La fente s’ouvrait, un étage plus bas sur le plafond d’une petite salle. Juste sous l’araignée, s’étalait une table, nappée, fleurie, décorée, avec des couverts en argent, des gobelets en étain et des serviettes qui s’ouvraient en corolle…

Est-ce qu’une araignée est capable de sentiments en général et de sentiments de vengeance en particulier ? Je ne le sais. En tout cas, quand, un peu plus tard, le patron du restaurant fit entrer dans la petite salle réservée tous les gradés que comptait la garnison, il faillit avoir une attaque…Tous les gobelets, les services, les serviettes, les assiettes étaient recouverts d’une fine lingerie subtile, d’une toile légère et vaporeuse, comme si des siècles avaient passé en une heure…, et l’araignée, au beau milieu de la toile, semblait braver le patron. Au premier hurlement de rage, elle fila, fila, remonta le long du fil qui lui avait servi à descendre, s’enfila le long d’un parquet, puis déboucha par une fente, à l’extérieur. Elle se laissa glisser sur le sol, traversa la rue de sa démarche ronde et directe, manqua de justesse de se faire écraser par la sandale d’un homme, puis par le sabot de son âne, remonta le mur de l’autre côté de la rue, grimpa le long d’un figuier aux longues branches basses et se laissa glisser à travers les branches et la paille d’un vieux toit de cabane.

Elle observa tout, chercha le meilleur endroit et s’installa avec le soin maniaque de toute araignée digne de ce nom. Puis au fil de la nuit qui suivit, elle déposa sur la barbe sévère de l’homme qui ne dormait pas, un fil blanc comme un cheveu et tendre comme l’âge. Sur la tête de la femme, toute tranquille maintenant, elle cisela un diadème de perles soyeuses et nacrées, digne de la mère d’un roi sans royaume. Sur le corps de l’enfant, elle tissa une couverture aérienne et douce, plus fine que la soie. Puis elle fila jusque vers la petite fenêtre où elle fila, d’un fil tout spécial, une étoile à six branches, pareille à celle qui se dessinait dans le ciel…

Mais son étoile à elle, miracle de la nuit de Noël, était d’un beau fil doré !!!