L’espérance chrétienne au Moyen Orient

Tiré du magazine paroissial L’Essentiel, secteur Aigle (VD), janvier 2021

Texte et photos par Mgr Raphaël Traboulsi (Beyrouth, Liban)

Jésus est oriental
Jésus est oriental ! Il a vécu en Orient au sein d’une famille et parmi ses disciples ! Sur la terre bénite de l’Orient, sont nées les premières communautés chrétiennes et se sont réunis les Conciles de l’Eglise naissante 1. 

Chaldéens, Arméniens, Grecs, Maronites, Coptes, Syriaques, Assyriens… ils sont quelques millions à former une communauté dynamique, assoiffée de paix, de justice, de stabilité et de respect.

L’Eglise chaldéenne à laquelle j’appartiens, évangélisée par l’Apôtre saint Thomas et dont saints Addaï et Mari furent au service toute leur vie, était la plus nombreuse de tout le christianisme au Xe siècle, avec plus de 250 diocèses, dont quelques-uns au cœur même de la Chine 2.

L’Eglise d’Abraham

L’Eglise chaldéenne, héritière des grandes civilisations de Sumer, de Chaldée, de l’Assyrie et de Babylone, porte avec fierté la houlette du Patriarche Abraham d’Ur, père du monothéisme, et s’inscrit dans la lignée des descendants de celui qui fut l’auteur du premier texte législatif de Hammurabi. Mon Eglise est la seule à prendre racine hors de l’empire romain. Elle se retrouve sur les pages brillantes de la Sainte Bible, car de nombreux passages de l’Ecriture sacrée, tels les livres de la Genèse, d’Esther et de Tobie, ont été rédigés en Mésopotamie, qui comprenait alors l’Iran actuel.

Les conflits israélo-arabes, la guerre libanaise, celle du Golf, la guerre « contre le terrorisme », mise au point par Bush 3 et la guerre en Syrie, ont fait des chrétiens orientaux de vrais otages. Les chrétiens ont souvent servi de boucs émissaires et ont souffert de façon terrifiante.

Par ailleurs, certains villages détruits ont pu être reconstitués, surtout à Mossoul et dans quelques régions de la Syrie, mais avec la succession d’évènements malheureux, voire dramatiques, en particulier au Liban et à Bagdad ; beaucoup de chrétiens sont tiraillés entre la volonté de rester en Orient, tant est grand leur attachement à cette terre de la Révélation et du Salut, et celle de trouver un asile rassurant à l’étranger – notamment en Europe, au Canada et en Australie 4.

Pionniers du réveil chrétien

Les Chrétiens d’Orient, témoins de la Mort et de la Résurrection du Christ, disciples de l’Apôtre Thomas qui découvrit dans les Saintes Plaies le rayonnement de la vie terrassant les ténèbres, sont les pionniers du réveil chrétien dans le monde. Leur rôle nous le savons, fut considérable dans la vie intellectuelle de l’Europe 5 alors plongée dans la nuit obscure de l’ignorance scientifique. De nos jours, ils restaurent le Christianisme énormément détérioré en Europe et au Canada, en retransformant les édifices religieux en des lieux de culte et en répandant la morale chrétienne dans les sociétés déshumanisées.

Les chrétiens orientaux portent la croix, unique moyen du Salut. Pour cela, ils sont coutumiers des persécutions, mais à chaque fois ils se relèvent. Ils restent toujours le « sel de la terre » et la « lumière du monde ». Certes, les blessures des guerres, des massacres, des génocides, des discriminations et des humiliations, ne peuvent être guéries, mais il est évident que près de vingt siècles après Pierre et Paul, si le monde chrétien se réveille quelque part sur la planète, c’est sans doute grâce aux Orientaux qui indiquent le chemin du Salut à l’humanité en désarroi.

Il y a mille et une façons pour les chrétiens orientaux de se manifester, et les marques tangibles de l’espérance se font remarquer graduellement sous l’action de l’Esprit Saint ; il sait mieux que nous redonner à cette terre un sort meilleur, digne de ce qu’elle a apporté à l’humanité entière !

Signe de contradiction pour le monde

Si vous me permettez l’expression, le christianisme oriental est le signe de contradiction qui provoque la division des esprits et leur prise de position. Le message du Christ faisant rayonner à travers ses Plaies la gloire de la Résurrection, atteint avec l’apparition à Thomas (Jn. 20, 24-29) son point culminant.

