Lost in… translation des reliques

Carole Alkabes a retrouvé 250 squelettes disséminés dans toute la Suisse.

La photographe Carole Alkabes a sillonné la Suisse durant cinq ans à la recherche de ces saints martyrs chrétiens parés de riches soieries, de bijoux et de pierres précieuses. Une chasse au(x) trésor(s) qui interroge notre regard sur la mort à une époque où elle ne s’expose plus.

Par Myriam Bettens | Photos : Jean-Claude Gadmer

Comment avez-vous appris l’existence de ces martyrs « enluminés » ?
On m’avait demandé de faire une exposition dont le thème était la mort. J’ai d’abord mené une réflexion sur ma propre mort, mais je cherchais tout de même de l’inspiration pour cette exposition et une amie m’a parlé de ces fameux martyrs. 

J’étais loin d’imaginer que ce conseil allait devenir une formidable épopée qui me conduirait dans tous les cantons suisses, excepté Genève et Vaud… trop protestants pour ce type de reliques. (rires)

Vous avez d’ailleurs découvert des reliques dans des endroits totalement insolites ?
Complètement ! (rires) La plupart se trouvaient encore dans des églises et quelques-unes dans des musées par peur que ce précieux patrimoine ne se détériore. 

Par contre, j’en ai trouvé trois au fond de l’entrepôt de la cure de Porrentruy. Ils ont ensuite été transférés au Musée de l’Hôtel-Dieu (MHDP). 

A Soleure, les frères d’un couvent trouvaient ce squelette « démodé ». Ils l’ont monté au grenier et stocké avec, entre autres, les produits ménagers du couvent !

Qu’est-ce que cette relégation « au placard à balais » dénote-t-elle ?
Une mort devenue indésirable. Elle n’a plus sa place dans nos vies, mais c’est à mon sens une grave erreur. Ce langage primordial permet de s’interroger sur sa propre mort. C’est d’ailleurs aussi pour cela que le culte des martyrs a perdu de son attrait. Les paroisses étaient mal à l’aise avec ces squelettes exposés à la vue de tous. Ils les ont relégués derrière des panneaux en bois ou des tentures afin que les paroissiens ne soient plus « dégoûtés ». Bon, elles ne manquaient pas d’ouvrir le reliquaire le jour anniversaire du martyr pour inciter les paroissiens à faire des donations… (rires)

Plus prosaïquement, ces reliques servaient les intérêts religieux de l’Eglise catholique, autant que ses intérêts économiques… 
Oh oui ! En 1578, un ouvrier retrouve, par hasard, l’entrée de catacombes dans un vignoble, à l’extérieur de Rome. A cette même époque, la Réforme protestante est à son apogée en Suisse et l’Eglise catholique cherche à la contrer. Cette découverte est une aubaine. Les martyrs érigés en glorieux défenseurs de la foi servent à asseoir « la vraie foi ». Outre l’aspect religieux, ces reliques avaient une vraie valeur marchande. Un spécimen coûtait un an et demi de salaire d’ouvrier, sans compter les décorations qu’il fallait ajouter en plus.

La Garde suisse pontificale a aussi joué un rôle important dans l’acheminement de ces reliques en territoire helvétique… 
Elle était la parfaite commanditaire. En plus d’être rapide, ses rangs étaient formés de croyants. Dès lors, cette mission a été perçue par la Garde comme une vocation de protection de la Suisse contre la Réforme. Elle a même procédé à des levées de fonds afin de rapatrier le plus possible de ces reliques en Suisse. C’est la raison pour laquelle notre territoire en compte autant.

C’était donc un vrai coup de com’ de l’Eglise ?
Enorme ! D’ailleurs, le mot « authentique » vient de là. L’Eglise catholique, a créé des certificats d’authenticité pour ces martyrs, qu’elle joignait aux ossements. Ce certificat s’appelait « un authentique ». Par contre, personne ne peut dire avec certitude s’ils étaient « authentiquement » chrétiens. Ces derniers, comme les juifs et les païens, étaient enterrés dans les mêmes catacombes. Là il y a un os !

Capsula temporelle

Carole Alkabes, photographe exerçant son activité à Sainte-Croix a retrouvé 250 squelettes disséminés dans toute la Suisse. Elle a également découvert une boîte, appelée Capsula, servant à acheminer les ossements. Cette Capsula, encore scellée, était sur une étagère à l’Abbaye de Saint-Maurice. « Lorsque les ossements partaient de Rome, ils étaient emballés dans de la gaze individuellement, puis scellés avec le sceau du Pape. Ceux-ci étaient déposés dans la boîte avec un certificat d’authenticité, puis elle-même scellée avec la marque du pontife. » On ne peut aujourd’hui certifier que les squelettes étaient ceux de chrétiens, par contre on a pu déterminer « qu’ils datent d’une période comprise entre le IIe et le Ve siècle, leur sexe et qu’ils ne comportent jamais aucun os surnuméraire. Les squelettes sont complets avec parfois une réplique d’un os manquant en bois, en cire ou en plâtre ». Autre détail étonnant, les parures dont sont apprêtés les martyrs ne valent pas un clou ! « Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’or n’est que du métal doré et les pierreries du verre coloré », mais la valeur patrimoniale de ces martyrs est, elle, inestimable !

Pour découvrir ces martyrs aux parures os-tentatoires : Martyrs. Les reliques oubliées. Paru aux éditions Favre en 2018.

La translation des reliques est un processus ritualisé de déplacement des restes d’un saint ou d’objets saints depuis un lieu vers un autre.

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