Le Notre Père, ses traductions

Le Notre Père, ses traductions
Tiré du magazine paroissial L’Essentiel, UP La Seymaz et UP Champel / Eaux-Vives, Saint-Paul / Saint-Dominique (GE), mars 2021

Dans le cycle de cours publics de la faculté de théologie de l’Unige, Anne-Catherine Baudoin, maître d’enseignement et de recherche en Nouveau Testament et christianisme ancien, a proposé une lecture du Notre Père sous trois angles : la transmission, la traduction et la transposition. Voici un bref aperçu de sa vision des traductions de cette prière.

PAR PASCAL GONDRAND | PHOTOS : WIKIMEDIA COMMONS

Tiré du magazine paroissial L’Essentiel, UP La Seymaz et UP Champel / Eaux-Vives, Saint-Paul / Saint-Dominique (GE), mars 2021

 

Le Notre Père est connu dans le christianisme indépendamment de sa position dans le Nouveau Testament, a rappelé Anne-Catherine Baudoin. Cette prière appartient tant à la culture orale qu’à la culture écrite, à la culture liturgique et spirituelle autant qu’à la Bible. La professeure a posé l’hypothèse que ce statut particulier la place dans une situation stratégique et facilite sa pénétration dans des domaines très divers. Un de ces domaines est sa traduction.

Au XVIe siècle, le premier savant à avoir recueilli des traductions de cette prière dans le but d’étudier et de présenter chacune d’entre elles est le Zurichois Conrad Gessner (1516-1565), un savant contemporain de Zwingli, qui a publié en 1555 un traité sur les différences entre les langues intitulé Mithridate. Sur les différences entre les langues.

Conrad Gessner a rappelé dans son introduction que Mithridate, celui que nous connaissons par la mithridatisation, roi de 22 peuples, était, selon Pline l’Ancien, capable d’haranguer chacun d’entre eux dans sa langue respective. On notera que dans la Zurich de la Réforme le multilinguisme était une arme pour diffuser le christianisme. D’ailleurs, dans son introduction, Conrad Gessner précisait que « Dans notre cité, toute limitée qu’elle soit, c’est en latin, en grec, en hébreu, en allemand, en italien, en français, en anglais et dans certaines autres langues qu’on lit, à la gloire de Dieu, les Saintes Ecritures, qu’on en acquiert la connaissance, qu’on les célèbre. » Comme on le voit dans le titre de son ouvrage, Differentis Linguarum, il met l’accent sur les différences entre les langues alors que d’autres humanistes, à la même époque, se lancent dans des études pour trouver une langue originelle, la langue d’avant Babel. Conrad Gessner présente dans son recueil 110 langues, par ordre alphabétique, en donnant pour 27 d’entre elles, celles dans lesquelles le christianisme s’est implanté, le Notre Père, à savoir son texte, ou sa transcription. Il pose ainsi les fondements de la linguistique comparée, sans faire lui-même œuvre de linguiste mais plutôt d’encyclopédiste. Cette pratique de la présentation des langues du Notre Père, accompagnée de ses traductions, a fait école et s’est étendue au XVIIe et au XVIIIe siècles. L’un des recueils qui a eu beaucoup d’influence est celui d’Andreas Müller (1630-1694), orientaliste berlinois spécialiste de la langue chinoise, qui a publié en 1680, sous un pseudonyme, un recueil de 83 versions du Notre Père, Oratio Orationum s s. Orationis Dominicae Versiones. Il n’a pas classé ces versions par ordre alphabétique comme l’avait fait Gessner mais par zones géographiques : langues asiatiques, langues africaines, langues européennes, etc. L’ouvrage fut notamment réédité en 1715 et cette dernière édition, due à John Chamberlayne (c. 1668-1723) est la plus étoffée – plus de 140 langues. Cet ouvrage conserve la présentation par régions, qui va permettre à Gottfried Hensel (1687-1765), dans sa Synopsis Universae Philologiae publiée en 1741, de proposer quatre superbes cartes qui ont été reproduites par la suite de manière indépendante.

Anne-Catherine Baudoin a rappelé que le Carmel du Pater, à Jérusalem, construit au XIXe siècle sur les ruines de la basilique constantinienne dite de l’Eleona, en raison de sa situation sur le Mont des Oliviers, est orné de plaques de céramique polychrome sur lesquelles figurent différentes traductions du Notre Père, plaques qui se sont multipliées au fil du temps dans un grand esprit de Pentecôte. Ce lieu est associé dans la tradition, en particulier à partir des croisades, à l’enseignement de Jésus. Au début du XXe siècle, sur le Monument de la Réformation, à Genève, on a fait la même chose. Autour des grands réformateurs, le Notre Père a été gravé dans la pierre en français et en anglais, puis plus tardivement en allemand. Avec le Carmel du Pater et le Mur des Réformateurs, Anne-Catherine Baudoin a alors fait un bond dans
le temps et a rejoint l’époque contemporaine.

En conclusion elle a lu le Notre Père dans quelques langues qui nous sont familières :

« Notre Père qui êtes au cieux… Restez-y » (Jacques Prévert, 1900-1977),

« Hallowed be thy Name »,

« Dein Reich komme »,

« Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel »,

« Dacci oggi il nostro pane quotidiano »,

« Forgive us our trespasses as we forgive our debtors »,

« Und führe uns nicht in Versuchung » (la fameuse tentation),

« But deliver us from evil »,

« Dein ist das Reich »,

« The power is Yours »,

« Et la gloire »,

« Forever and ever »,

« Amen ».

Ainsi peut-on réciter le Notre Père, à condition bien sûr d’être multilingue !