Au Moyen-Orient actuel, les portes sont fermées. Le soir de la Résurrection, alors que « toutes les portes étant closes » (Jean 20, 19), dans le lieu occupé par les Apôtres, le paradoxe du corps glorifié du Christ devient manifeste : d’une part réalité matérielle, d’autre part immatérialité mystérieuse et triomphe inexplicable de la vie et de l’espérance… que n’affectent ni la vérité matérielle des circonstances douloureuses, ni les lois de la logique humaine, ni la consistance de la matière tangible.

Nous savons bien que l’épisode de l’apparition à Thomas rédigée dans la dernière dizaine d’années du premier siècle chrétien, renferme un témoignage fort touchant : le mystère de la présence agissante du Christ dans son Eglise, alors que toutes les portes sont closes – … Voir et toucher l’humanité réelle de Jésus, son humanité crucifiée mais ressuscitée – telle est l’admirable audace des chrétiens d’Orient.

Dans la mesure où nous touchons l’humanité crucifiée en Orient, l’espérance chrétienne se révèle à nous comme la vérité et le chemin à suivre. Les chrétiens d’Orient ne cessent de mettre la main dans le côté sanglant du Seigneur, souffrant et glorifié.

L’Orient martyrisé a « touché cette plaie par laquelle l’immense blessure du genre humain est guérie » – comme le chante si bien l’office du dimanche de Thomas dans la liturgie byzantine.

Cachés dans le cœur transpercé du Christ

Pour cela, comme je l’avais dit auparavant, l’Orient martyrisé est ainsi capable de rechristianiser le monde, puisque ses fidèles sont désormais cachés dans le cœur transpercé du Christ – émerveillés par le sourire serein du Seigneur crucifié tel que l’iconographie orientale le représente, en écartant le caractère trop tragique de sa mort – pour souligner davantage son rôle salvifique, sa dimension pascale, ce « dépassement » de la mort à la vie, des douleurs à l’enfantement !

Les blessures de notre humanité, nous pouvons les voir partout, immédiatement ou médiatiquement, et en être émus ou désespérés, mais un regard différent nous est offert dans l’expérience chrétienne au Moyen-Orient 6 : la force de l’espérance qui, au-delà des expériences concrètes, atteint le cœur du mystère de Pâques.

Un noyau dur de témoins

Si le Christ a proclamé son message de joie et d’espérance sur notre terre, il avait pris soin de former un noyau dur de témoins qui devaient transmettre sa doctrine exactement et intégralement en mettant en pratique ses divins préceptes salvifiques 7. Les chrétiens d’Orient, ces authentiques témoins oculaires (Lc 1, 2), serviteurs de la Parole et annonciateurs de l’Espérance, ont traversé les siècles et les continents ! 

Aux yeux de quelques lecteurs, ces propos paraîtront d’une audace excessive – tandis que la plupart de ceux qui connaissent l’histoire de l’Eglise et guettent d’un œil vif les successions des faits menés par la Providence, pourront puiser dans cet article sa ligne de conduite, à la fois libératrice et réconfortante !

Au cœur de Beyrouth

Au cœur du diocèse chaldéen de Beyrouth, auprès de 2500 familles iraquiennes réfugiées, profitant des services d’un centre médico-social dédié à Saint-Michel, d’un centre social N. Dame de la Divine Miséricorde et d’une école gratuite Saint-Thomas, cette vérité se manifeste explicitement. Sous le patronage de S.E. Mgr. Michel Kassarji, Evêque Chaldéen de Beyrouth, un contact quotidien avec le corps crucifié et glorifié du Christ prend lieu dans une atmosphère « sacrée », « pascale » qui ne réfute pas, si j’ose dire, le caractère « eucharistique » de la rencontre et qui témoigne de la joie du Troisième Jour !

En offrant à ces membres du Corps mystique du Sauveur les soins du Bon Samaritain et ceux de Nicomède et de Joseph d’Arimathie affrontant de nouveaux « Pilates » et d’innombrables membres d’un « Sanhédrin » perfide et plutôt démoniaque, nous ressentons la joie des femmes myrophores, qui n’avaient rien dit à personne (Marc 16, 8) parce qu’elles avaient compris l’incompréhensible !

Liban, éternel phénix

Entre l’espoir et l’espérance au Moyen-Orient, il y a le Liban !

