L’homme et la nourriture: histoire d’un rapport complexe

L’homme et la nourriture: histoire d’un rapport complexe
Tiré du magazine paroissial L’Essentiel, UP Sainte Marguerite Bays (FR), mars-avril 2020

Texte et photo par Vincent Lathion

Un animal pas comme les autres
Si les animaux pouvaient parler, ils ne manqueraient pas de s’exclamer au sujet de l’homme : « En voici un, qui ne fait rien comme les autres ! » En effet, pour la nourriture comme en d’autres domaines de la vie, l’homme est un cas unique dans le règne animal.

Il faut, pour commencer, convenir que l’alimentation occupe une place essentielle dans la vie humaine. Elle est nécessaire. Elle possède de plus une forte dimension sociale : pourrait-on s’imaginer une réunion de famille, une fête de village ou encore une sortie d’entreprise où l’on ne mange ni ne boit ? Ou bien s’acquitter de son devoir d’hospitalité, sans servir quoi que ce soit à son hôte ? Qui dit social, dit aussi réglementé, codifié : les règles de bienséance au cours d’un repas peuvent certes varier d’une culture à l’autre, d’un milieu social à l’autre, mais force est de reconnaître qu’elles existent toujours.

Sans tordre le sens des mots, nous pouvons donc dire que le rapport de l’homme à la nourriture relève de l’art : un art qui commence en cuisine dans la confection des plats, qui touche aussi à la manière de dresser une table et qui se poursuit dans l’art du service et dans celui de manger. Parler d’art signifie en d’autres termes que l’homme se sert de son intelligence dans ces activités.

La nourriture dans le monde religieux
Mais la relation de l’homme à la nourriture n’est pas seulement investie par sa raison, elle l’est encore par son sens religieux. Pensons ici, entre autres, aux prescriptions nombreuses de l’Ancien Testament sur les aliments ou aux interdits qui touchent certaines viandes dans le judaïsme et l’islam. Le christianisme a abrogé une grande partie de ces lois et dans le régime instauré par le Christ, il n’y a plus de nourriture interdite en soi.

Citons ici l’Evangile de Marc (7, 18-19) :
« Alors il [Jésus] leur dit : « Etes-vous donc sans intelligence, vous aussi ? Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans l’homme, en venant du dehors, ne peut pas le rendre impur, parce que cela n’entre pas dans son cœur, mais dans son ventre, pour être éliminé ? » C’est ainsi que Jésus déclarait purs tous les aliments. »

Il reste, bien sûr, que le chrétien associe aussi son corps à sa quête de Dieu : il est donc encouragé, à certains moments, à jeûner et à mener une vie d’ascèse. Les périodes par excellence pour de tels exercices sont le Carême et l’Avent. Ces temps liturgiques possèdent en effet une dimension pénitentielle, car ils invitent les croyants à se préparer aux grandes fêtes de l’année en s’éloignant de tout ce qui les détourne de Dieu. 

Le jeûne y aide, puisqu’il permet d’une part de prendre conscience de la faiblesse de son corps – et par là de notre dépendance à Dieu – et d’autre part de réaliser que l’homme ne vit pas seulement de nourriture, mais qu’il aspire à quelque chose de plus grand. Par ailleurs, en canalisant le désir de la nourriture, le jeûne donne à la personne une meilleure maîtrise sur l’ensemble de ses envies, ce qui favorise un certain dépouillement et une attitude de prière.

Relevons cependant que l’ascèse n’est pas propre au christianisme, qu’elle est parfois même davantage pratiquée dans d’autres religions. Il faut néanmoins noter que sa particularité en christianisme tient à la dimension de charité dans laquelle elle s’inscrit. Le but que le disciple du Christ vise à travers l’ascèse n’est pas un exploit physique, pas même une soumission parfaite des sens à sa volonté. Il recherche plutôt un regain de charité, une foi plus grande et une relation plus étroite à la Trinité. Voilà pourquoi le chrétien peut offrir un jeûne pour un autre que lui-même ou pour une intention particulière. Il sait que Dieu écoute les cœurs contrits et que faire pénitence pour quelqu’un est aussi une manière d’imiter le Christ dans son sacrifice pour nous.

Les pratiques alimentaires dans le monde actuel
Enfin, nous sommes parfois surpris par le zèle de nos contemporains à se priver de certains aliments et à choisir des régimes particuliers. Ces démarches sont en revanche rarement entreprises pour des motifs religieux, mais davantage pour des raisons écologiques, quelquefois pour une santé meilleure, ou encore pour le bien-être animal.

Il est pourtant judicieux de se demander si ces causes n’ont pas été réinvesties par un sentiment religieux dans quelques cas. Le risque d’une catastrophe écologique sonne alors un peu comme l’annonce prophétique d’une apocalypse toute proche, tandis que le comportement de certaines personnes dans ce domaine évoque la ferveur des fidèles les plus pieux.

Est-ce à dire que l’homme, même athée ou agnostique, demeure profondément religieux ? La question est ouverte !

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