Le Liban vient de célébrer le 1er septembre 2020, les cent ans de la création du « Grand Liban », bien qu’il soit rongé non seulement par les peines et les souffrances causées par l’explosion inimaginable du port de Beyrouth, mais également par l’instabilité politique et sa grave crise économique. « Durant ces cent ans, il a été un pays d’espoir » comme l’a bien dit le pape François, le 3 Septembre 2020, à l’occasion de la journée de prière et de jeûne à l’intention du Liban.  

Au Liban est attribuée l’image du phénix, l’oiseau légendaire, doué d’une grande longévité et caractérisé par son pouvoir de renaître après s’être consumé dans les flammes, symbolisant ainsi les cycles de mort et de résurrection. 

C’est un pays qui ne perd jamais l’espoir, qui sait se relever chaque fois qu’il tombe, qui refuse de jeter les armes, qui combat, car il est de « ceux qui ont peu et qui donnent tout. Ceux-ci ont foi dans la vie et dans la générosité de la vie, et leur coffre n’est jamais vide. » selon l’expression de Jibran Khalil Jibran, le grand penseur libanais.

Liban, symbole de foi libératrice

Le Liban, symbole de liberté, carrefour du dialogue interreligieux, modèle de cohabitation, de tolérance et de respect du pluralisme, est aussi un témoin vivant de l’espérance vécue. 

La véritable force de ce petit pays stigmatisé et mutilé, réside dans la foi inébranlable des Libanais, qui reflète celle de tous les chrétiens du Moyen-Orient aujourd’hui : « Une foi qui n’a fait que se renforcer à travers les épreuves de l’Histoire, une foi solide, granitique, pour laquelle beaucoup ont versé leur sang et beaucoup le versent encore, une foi simple et forte, qui ne craint pas de s’affirmer et de se dire, sans éclat et sans violence, une foi qui se transmet de génération en génération avec fierté à travers les prières quotidiennes. »8  

Je voudrais terminer ce texte par les paroles éclairantes de feu P.  Jean Corbon, grand ami du Liban. Puissent ses paroles illuminer les âmes angoissées, confrontées sans cesse au « mystère d’iniquité », afin que rayonne pour tout le monde la lumière de l’Orient Ressuscité !

« En ces années noires où la plupart des visages sont assombris pour des raisons très valables, aimer consisterait à sourire. Ni béatement, ni parce que nous nous sentons bien… ce qui n’est pas de l’amour. 

Mais sourire gratuitement, même si je suis soucieux ou accablé, c’est plus simple et profond que des paroles plus ou moins réconfortantes. 

Soyons transparents à la lumière du Christ qui nous habite et nous pourrons être souriants… »9 

1 Jean-Michel Billioud, Les Chrétiens d’Orient en France, éd. Le Sarment / Fayard, Paris, 1997.
2 Mgr. Michel Kassarji, Le Nomocanon de l’Eglise Chaldéenne selon Elie de Damas (Elia Al Gawhari), édition critique traduction et commentaire, Publications Université La Sagesse, Beyrouth, 2017.
3 Suha Rassam, Christianity in Iraq, New edition, Gracewing, 2010.
4 Jean- Michel Cadiot, Les Chrétiens d’Orient, vitalité, souffrance, avenir, éd. Salvator, Paris, 2010.
5 « … A notre avis, cela nous aide à mieux comprendre l’importance des cadres intellectuels des chrétiens ; leur culture scientifique, leurs aptitudes et expériences administratives, grâce auxquelles ils étaient devenus les initiateurs dans tous les domaines : philosophique, littéraire, canonique… » (cf. Mgr. Michel Kassarji, Le Nomocanon de l’Eglise Chaldéenne selon Elie de Damas (Elia Al Gawhari), édition critique traduction et commentaire, Publications Université La Sagesse, Beyrouth, 2017.)
6 Pape Benoît XVI, Exhortation Apostolique Ecclesia in Medio Oriente, 14 Septembre 2012.
7 Pape Saint Jean Paul II, Exhortation Apostolique Une Espérance Nouvelle pour le Liban, 10 Mai 1997.
8 Mgr. Pascal Gollnisch, Prier avec les Chrétiens d’Orient, site de l’œuvre d’orient
9 P. Jean Corbon, Cela s’appelle l’aurore, éd. des Béatitudes, Burtin, 2004.